Ján Kuciak est mort il y a un an

« Le meurtre est un message de terreur adressé aux journalistes » (R. Saviano)

Il est possible de faire changer les choses... Bratislava, Slovaquie : Manifestation du 9 mars 2018 en protestation à l'assassinat de Jan Kuciak et de Martina Foto: Slavomir Freso / Wikimédia Commons / CC-BY-SA / 4.0Int

(Marc Chaudeur) – Le 21 février 2018, le journaliste slovaque Ján Kuciak et sa compagne Martina, 27 ans tous deux, sont assassinés par balles dans leur petite maison, à 65 kms de Bratislava. Ján savait beaucoup de choses sur les trafics, les trafiquants et leur collusion avec le gouvernement. Et il s’apprêtait à en savoir plus.

Retour sur cette histoire que nous avons traitée de façon détaillée le 3 avril et le 3 octobre 2018 pour Eurojournalist (http://eurojournalist.eu/slovaquie-assez-on-a-besoin-de-democratie/).Ce double meurtre avait soulevé l’indignation de tous les Slovaques et déclenché de vastes manifestations, puis la démission du Premier ministre, Robert Fico, ainsi que de son ministre de la Justice. Il y avait de quoi.

Jan enquêtait sur certains hommes d’affaires qui avaient tissé de solides liens avec des membres du gouvernement et avec la mafia. Ce qui va assez facilement de pair. C’est ainsi qu’il s’était intéressé de tout près à Marián Kočner, un entrepreneur qui bénéficiait d’un contra d’État pour un service peu fiable. Kočner l’avait explicitement menacé par téléphone : « Je m’intéresserai bientôt à votre père, à votre mère, à vos frères et sœurs, aussi , et je suivrai tout ce qu’ils feront. Et puis je rendrai public tout ce que j’apprendrai sur vous, Monsieur Kuciak », avait dit Kočner.

Les derniers documents trouvés chez Jan et le dernier document publié s’intéressent principalement à deux personnes : Mária Trošková et Antonioni Vadalà. La première, mannequin et reine de beauté, a été engagée comme assistante par Robert Fico, le Premier ministre. Mária Trošková, 27 ans à l’époque, connaît bien, et même très bien, un certain Antonioni Vadalà : originaire de Calabre, arrivé depuis quelques années en Slovaquie, Vadalà y dirige d’importantes entreprises agricoles près de Košice. Trošková et Vadalà étaient associés, 2 ans avant que Trošková fasse la connaissance de Fico, dans la direction de la GIA Management, une société multi-active dans des secteurs très, euh… très divers. C’est par Viliam Jasan, député du SMER, le parti au pouvoir, que la belle Maria rencontre le Premier ministre.

Il s’avère qu’Antonioni Vadalà fait partie des 5, ou pour serrer les faits d’encore plus près, des 3 grandes familles qui structurent la ‘Ndrangheta, la puissante mafia calabraise (les 2 autres étant les Galliciano et les Rodà : des Rodà sont présents aussi en Slovaquie, dans le domaine agricole précisément…). Sur sa carte de visite, il pourrait indiquer : meurtres, trafic de cocaïne (au niveau « supérieur »), recel, extorsion de fonds, etc etc. Les mafias sont très présentes en Slovaquie depuis la « chute du Mur » : les milieux mafieux serbe, calabrais et albanais se sont engouffrés dans la brèche économique et juridique dès 1990, accompagnant le déferlement des flots parfois brunâtres du libéralisme. Un mafiosi calabrais a alors prononcé cette parole d’évangile : Kaufen ! Kaufen ! Kaufen ! Aussitôt dit, aussitôt fait… Il eût fallu un Etat et une police d’une solidité supraterrestre pour résister à une telle poussée, en Slovaquie comme dans les autres pays ex-communistes. Et ce n’était point le cas.

Bref, les relations entre gouvernement et mafia sont avérées. On avait besoin de compléments pour boucler la boucle. Mais Jan est mort avant d’avoir pu nous les fournir. Il est mort pour cette raison là, précisément…

Un an plus tard, que savons-nous des assassins ? 8 personnes ont été arrêtées en septembre 2018, et 4 son restées en détention. Un ancien policer a reconnu avoir tiré sur Ján et Martina. Mais qui étaient les commanditaires ? On ne le sait toujours pas, malgré les lourds soupçons qu pèsent sur Marián Kočner. On est bien loin d’avoir acquis des certitudes, en tout cas, et l’attitude réticente et ambigüe de la police de Bratislava ne facilite pas les choses. Pourtant, fin septembre 2018, à Komarno, elle a arrêté une femme nommée Alena Szuzsova : une connaissance intime de Kočner, sa filleule, qui est… traductrice en langue italienne. Certaines dépositions affirment que 70 000 euros ont été versés ; et certains même, que cette jeune femme est la commanditaire du meurtre. Sa proximité avec l’entrepreneur véreux rend la chose probable et déductivement séduisante.

Quoiqu’il en soit, chapeau bas devant le courage de Ján Kuciak, qui n’a pas cédé à la terreur dont parle Saviano, de façon on ne peut plus pertinente.

 

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