Itinérance mémorielle : assumer la « der des ders »

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(Par Alain Howiller) – Le président Macron se souviendra sans doute longtemps de ce que l’Elysée a appelé une « itinérance mémorielle » : de Strasbourg jusqu’à Compiègne, il a voulu, une semaine durant, se rendre sur les lieux symboliques qui ont marqué, il y a cent ans, la Première Guerre Mondiale. Il a voulu rencontrer l’histoire : les Français, tout au long de son cheminement, lui ont fait rencontrer l’actualité de leurs problèmes du quotidien. L’Histoire a cédé, pour une large part, devant l’actualité intérieure française nourrie d’arrière-pensées politiciennes, malgré la rencontre historique à Paris ce 11 Novembre : plus de 70 chefs d’Etat ou de gouvernement représentant les pays qui ont participé à la « Guerre de 14/18 »… Etait-ce un pari impossible que de vouloir célébrer le centenaire de la fin de la « Guerre de 14 » sans marquer cette commémoration par le traditionnel défilé militaire ?

Ce dernier a été remplacé par une cérémonie relativement discrète d’hommage aux 5 des 8 maréchaux ayant participé au premier conflit mondial et enterrés à l’Hôtel des Invalides. Les militaires rassemblés dans la Cour des Invalides ont ainsi jeté, non sans solennité, une sorte de pont entre les préoccupations proprement « guerrières » et les soucis des « citoyens hors uniforme ! » Qui plus est au moment où l’Assemblée Nationale commençait à se pencher sur le budget -toujours traditionnellement controversé- de la Défense !

Un budget suivi avec une particulière attention par des parlementaires soucieux de voir la France engagée à l’extérieur et à l’intérieur dans la lutte contre le terrorisme, garder son rang dans la liste des 10 pays les plus importants pour leurs moyens de défense. La France, 5ème puissance sur le plan militaire derrière les Etats-Unis, la Russie, la Chine et l’Inde avant l’Allemagne (9ème pays) et la Grande Bretagne (6ème pays), tient son rang dans un contexte mondial perclus de conflits dont le nationalisme, des facteurs ethniques ou… la religion constituent les torchères meurtrières auxquelles se brûlent soldats et – civils. Ces torchères guerrières qui polluent la paix !

L’Asie, le Moyen Orient, l’Afrique, l’Europe même (Ukraine) ou encore des pays comme le Haïti sont les théâtres de conflits parfois tellement anciens qu’on fait mine de les… oublier ! Des théâtres où les grandes puissances (cela rappellera des choses à ceux qui comparent la période actuelle à 1930 !) testent leurs armes pour mieux les… proposer aux acheteurs potentiels ! Car acheteurs il y a  : au point que l’industrie de l’armement est devenue une composante non négligeable du commerce extérieur. Cette considération n’est sans doute pas tout à fait étrangère au tweet venimeux rédigé par Donald Trump, jugeant « insultante » (!) l’idée d’une armée européenne qui privilégierait notamment les achats de matériel européen plutôt qu’américain et défendrait l’Union Européenne contre d’éventuels agresseurs extérieurs (voire – précision sûrement inutile – américains !). Peut-être faut-il rappeler, ici, que les Etats-Unis sont le premier exportateur d’armes du monde (fournissant par exemple… les membres de l’OTAN), devant la Fédération de Russie, la… France, l’Allemagne et la Chine.

« USA first ? » – Là aussi, les « USA sont first » dans un domaine où le bilatéralisme US, appuyé sur un lobbying efficace voire des menaces assumées, est source de profits et générateur de… »vassalité ». Car on a rapidement oublié les propos forts exprimés après la Première Guerre Mondiale qui devait être la « der des ders » selon le slogan pacifiste du « plus jamais la guerre » : une affirmation reprise le 11 Novembre par le Président Macron en ouverture du « Forum de la Paix ». « Plus jamais la guerre » :  ce slogan aura-t-il plus de succès aujourd’hui dans un monde instable cultivant la violence ? Tout porte à croire que l’auteur romain Végèce, auteur du « Traite de l’Art Militaire » (fin du IVème siècle, début du Vème), reste très actuel. Il écrivait : « Ainsi, celui qui désire la paix devrait préparer la guerre ! » Il faut croire que les responsables d’ une majorité des pays ont lu le « Traité de l’Art Militaire »; du moins si on en croit l’analyse des budgets consacrés à la défense depuis 2015 et la relance des budgets de la défense !

