Irlande : défilé de l’IRA à Dublin

La boîte de Pandore est rouverte

La Grande Ourse, le Starry Plough, emblème du républicanisme irlandais et de James Connolly Foto: Marc Chaudeur /CC-BY-SA/Ej

(Marc Chaudeur) -Dimanche dernier, l’IRA a défilé à Bodenstown, Comté de Kildare, à 40 kilomètres de Dublin. Un défilé dans les règles, en uniforme civil. Pour la première fois depuis 20 ans, les volunteers commémoraient l’un des fondateurs (d’ailleurs protestant!) du républicanisme irlandais, à la fin du 18ème siècle. Manière de montrer à quel point le Brit Brexit a échauffé les esprits du côté de Belfast et de Derry ? Et que l’histoire, moins que jamais, n’a pas dit son dernier mot dans l’Ile verte ? Et que jamais plus on ne dresserait une frontière dure entre Eire et Ulster ?

Les quelque 80 paramilitaires, entourés par les membres de leur vitrine politique qui se donne pour nom Saoradh, honoraient la mémoire de Theobald Wolfe Tone, mort en prison exactement 200 ans avant le Good Friday Agreement de 1998, à Bodenstown. L’histoire vaut son tonneau de guinness.

D’origine protestante comme un nombre non négligeable de fondateurs du nationalisme irlandais (il existe d’ailleurs une vieille chanson à ce sujet, Protestant Men…), Wolfe Tone est mort à l’âge de 35 ans, après avoir réussi à persuader les dirigeants révolutionnaires français à mener des expéditions militaires contre l’Angleterre monarchiste et aristocratique… et le cas échéant, à envahir la Grande Ile. A deux reprises, ces expéditions menées par Lazare Hoche, l’illustrissime général, ont lamentablement échoué à cause surtout des monstrueuses tempêtes que Dieu ou Neptune courroucés ont lancé contre les assaillants mécréants et républicains. Les Anglais, qui gouvernaient alors l’Irlande et en engloutissaient les maigres ressources, ont fini par condamner à mort ce Wolfe Tone en uniforme d’officier français, cet Irishman fou. A Bodenstown, pour échapper aux maudits Brits, le fier Theobald s’est tranché la gorge – et son agonie a duré toute une semaine…

Chères lectrices, on ne vous avait jamais raconté cette histoire, n’est-ce pas ? Pas davantage qu’on ne raconte aux Irlandais d’Eire l’importance de l’aide prussienne aux insurgés de 1916. C’est en tout cas la mort horrible de Wolfe Tone en 1798 que célèbrent le 7 juillet les hommes cravatés, en chemise blanche et lunettes noires qui marchent autour du cimetière de Bodenstown, dans le Comté de Kildare. Les gens de l’IRA (et plus précisément, à en juger par les documents à disposition, de la Real IRA, fondée en 1997) renouent ainsi avec une habitude fort ancienne, interrompue en 1998. De vieux chefs sont présents dont Brian Kenna, l’actuel président de Saoradh, la façade politique de l’IRA ; mais beaucoup de jeunes têtes aussi, celles du mouvement de jeunesse de Saoradh, l’Éistigí (dont quelques anciens se gaussent à cause de la faute d’accent sur le logo « officiel » en gaélique…). Et des têtes nouvelles, signe de recrutements récents. Et aussi des hommes qu’on a vus ailleurs, notamment du côté d’un bâtiment de Derry où on cultive le socialisme de Connolly – signe d’une recomposition nouvelle des troupes ? (Voir mon article dans Eurojournalist.eu, avril 2019)

Depuis quelques mois, le mouvement armé a propagé une résurgence symbolique et publique de son activité . La mort (malencontreuse et involontaire, et suivant une opération policière d’une insigne maladresse) d’une journaliste le 18 avril dernier et surtout, le défilé de Pâques 3 jours plus tard, les discours de Dee Fennell, de Brian Kenna et d’autres avaient bien pour intention d’adresser un signal aux brexiteurs : plus de frontières, plus d’an Teorainn, ou sinon… L’imbécillité des dirigeants anglais fera bientôt le reste : si le Brexit se faisait, il faudrait réellement craindre des événements très douloureux et irréparables – comme le sont les meurtres des années 1970 et 1980 de part et d’autre. Aux Anglais de Westminster d’en porter la responsabilité.

Que peut bien faire encore la Commission Européenne ? Le situation est réellement sérieuse, après ces années passées à éviter le pire et le plus grotesque, après le travail exemplaire de Michel Barnier. La Commission doit absolument éviter de recréer une frontière, on n’y insistera jamais assez. A Bodenstown, on a entendu de jeunes militants nationalistes qualifier, avec un certain cynisme, les péripéties tragi-grotesques du Brexit d’ »opportunité » bien venue pour le RIRA et ses frères rivaux, les autres groupuscules. La fusillade de Derry le 18 avril dernier, diverses opérations anti-anglaises et le défilé de dimanche sont des avertissements. Il serait criminel de ne pas en tenir compte.

 

 

 

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