Jean-Claude Juncker bye bye

Le braconnier est le meilleur garde-chasse

Jean-Claude Juncker Foto: Donkey Hotey/Wikimédia Commons/CC-BY-SA 2.0Gen

(Marc Chaudeur) – Jean-Claude Juncker quitte donc la présidence de la Commission Européenne le 1er novembre, remplacé par Ursula von der Leyen. Juncker : un personnage qu’on a envie de qualifier de « pittoresque » pour 5 années agitées et contrastées. Certes, les événements n’ont pas manqué, indépendamment des effets qu’exercent les institutions européennes sur la conjoncture – et en partie par son activité. Que penser de cette mandature et des résultats atteints par Juncker le controversé ?

« Le braconnier est en même temps le meilleur garde-chasse ! » On ne saurait sans doute mieux caractériser une partie importante de l’habitus et de l’activité de Jean-Claude Juncker à la tête de la Commission Européenne. Ces paroles, c’est Philippe Lamberts, député belge du groupe Socialistes et Démocrates, qui les a prononcées hier matin lors de la dernière apparition du président sortant. Lamberts et avec lui, l’ensemble des députés de gauche qui se sont exprimés hier au Parlement Européen mettent en effet l‘accent sur une pratique lourde de conséquences pour la vie de tous les citoyens européens : celle de l’évasion fiscale.

Ne noircissons tout de même pas à l’excès le tableau. Juncker lui-même a peint une fresque assez juste dans les grandes lignes de sa propre activité.

Il est vrai notamment que Juncker a réussi à mettre un terme à l’inflation législative des institutions européennes : 162 lois ont été modernisées, l’arbre à épines législatif, élagué ; le reproche traditionnel de ressembler à un Argos et à une pieuvre géante est désormais largement suranné.

Par ailleurs, la Commission, sous Juncker, a rencontré une certaine réussite, incontestable, dans la poursuite des 3 mots d’ordre que Juncker s’était donnés : croissance, emploi, investissement. Le Plan Juncker a généré 1 million d’emplois, et 432 milliards d’euros d‘investissements.

Quelques déceptions : l’échec de la réunification de Chypre ; la Traité avec la Suisse n’a pas été conclu ; et, point essentiel et d’ailleurs très discuté, l’union bancaire n’a pas progressé – à cause des efforts en sens contraire de nombre d’Etats membres… Cette union aurait de gros inconvénients ; mais son absence risque d’aggraver grandement les effets des prochains chocs et des prochaines crises. En ce sens, il y a pour Juncker (certes, il a raison en principe) l’obligation « ardente » de mettre en place un système de garantie de dépôt.

Et aussi, quelques réussites incontestables : le socle (certes trop modeste et perfectible !) des droits sociaux. Et la directive sur le détachement avec ce principe fort : pour le même emploi, le même salaire. « L’Europe doit être l’Europe des travailleurs », a dit de façon surprenante cet homme politique chrétien-démocrate. Et puis la dignité retrouvée de la Grèce, avec cette qualité incontestablement junckérienne qu’est la souplesse, contre le dogmatisme de boutiquier d’un Schäuble ! Et puis les 760 000 vies sauvées en Méditerranée – malgré le fait que les recommandations de l’UE n’ont été suivies que partiellement.

760 000 vies sauvées, oui, mais 16 000 morts. On peut en effet, reproche à Juncker de n’être quasi jamais allé plus loin malgré de réels efforts : peux mieux faire. Les députés S&D avancent – par exemple, Madame Garcia Perez, hier matin – qu’il n’a pas su prendre les décisions radicales qui s’imposaient : dans le domaine de l’emploi, de la croissance, de l’égalité hommes-femmes… Cela est certes dû largement à l’absence totale de solidarité des Etats membres, par exemple pour ce qui est de l’aide à la Grèce. Et l’inertie trop fréquente de ces mêmes Etats à l’égard de mesures comme l’accès universel à la protection sociale ou l’emploi des femmes.

Mais les points les moins positifs, ce sont bien l’insuffisance de la lutte pour la justice fiscale et l’indulgence coupable de Juncker pour les agissements des planqueurs de magot. Elles sont malheureusement liées à l’implication plus que probable du Premier ministre Juncker dans le Luxembourg Leaks qui éclate en 2014, et qui révèle l’organisation grand style de l’évasion fiscale au Grand-Duché par plus de 1000 entreprises, avec la bénédiction urbi et orbi de l’administration des Impôts du Luxembourg… Parallèlement, rien n’a été fait pour protéger les lanceurs d’alerte avant le travail opiniâtre et admirable d’une Virginie Rozière et de quelques autres. Même remarque en sens inverse pour ce qui concerne la protection des secrets d’affaires.

Enfin, où est la politique environnementale de l’UE ? Elle reste à construire ! Complaisance envers des traités de libre échange ravageurs, PAC productiviste, freins de la protection légale contre les perturbateurs endocriniens et les OGM…

Peut-être, finalement, pourra-t-on trouver le garde-chasse idéal ailleurs que chez les braconniers ?

Reste un souhait qui nous est particulièrement cher, auquel Juncker semblait parfaitement indifférent, et pour lequel nous lutterons ces prochains mois : le souhait que le Parlement Européen dispose enfin d’un droit d’initiative, contre la Commission européenne toute-puissante, fluctuante et opaque.

 

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