Joe Biden aux Européens : « Je suis votre chef !… »
Alain Howiller sur les nouvelles relations transatlantiques qui s’annoncent presque aussi compliquées que sous son prédécesseur Donald Trump.
(Alain Howiller) – Bien sûr, il ne m’a pas dit ainsi, car, vieux routier de la politique, il est malin, poli et un peu (?) cajoleur ! Il ne faudrait pas se « tro(u)mper » ; Joe Biden n’est pas Trump, même si en examinant de plus près les résultats de sa tournée européenne, on aurait pu lui prêter les propos qu’Emmanuel Macron avait adressés à la communauté militaire alors qu’il venait de se séparer du Général de Villiers, chef d’état-major des armées : « Je suis votre chef… » Une tonalité qui n’est guère apparue officiellement, mais que le francophone Antony Blinken, secrétaire d’Etat US, avait, en quelque sorte, prédéfinie en soulignant : « Notre force, c’est la capacité de rassembler des pays, parce qu’ils nous font confiance pour diriger. Personne ne sait unir les autres comme nous !… »
Mission accomplie : le G7, l’Otan (hier « obsolète » selon Trump, en « mort cérébrale » d’après Macron !) et l’Union Européenne sont mobilisés derrière les Etats-Unis d’Amérique et le vœu du président français que les européens ne soient « ni vassalisé par la Chine, ni d’être alignés sur ce sujet avec les USA » risque fort de rester un vœu pieux ! A preuve, le fait que les participants au sommet de l’OTAN ont adhéré au constat que la Chine (« victime d’une nouvelle guerre froide », selon Pékin) constituait un « défi systémique pour l’ordre international ! » Et pour paraphraser une réponse de Biden à un journaliste (après son entretien avec Poutine) « Si vous n’avez pas encore compris, vous ne… comprendrez jamais ! »
Une « calinothérapie » à la Obama ! – Dans sa démarche « transatlantique », l’équipe du nouveau président y a mis les formes, surtout après l’ère calamiteuse de Donald Trump : elle a retrouvé la « calinothérapie » à la Barack Obama, parlant des « alliés et partenaires européens » avec lesquels on travaillera « en étroite concertation », évoquant la nécessaire « unité face aux cyber-activités malveillantes et déstabilisantes », soulignant les objectifs de consensus, la volonté de « mobilisation des démocraties ».
Et si, débarquant à Londres pour le G7, Joe Biden a voulu effacer le « America first » de son prédécesseur par le slogan « America is back », cela n’a pas empêché certains -dont je fus, ici même, dès le 28 Janvier, dans un article intitulé « Joe Biden et l’Europe : et si on se « tro(u)mpait »- de rappeler cet article, paru en janvier de l’année dernière, dans une revue américaine de politique étrangère dans lequel le futur président expliquait « Pourquoi l’Amérique doit de nouveau être leader ! » Et selon un sondage « Pew Research Center », réalisé dans douze pays, 75% des sondés avaient confiance dans la politique internationale du nouveau locataire de la Maison Blanche ! Comme l’écrivait notre confrère Stéphane Laure (chronique parue dans Le Monde du 13 Juin) : « Une étrange Biden-mania est née » !
L’étrange « Biden-mania » de la gauche française ! – Elle est d’abord, pourrait-on dire, « systémique » pour ceux qui, représentants de la gauche française notamment, voient dans l’arrivée de Joe Biden et dans ses mesures, un tournant vers l’abandon de décennies de néo-libéralisme dont Donald Trump était le vivant symbole. Stéphane Laure cite cet étrange propos de Fabien Roussel, le candidat du « Parti Communiste Français » aux prochaines élections présidentielles, déclarant : « J’ai l’impression que Joe Biden a pris sa carte au Parti Communiste. » Les écologistes eux-mêmes, oubliant que pour Biden, le nucléaire donne une énergie propre dans le combat contre la pollution de l’atmosphère, les socialistes voire la « France Insoumise » ont les yeux de Chimène pour le nouvel élu US !