Cette année-là a ouvert en effet une période de relance des dépenses militaires, alors que depuis la fin de la « guerre froide », du moins ce qu’on a considéré telle avec la chute du Mur de Berlin et la « dissolution » de l’ex-URSS, la stabilité semblait devoir l’emporter. Nombre d’observateurs semblent considérer cette fin de la guerre froide comme ayant été provisoire, à en juger d’après l’attitude de la Russie depuis l’annexion de la Crimée et les affrontements en Ukraine. Comment d’ailleurs ne pas s’interroger sur ce point lorsqu’on prend en considération les incessantes provocations des avions ou des sous-marins russes au delà de leurs frontières, les spectaculaires manœuvres organisées presque en face à face par les pays de l’OTAN et la Russie ou les récents accommodements entre cette dernière et la Chine ?

De la Chine Populaire au Japon, de la Russie aux Etats-Unis, chez la plupart des pays de l’Union Européenne (dont la Grande Bretagne, la France, l’Allemagne) voire chez des pays émergents comme l’Egypte, les budgets consacrés à la défense progressent. Et pour ce qui est des pays membres de l’OTAN, cette évolution n’est pas près de s’arrêter avec les rappels incessants du président US adressés aux pays occidentaux. Ces derniers s’étaient engagés à consacrer d’ici à 2024 l’équivalent de 2% de leur PIB aux dépenses militaires. L’engagement avait déjà été pris à la demande d’Obama : Trump ne cesse de le rappeler parfois avec sa brutalité habituelle ! En Asie, les  risques sont eux aussi présents (Japon, Corée du Nord, Chine, Taïwan, Pakistan, Inde…). « Personne  ne veut la guerre, mais on n’est pas à l’abri d’un incident qui pourrait très vite dégénérer », avaient relevé à ce propos les députés Bui (PS) et Guilet (Les Républicains) dans leur rapport sur « l’Asie du Sud Est à la confluence des océans ».

Un auteur romain contre un abbé pacifiste… – On oubliera très vite – optimisme oblige ! – cette maxime de l’abbé de Saint Pierre dans son « Traité de Paix Perpétuelle » ( adressé notamment à Louis XIV) : « Les peuples sont de grands enfants : quand on a de si belles armes, il se trouve toujours des fous qui brûlent de les essayer ! » On peut espérer que le monde a fait des progrès depuis la parution du « traité »!

Alors que la France s’est, elle aussi, engagée à suivre les préconisations de l’OTAN, Emmanuel Macron a beau souhaiter que les budgets consacrés à la défense ne progressent plus, la réalité est là, tangible. A titre d’exemple, le budget indien (l’Inde est le premier importateur d’armes du monde !) de la défense a augmenté de 43% en 5 ans et de 132% en 10 ans (+8% en 2017), les forces armées nippones (+2% de dépenses d’une année sur l ‘autre) ne sont plus considérées comme des « troupes d’auto-défense », mais comme une armée susceptible d’intervenir en dehors du territoire national ; le budget de la défense chinoise, lui, a été multiplié par 10 en 15 ans : du coup, ce budget est devenu le deuxième du monde après celui des USA et devant celui de la Fédération de Russie !

L’ONU et le nucléaire – Rappelons aussi, en ces lendemains du « Forum de la Paix », que si 123 pays ou membres de l’ONU ont approuvé un « Traité interdisant l’utilisation des armes nucléaires », moins de la moitié d’entre eux l‘ont fait signer (en attendant une ratification en bonne et due forme),  tandis que les 9 pays possédant ce type d’armement (Etats-Unis, Chine, Russie, Israël, Pakistan, Inde, Corée du Nord, Grande Bretagne et France) se sont contentés de qualifier le texte de « naïf » !

En attendant le nationalisme, qui est « trahison du patriotisme » selon Emmanuel Macron pour qui le « patriotisme est l’exact contraire du nationalisme », gagne à travers le monde et le « Forum de la Paix » devenu institution a du pain sur la planche. Végèce continuera sans doute à battre l’abbé de Saint Pierre : les descendants de la « décadence de l’empire romain », pour reprendre le propos d’un ancien Ministre allemand, continueront-ils à s’imposer aux descendants des Lumières ?