«Je ne suis pas la féministe de service»

Après la démission de deux adjointes au maire de Strasbourg, Mine Günbay et Souad El-Maysour, nous voulions en savoir plus. Interview avec l’ancienne adjointe au maire responsable des Droits des Femmes et de la Démocratie Locale, Mine Günbay.

Mine Günbay a démissionné de son poste d'adjointe au maire de Strasbourg. Foto: Privée

(KL) – Roland Ries, le maire de Strasbourg, dit qu’il n’a rien vu venir. Pourtant, dans leur lettre de démission, les deux adjointes Mine Günbay, responsable du Droit des Femmes et de la Démocratie Locale et Souad El-Maysour, en charge de la Lecture Publique, ont fait état de dysfonctionnements au sein de l’équipe municipale qui demandent des réponses. Jeudi, les deux avaient envoyé cette lettre aux intéressés qui se disent surpris.

Madame Günbay, vous venez de démissionner de votre poste d’adjointe au maire en dénonçant des dysfonctionnements au sein de l’équipe municipale. Vous critiquez particulièrement le «clanisme» à la mairie ayant conduit peu à peu à votre exclusion du processus de prises de décisions. Pourquoi cette démission ?

Mine Günbay : Le phénomène du «clanisme» est bel et bien une réalité, mais au-delà de ce phénomène, c’est avant tout le mépris à l’égard des Droits des Femmes que je ne supportais plus.

Lors des élections municipales, j’étais à la 4e place sur la liste de Roland Ries et cela indiquait clairement que la question des Droits des Femmes comptait parmi les priorités de la municipalité. J’avais dit à l’époque à Roland Ries que je ne serais plus la «féministe de service», mais force est de constater que ce sujet est méprisé au sein de la municipalité.

Je n’ai jamais disposé de beaucoup de moyen pour pouvoir travailler dans de bonnes conditions. Mais j’ai relevé les manches en me disant qu’ils ne m’arrêteraient pas comme ça. Avec un budget annuel d’environ 25000 €, nous avions quand même réussi à organiser de grandes manifestations, en étroite collaboration avec les associations.

Comme si cela n’était pas suffisant, on m’a demandé de faire moins d’actions, et le Maire n’est venu à aucun évènement depuis cette nouvelle mandature ! La prise en compte des questions d’égalité au sein de l’administration avance lentement parce qu’ils passent leur temps à me balader !

Les grandes lignes de la politique strasbourgeoise se décident dans le «comité stratégique». Vous ne trouvez pas étrange que ce comité soit exclusivement composé d’hommes ? Comment expliquez-vous l’absence des Catherine Trautmann, Pernelle Richardot, Nawel Rafik-Elmrini, vous-même et d’autres dans ce comité ? Est-ce que la politique locale est toujours une affaire des seuls hommes ?

MG : La politique locale est effectivement toujours une affaire d’hommes et je crois qu’il s’agit aussi d’une particularité très française. Ce comité respecterait les sensibilités… ah bon ? Et EELV ? Et les femmes ? La première secrétaire fédérale du parti socialiste n’est même pas dans ce comité ! C’est dire le respect du Parti. Et en même temps, il faudrait que le PS se préoccupe réellement de cette question des droits des femmes.

Si on ne se bat pas de manière collective et cohérente on n’y arrivera jamais ! La question de la place des femmes en politique est une lutte collective. Les hommes politiques veulent à leur côté des auxiliaires, pas des femmes qui pensent ! Je n’attends rien des hommes politiques… pourquoi nous céderaient-ils du pouvoir ? Il faut l’arracher ce pouvoir !

Alors je découvre dans la réponse du Maire qu’il faudrait avoir de «l’aura et de la compétence pour en être»… Comment dire ? Je les invite à plus de modestie. Et le plus terrible dans tout ça, c’est que «les plus jeunes» reproduisent les mêmes mécanismes misogynes.

Votre exclusion progressive des grands dossiers de la ville, est-elle en rapport avec le fait que vous aviez quitté le PS ? La politique locale resterait donc réservée aux «apparatchiks» d’un parti ?