Certes, les énormes plans de relance de la Maison Blanche comprennent beaucoup de mesures sociales. Quelques exemples : la remise aux consommateurs US de chèques allant jusqu’à 2.000 dollars pour stimuler la consommation de… produits américains, la relance de l’emploi, de l’argent pour améliorer l’accès à Internet et diminuer les « zones blanches », des investissements en faveur des handicapés et des personnes âgées, pour la suppression des canalisations en plomb, la construction de logements, la formation professionnelle… Cerise sur le gâteau : la Cour Suprême vient de valider le système de sécurité sociale pour tous, initié par Obama, mais contesté par Trump.
Un plan dans le combat « démocraties » contre « autocraties ». – S’y ajoutent de l’argent pour la recherche, pour les investissements dans l’industrie manufacturière. Le tout accompagné par l’affirmation du rôle de l’Etat Fédéral face aux états. Bref, l’ensemble des mesures, accompagnées de dispositions fiscales (les Etats-Unis restent néanmoins la patrie rêvée des… contribuables fortunés) incitant les entreprises délocalisées à revenir au pays ou de décrets écartant les non-américains des procédures d’offre des marchés publics. « America is back », mais moins ouverte qu’on ne le croit ou qu’on ne le prétend et soucieuse d’assumer un leader-ship mondial fédérant les « démocraties » contre les « autocraties » !
Le périple européen de Biden est révélateur de ces ambitions : il a réussi à embarquer ses « amis européens » -pourtant divisés entre eux, ceci expliquant cela !- dans sa croisière contre l’axe Moscou-Pekin : il est douteux que Xi Jinping continue de parler de son « ami Joe Biden », qu’il avait souvent rencontré lorsque l’américain était vice-président d’Obama. Angela Merkel, qu’Obama avait décorée de la plus haute décoration civile américaine, a déjà pris ses distances avec la Chine, alors que l’Allemagne est le seul pays occidental à avoir une balance commerciale excédentaire. Ursula von der Leyen a mis le pied sur les freins dans la promotion de l’accord Euro-Chine sur les investissements dont voulait absolument Angela Merkel lorsqu’elle était (il y a six mois !) présidente du Conseil de l’Union Européenne !
Après l’Allemagne, l’Italie comme -un peu tard- la Grèce, prennent des mesures de protection contre la main mise chinoise sur leurs entreprises. Face à cette « opération d’alignement des planètes », Victor Orban, éternel (et dangereux) contestataire… vacciné au « Sinopharm », poursuit son action pour l’implantation d’une université chinoise prés de Budapest !
Un nouvel axe Washington/Berlin ou Paris/Rome ? – Un nouvel axe Washington/Berlin s’est esquissé. Emmanuel Macron le regarde avec circonspection, alors qu’il il songerait à signer avec Mario Draghi, un « Traité du Quirinal », pendant du « Traité de l’Elysée ». Angela Merkel, qui quittera bientôt ses responsabilités de chancelière, aura le privilège d’être la première responsable étrangère à être reçue officiellement, le mois prochain, dans le « bureau ovale » de la Maison Blanche. Elle pourra, à cette occasion, exprimer ce que les européens pensent réellement, au-delà des récentes rencontres, du nouvel axe transatlantique et d’une « croisière jaune » new look qui, sans être remise en cause, demandera peut-être des nuances ?
Elle pourra transmettre à Joe Biden le fruit du Conseil Européen qui aura réuni chefs d’Etat et chefs de gouvernement de l’Union Européenne, les 24/25 Juin à Bruxelles. Macron et Merkel se sont rencontrés une ultime fois, à Berlin, pour préparer ce Conseil. L’Europe, saura-t-elle y définir ou retrouver, au-delà de la technique et de l’économie, un nouvel élan, une nouvelle âme ? L’échiquier mondial lui imposera, une fois de plus, de faire face à cette lancinante question : « C’est qui, le chef ? ».
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