(Spécial été 2022) – « Je suis ukrainien, je suis européen ! »

Témoignage d'un jeune médecin à Dnipro en Ukraine, qui exerce son métier sous les bombes et qui lance, depuis la guerre, un appel poignant à l'Europe.

Une image plus que symbolique - Maxim Donosh devant le tableau de Lacroix qui parle de la liberté. Foto: privée

Emouvante interview avec le Docteur Maxim Dorosh à Dnipro. Une semaine après l’invasion russe, toute la vie est déjà chamboulée au cœur de l’Ukraine.

(KL) – En Septembre 2016, nous avions rencontré Maxim Dorosh à Strasbourg où il nous racontait la situation toujours tendue après l’annexion de la Crimée. Jamais nous avions pensé qu’un jour, notre prochaine interview allait se dérouler sous de telles conditions. Voici son témoignage / interview.

« Bonjour à toutes et à tous en France et en Union Européenne !

Nous sommes en guerre. Cette guerre n’a pas seulement lieu en Ukraine, mais elle concerne toute l’Europe. Je vois que vous êtes en train de vous en rendre compte. Je vous remercie pour votre soutien réel. Mais par souci d’équité historique, je tiens à dire que la guerre (moins visible et de plus petite ampleur) dure chez nous, depuis 2014 et qu’à l’époque, la réponse de l’Europe n’a pas été suffisamment décisive. Je suis sûr que si le paquet de sanctions d’aujourd’hui avait été mis en œuvre en 2014, cette situation ne se serait pas produite.

Il faut que je me présente à vos lecteurs. Je m’appelle Maxim Dorosh, je suis pédiatre dans la ville de Dnipro. Je suis né dans un pays qui n’existe plus, l’URSS, dans la ville industrielle de Krivoy Rog, d’une mère biélorusse et d’un père ukrainien. L’URSS, c’est fini. Maintenant, il y a l’Ukraine, un pays indépendant depuis 30 ans. Aujourd’hui, la souveraineté de mon pays a été placée sous un char russe, elle est bombardée par des missiles balistiques dirigés contre mon peuple. Qui suis-je? Je le dit haut et fort : Je suis ukrainien, je suis européen ! »

Maxim, laissez-moi d’abord vous dire toute notre solidarité et le souhait que ce cauchemar puisse se terminer rapidement pour que l’Ukraine puisse vivre en paix ! Etes-vous toujours à Dnipro ? Comment s’y présente la situation ?

Maxim Dorosh : Vous m’avez posé une question en 2016, s’il est vrai que des soldats russes sont sur le sol ukrainien depuis 2014. Je vous ai alors répondu que oui, mais apparemment, personne n’a pris mes paroles au sérieux. Ma ville, Dnipro, se trouve à 400 km de Louhansk, à 250 km de Donetsk. Même avant le 24 février 2022, nous avions à nos côtés, une guerre permanente, parrainée et alimentée par la Russie, notamment par le régime de Poutine. Mais à partir du 24 février 2022, c’est l’enfer qui a commencé en Ukraine. Mon peuple, qualifié de « nazis » pour son choix européen, est en train de mourir, plusieurs infrastructures de survie et de défense sont détruites. Kharkiv est déchiré de toutes parts par des armes très lourdes et ce sont surtout des quartiers résidentiels qui sont touchés.

Dans les régions de Louhansk et de Donetsk, les Russes bombardent les russophones qu’ils prétendaient « protéger », des Grecs de souche sont tués à Marioupol. Un nœud coulant se resserre autour de Kyiv, des engins de destruction dirigés du territoire biélorusse, visent Tcherniguiv et Jytomyr. Et aujourd’hui, j’ai une question à vous poser : Prendrez-vous mes paroles au sérieux aujourd’hui ? Aujourd’hui, allez-vous prêter attention au génocide de mon peuple ? Comprenez-vous aujourd’hui que l’Europe tolère depuis 2014, la terreur de Poutine pour le choix européen de l’Ukraine ? Regardez la taille des territoires de l’Ukraine et de la Russie, analysez la puissance de nos armées. Vous comprendrez alors à quel point mon peuple est fort et courageux. Et vous comprendrez le prix que nous payons pour notre choix européen.

De quoi est-ce que votre région a actuellement besoin en termes de médicaments, habits, aliments ? Etes-vous approvisionné ?

MD : Aujourd’hui, dans notre pays, nous avons besoin d’une assistance militaire, nous demandons d’accueillir nos réfugiés. Nous nécessitons des équipements pour nos hôpitaux, la livraison des médicaments. Il y a des villes comme Kherson, Marioupol, Kharkiv qui sont assiégées par les envahisseurs russes où il n’est pas possible de livrer de l’eau et de la nourriture.

Pendant que la Russie fait semblant de négocier, les tirs de missiles sur Kiev s’intensifient. Pensez-vous que l’Ukraine sera en mesure de tenir tête à l’envahisseur russe ?

MD : Je vous réponds avec la douleur au cœur et les larmes aux yeux. Oui, nous sommes prêts à résister à l’offensive de Poutine, nous repoussons les troupes russes, mais tout cela au prix de la vie de nos concitoyens : nos soldats, nos femmes, nos enfants.

Aujourd’hui, l’Ukraine a demandé son adhésion à l’Union Européenne et de nombreux pays européens se sont déjà exprimé favorablement en ce sens. Pensez-vous qu’une adhésion à l’UE pourrait freiner Poutine ?

