Iran : L’Europe sans les Etats Unis ?

Donald Trump a donc déchiré le JCPoA (Joint Comprehensive Plan of Action), ce traité conclu avec l'Iran le 14 juillet 2015 à Vienne. Les trois « grands pays européens » ont répondu avec un bel ensemble. Mais l’Union Européenne, elle, pourra-t-elle réagir efficacement ?

Yazd, en Iran : haut lieu du zoroastrisme. Et juste à côté, une mine d'uranium. Foto: en.user.Maziart / Wikimédia Commons / CC-BY-SA 3.0int

(MC) – L’Europe ne devra pas, cette fois, briller par sa faiblesse et son absence : l’événement constitue une superbe occasion (une de plus) de se distancier intelligemment des Etats Unis, de produire sa propre analyse, et de marquer sa différence. Surtout, la gravité de la situation et celle des conséquences possibles de la dénonciation du traité par Trump appelle une action concertée et bien ciblée.

Il est clair que cette dénonciation du JCPoA par le président américain met en danger Hassan Rohani, plutôt modéré, et renforce les ultras en Iran même ; au Moyen Orient, c’est tout bénéfice, sans doute, pour le Hezbollah, que Trump qualifie d’ « organisation criminelle » – ce qui est à la fois vrai et très simpliste, mais les Américains se distinguent depuis très longtemps par leur incompréhension de cette partie du monde. L’organisation, qui a le vent en poupe aussi bien au Liban (où les élections ont eu lieu dimanche dernier) que dans la Bande de Gaza, gagne toujours davantage d’influence dans la région. Les deux cibles privilégiées de Trump sont le Hezbollah et, peut-être davantage encore en l’occurrence, les Pasdaran (les « Gardiens de la Révolution »). Plus largement, le président américain espère sans doute développer une action globale contre l’Iran pour mettre à bas le régime des mollahs ; il pense exaspérer la rue, déjà durement et longuement éprouvée par les sanctions – plus durement avant 2015, légèrement moins après cette date, dans ce régime étrange de sanctions allégées. Un calcul très dangereux et mauvaisement naïf, en tout cas, puisque c’est assurément d’abord contre les Etats Unis que la population iranienne continuera de diriger son animosité et son aversion. Et contre Israël …

Et l’Europe ? Trump a annoncé assez clairement que si les pays de l’Union européenne passaient outre son rejet du JCPoA, ils seraient sanctionnés. L’ambassadeur US à Teheran a demandé très sèchement aux entreprises allemandes de quitter le pays ! Arrogant et aberrant. Les investissements européens, parmi lesquels des Français (PSA, Total,…) occupent une place très importante dans le pays. Et sans doute, à cause de cette importance pour l’Iran, la poursuite des relations commerciales avec l’Europe sera prioritaire par rapport à une reprise éventuelle du programme nucléaire.

Mais au fait, qu’en pensent les chefs des entreprises européennes engagées sur place ? Selon un sondage de l’International Crisis Group, cette excellente organisation américaine fondée en 1995, sur 60 dirigeants interrogés, 83% estiment que si les sanctions US entraient derechef en vigueur, les entreprises européennes seraient un peu, voire très, réticentes à investir et échanger en Iran. Et pourtant, 63% pensent que le traité pourrait survivre à un retrait unilatéral des Etats-Unis (si donc l’Iran demeure signataire) ; et 54% pensent qu’une action effectuée par l’UE pour réinstaller des processus de protection des entreprises européennes pourrait affecter positivement leur décision d’investir en Iran.Ce qui est une proportion intéressante.

Donald Trump, outre la confrontation avec l’Iran des mollahs, cherche-t-il à induire une guerre économique (d’ailleurs déjà enclenchée, dans une petite mesure) avec l’UE ? Sans doute ; mais l’UE évitera au maximum de s’engager dans une telle guerre. Ce qui importe avant tout, c’est de trouver la parade aux intimidations pétaradantes de Trump. Et il existe des moyens juridiques de contourner les obstacles américains. Il s’agit de ce qu’ on appelle blocking regulations (ou blocking legislation) : des dispositions juridico-financières qui consistent avant tout à neutraliser ces obstacles, par exemple l’interdiction d’utiliser le dollar dans les transactions d’entreprises non américaines avec des pays honnis. Ces procédés ont été utilisés en 1996 pour parer aux sanctions économiques extraterritoriales contre Cuba : les gouvernements européens avaient alors estimé que les Etats Unis déployaient leur politique étrangère vorace au détriment de la voix européenne, devenue inaudible. Ils ont donc déployé une ébauche d’arsenal juridique pour parer à cette voracité dangereuse pour la paix.

Ces blocking regulations devraient s’ articuler, sans aucun doute, à des échanges importants avec l’Iran.Et puis, soyons réalistes : l’intérêt des Etats Unis eux-mêmes ne se trouverait-il pas dans la poursuite discrète de relations économiques avec l’Iran dans certains secteurs ? Il n’y aurait guère intérêt en revanche pour les Etats Unis à favoriser les relations avec la Russie et la Chine aux mille yeux gloutons.

En tout cas, chacun a bien compris quel intérêt essentiel l’UE aura à parler de sa propre voix, et d’une même voix, et à ne pas se soumettre aux égarements impulsifs de Trump. La politique internationale des Etats Unis doit cesser autant que possible de constituer un facteur de clivage à l’intérieur des pays de l’Union comme elle l’a été à de si nombreuses reprises ; la première fois dans les années 1950, lorsque les Etats Unis sommaient l’Allemagne de participer à la Guerre de Corée et que l’édification d’une défense européenne commune en a été empêchée…

On voit donc bien dans les événements actuels des facteurs positifs : l’impulsivité caricaturale du président américain pousse l’ Europe à agir, malgré sa faiblesse. En avant !

 

 

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