MG : Je crois que cette mise à l’écart des grands dossiers avait plutôt un rapport avec le fait que mes questions dérangeaient. L’égalité femmes-hommes se trouve confrontée à des mécanismes de résistance forts, tant de la part de la haute administration que des élus. Nous avons fait bouger quelques lignes sur la première mandature… Mais les mêmes obstacles se font à nouveau jour dans ce second mandat, ça suffit. A ce rythme il faudra attendre 200 ans pour que l’administration de l’Eurométropole soit réellement égalitaire ! Il ne suffit pas de féminiser au niveau des cadres pour prétendre agir sur l’égalité… même si c’est ce qui se voit de l’extérieur !

Le maire de Strasbourg, Roland Ries, s’est déclaré «surpris» dans sa réaction à votre démission…

MG : Pour être surpris, il faut avoir été sourd à toutes mes interpellations ! Dernier exemple en date, au mois de janvier, j’ai adressé un émail à Roland Ries en attirant son attention sur certains dysfonctionnements et en demandant une entrevue à ce sujet. Il me semble que ce mail était plus qu’explicite ! Sans compter qu’il a fallut que j’attende plus de deux mois avant que cet entretien ne me soit accordé ! Lors de cet entretien, j’avais aussi demandé au maire ce qu’il me reprochait, puisque j’ai travaillé pendant 8 ans en parfaite loyauté avec cette municipalité. Il m’a dit qu’il ne me reprochait rien, mais que «la confiance, tu sais, c’est plus compliqué».

J’attribue cela aux sujets que je défends et qui dérangent profondément un monde politique axé par l’accaparation du pouvoir par les hommes, mais aussi à mon appartenance réel ou supposé à un clan. On est avec ou contre… c’est très manichéen tout ça !

La ville est fière d’avoir instauré ses «Conseils de Quartier». Vous aviez déclaré qu’il fallait les réformer pour qu’ils ne restent pas au niveau d’une «chambre à plaintes»…

MG : En effet, ces conseils ont été instaurés en suscitant de grandes attentes pour une réelle participation citoyenne. Il y a deux grands volets en ce qui concerne ces conseils ; le volet humain où il s’agit de la vie du quartier, du lien social, du vivre ensemble et le volet urbanisme qui touche aux projets urbains concernant les quartiers.

J’y ai mis beaucoup d’énergie pour que l’investissement des habitants soit respecté et que nous soyons dans de véritables démarches de sincérité. Mais c’était de plus en plus difficile pour moi. Les gens m’interrogeaient sur les dossiers en cours et je n’étais même pas en mesure d’y répondre, n’étant invité à aucun comité de pilotage sur les grands projets.

Pour pouvoir faire le lien avec les citoyens et citoyennes dans les quartiers, il faut avoir une vision globale, être informée, or je ne savais rien. Je demandais juste à être présente dans ces comités de pilotage, non pas à piloter les dossiers, puisque vous l’aurez compris, le pilotage c’est une affaire d’hommes.

Le «tous pourris», ce n’est pas votre discours, mais parmi les dysfonctionnements que vous évoquez, il y a aussi le cumul des mandats…

MG : Il y a dans cette équipe de belles personnalités. Mais le système ne favorise en rien la transversalité, le partage, le collectif. Il faut du temps pour partager. Comment voulez vous que l’on ait ce temps quand la très grande majorité cumulent 2, 3 mandats, des sociétés d’économie mixte et que certains-es se vantent en plus d’avoir encore un métier ?

Je n’ai jamais fait de la politique par intérêt personnel. Je suis issue du monde associatif et je constate que l’exclusion des personnes qui ne veulent pas adhérer à ce système est violente.

Et donc en respectant l’éthique politique qui est la mienne, mes principes, j’ai préférais quitter cette équipe.

Mais vous allez rester quand même dans la politique…

MG : Je suis un «bébé» du monde associatif et j’ai l’impression d’avoir été depuis 8 ans plus en contact avec des gestionnaires politiques que d’avoir fait de la politique. Je vais poursuivre mon engagement dans le monde associatif et continuer à y mener mes combats politiques qui me semblent aujourd’hui plus nécessaires que jamais…

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