Irak : des grenades serbes et bulgares pour briser les crânes

Les progrès de l’industrie de la mort et des gueules cassées dans les Balkans

Nebojsa Stefanovic, le ministre de l'Intérieur serbe Foto: User Vesailok/Wikimédia Commons/CC-BY-SA PD

(Marc Chaudeur) – Durant les manifestations irakiennes où la répression a fait plusieurs centaines de morts depuis fin octobre, un fait frappant : l’usage de « grenades brise-crânes », particulièrement meurtrières et contenant un gaz encore non identifié. Ces armes, ce sont des entreprises bulgares et serbes qui les fabriquent. Pour ceux qui l’auraient oublié : la Bulgarie fait partie de l’Union Européenne depuis 2007, et les Serbes espèrent (certes toujours un peu moins au fil des années…) rejoindre l’Union.

Les images vues depuis le 25 octobre dernier à Bagdad et à Kerbala sont choquantes, révoltantes – et plus encore quand on les examine au ralenti et au zoom. Des personnes humaines sont mortes (et gravement blessées) dans la rue, abattues à tir tendu, à bout portant. Le crâne fracassé, avec un énorme projectile surpuissant de 250 grammes fiché dans les os du crâne… Les corps fument par les orbites et les oreilles, et dégagent une odeur non encore reconnue ; ce gaz fait souvent tomber les manifestants en syncope, quand ils ne meurent pas. L’odeur n’est pas celle des grenades lacrymogènes habituelles.

Habituelles ? En France – et en France seulement – on se sert de grenades beaucoup plus dangereuses que les usuelles chargées de gaz CS : les GLI-F4, qui contiennent 26 grammes de TNT ; on les utilise, non pas depuis Macron et les Gilets jaunes, mais depuis 2011… L’IGGN et l’IGPN en reconnaissent les dangers de mutilations et de lésions des tympans, ainsi que les risques létaux. Mais en Irak, c’est autre chose, bien pire. C’est quoi, au juste ?

Les spécialistes ont pu identifier ces armes – en réalité, des armes de guerre, qui jamais ne devraient servir à contenir des rassemblements de membres de la société civile ! – comme provenant de la glorieuse industrie d’armement serbe et bulgare. De Serbie, des M99 de 40mm fabriquées par l’ entreprise Sloboda Čačak et distribuées par Balkan Novotech et Jugoimport. De Bulgarie, des grenades LV CS de même calibre, fabriquées par l’entreprise Arsenal. Voyons pour la Serbie.

L’entreprise Sloboda Čačak, sise à Čačak (district de Moravica, au SO du pays) était l’une des plus grandes entreprises yougoslaves (environ 7000 employés) à l’époque de Tito, avant 1990. Bombardée par l’OTAN en 1999, elle a achevé sa reconstruction fin 2017 : durant la période de 2010 à 2017, le gouvernement serbe y a injecté 30 millions d’euros afin de reconstituer son industrie d’armement. Du moins l’industrie officielle ; car il y a bien longtemps que les armes yougoslaves/serbes proliféraient un peu partout : en Afghanistan (achetées par les Américains, elles se retrouvent aujourd’hui dans l’arsenal de DAESH…), au Yémen, en Syrie… La Serbie alimente depuis bien longtemps le trafic d’armes servant aux conflits les plus sanglants.

Contrairement à d’autres firmes d’armement, la Sloboda n’a pas connu ces privatisations informelles et en somme illégales qu’ont subi d’autres entreprises. Ses relations avec le pouvoir n’en demeurent pas moins liées à un évident favoritisme (dans l’attribution de marchés et de débouchés…). Favoritisme visible au fait que le PDG n’est autre que Zoran Stefanović, un membre de cette famille fâcheusement célèbre dans le pays. Celle du ministre de l’Intérieur, Nebojša Stefanović.

Or, selon une pratique classique dans les Balkans, le ministre a octroyé à son père, Branko Stefanović, dirigeant d’United BG, entreprise installée à Krušik (Centre Ouest de la Serbie), le permis d’exporter des armes au Proche-Orient, en passant au-dessus des lois et de la concurrence. Le parti au pouvoir, le SNS, a privatisé de manière très floue le marché des armes à partir de 2012, permettant ainsi à des membres du parti, de mèche avec la famille Petković de Zemun, un quartier de Belgrade, avec la puissante mafia du même quartier, et à leurs amis de la famille Stefanović de réaliser des bénéfices énormes. Surtout auprès d’un client saoudien, et ce, par le biais d’une société-écran elle-même dirigée par un ami, Goran Todorović. Un marché juteux, qui se chiffre à des millions d’euros.Et qui implique des entreprises américaines, qui sous la bénédiction du Pentagone, vendent des armes dans plusieurs pays du Proche-Orient. Y compris au Yémen où l’Arabie saoudite, alimentée grassement par les Américains pour faire contrepoids à l’influence iranienne, massacre et affame les enfants, détruit villes, villages et hôpitaux, anéantit la population.

En bref, un écheveau complexe, dont les auteurs les plus puissants, ceux qui tirent les ficelles, sont très visiblement les Etats-Unis, l’Arabie saoudite et les Emirats. Mais cela n’explique pas tout, puisqu’en effet, l’Arabie saoudite est plutôt, en principe du moins, du côté des opposants au gouvernement majoritairement chi’ite de Bagdad, mis en place par les Etats-Unis…

Si nous savons tout cela, c’est en grande partie grâce aux révélations d’ un courageux lanceur d’alerte, Alexandar Obradović, un ex-employé de Krušik. Qui se trouve actuellement en résidence surveillée ! Et qu’il faudra absolument soutenir en le faisant connaître, et en réclamant sa libération. De même qu’il faut absolument réclamer des « autorités » irakiennes le retrait de ces grenades fumantes extrêmement meurtrières.

A consulter : Arms Watch https://www.facebook.com
Bilten https://bilten.org
Courrier des Balkans https://www.courrierdesbalkans.fr

Amnesty International https://www.amnesty.org

 

 

 

 

 

 

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