MD : Je ne suis pas économiste, je ne suis pas analyste financier ou militaire, je suis un médecin ukrainien, il n’est pas de ma compétence d’évaluer si cela pourra arrêter Poutine. Mais en tant que citoyen ukrainien ordinaire, je peux dire exactement que nous avons fait notre choix européen en 2014, pendant la Révolution du Maïdan. Je suis sûr que cela brisera définitivement le message de la propagande russe selon lequel l’Europe n’a tout simplement pas besoin de nous. Et cela enverra certainement un message à tout le peuple ukrainien, dans tous les coins de notre pays que nous ne nous sommes pas trompés en 2014 en nous orientant vers l’Europe Unie.

Mais, si cela n’arrive pas maintenant, le peuple ukrainien sera certainement déçu car, ici, maintenant, en Ukraine, l’armée russe est bien plus réelle que des paroles des dirigeants européens condamnant l’intervention. Mais je crois que nous avons cette chance de devenir membre de l’UE, d’autant plus que l’Europe a montré ces derniers temps, sa capacité à bien réagir de façon consolidée et prendre des décisions correctes. Et j’espère aussi que mes propos seront pris plus au sérieux aujourd’hui que lors de notre entretien précédent en 2016.

La propagande sévit, des deux côtés d’ailleurs. Nous avons beaucoup de problèmes pour obtenir des informations actuelles et fiables. Il paraît qu’il y ait une plate-forme internet qui justement, propose des informations ?

MD : Je pense que nos médias sont assez ouverts, qu’il y a suffisamment de correspondants européens dans notre pays. Dans tous les cas, les informations sur France 24 ou dans Le Monde correspondent normalement à l’actualité des événements en Ukraine. Je connais une chaîne francophone sur l’application de messagerie instantanée Telegram, Ukraine NOW, qui est une ressource fiable. Mais c’est probablement l’ambassadeur de France en Ukraine qui pourrait mieux répondre à cette question.

D’après vous, est-ce que Poutine s’était attendu à une réaction européenne comme en 2014, qu’il s’est également trompé sur la force de résistance du peuple ukrainien ? Pensez-vous qu’il commettra la folie d’une attaque nucléaire ?

MD : La menace d’une attaque nucléaire existera toujours, tant qu’existera la dictature de Poutine. J’estime qu’il n’y a pas de « régime spécial d’alerte au combat des forces de dissuasion de l’armée russe », dont parle le président Poutine, mais on doit comprendre que tant qu’il y aura Poutine, il y aura une menace d’apocalypse nucléaire. Je ne sais pas si le président russe et ses hauts fonctionnaires s’attendaient à de telles sanctions, mais je suis sûr et certain que le peuple russe n’y était pas prêt. Mais eux, ils craignent moins la pauvreté et la dégradation du pays que les répressions du régime dictatorial de Poutine. Et cela s’applique également à la Biélorussie, pays natal de ma mère.

Outre les sanctions, que pourrait faire la communauté internationale pour pacifier la situation ?

MD : La Russie est un pays de matières premières. Un embargo sur leur pétrole et leur gaz, désactivera sans doute la machine militaire de Poutine, ce qui est un problème douloureux pour l’Europe, je le réalise, mais c’est évident qu’il pourra être résolu à l’échelle mondiale. Chaque pays peut agir par l’intermédiaire de ses ambassades. Et la communauté mondiale doit amener la Chine à condamner aussi la violence en Ukraine et les actions anti-humaines des Russes. Encore une fois, je ne suis pas un expert en politique et en militarisation, mais l’ONU, qui a été créée pour la paix, n’a plus de force réelle tant que la Russie a un droit de veto. Il faudrait donc penser comment empêcher la Russie d’utiliser abusivement ce veto.

Près de Kiev, l’armée russe a brûlé notre avion ukrainien An-225 Mriya (le Rêve), le plus gros avion du monde. Ce cargo aidant à l’acheminement rapide de fret humanitaire dans le monde entier et qui a beaucoup servi pendant la pandémie de Covid-19, a été détruit. Notre Mriya (le Rêve) a été détruit par la Russie. Mais ils n’ont pas détruit notre rêve de devenir membre de l’Union européenne.

Nous sommes ukrainiens, un peuple fort, avec une histoire et une culture riches et nous partageons les valeurs européennes. Nous espérons que nous ne serons pas tués pour notre nationalité, car il n’y a pas un autre nom à ce qui se passe en Ukraine actuellement, que le génocide.

Nous attendons que tous nos citoyens rentrent chez eux immédiatement après la fin de la guerre en perdant ce statut désolant de « refugié ». En attendant, je vous prie de prendre soin d’eux.

Je tiens à remercier tous les Biélorusses et Russes qui soutiennent notre pays, en particulier ceux qui n’ont pas peur de sortir sur les places des villes russes pour s’opposer à cette terrible guerre. Poutine sera tenu responsable de tous les crimes commis en Ukraine, en Europe, en Russie, en Biélorussie et dans le monde entier. Une enquête contre les autorités russes qui ont envahi l’Ukraine, a déjà été entamée auprès de la Cour pénale internationale de La Haye.

Donnons ensemble un nouveau souffle à l’Ukraine !
En avant l’Ukraine, en avant l’Europe !
Gloire à l’Ukraine !

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