Joe Biden et l’Europe : et si on se « tro(u)mpait ? »

Alain Howiller se penche sur la question des futures relations transatlantiques. Après le soulagement concernant le départ de Donald Trump, place au réalisme dans les relations entre les USA et le Vieux Continent.

L'élection de Joe Biden est certes un soulagement, mais pas encore une garantie pour des relations transatlantiques meilleures. Foto: The White House / Wikimedia Commons / PD

(Par Alain Howiller) – Qu’on me pardonne cette entrée en matière très… personnelle. Mais je n’ai pas pu m’empêcher de penser à ma grand-mère en prenant connaissance des messages de félicitations adressés à Joe Biden par les dirigeants occidentaux pour son élection à la présidence des Etats-Unis. En commentant les messages d’usage adressés aux nouveaux élus, ma grand-mère disait : « Hé oui, quand les balais sont neufs, ils balaient mieux, mais on oublie qu’il faut quand même balayer ! ». Après le chaos entretenu quatre « années de carnage » durant par Donald Trump, le nouveau président a commencé à balayer en rafales.

Et les partenaires des Etats-Unis, Union Européenne en tête, se mettent à rêver d’une nouvelle ère esquissée par ces mots repérés dans le « quasi-mystique » discours d’inauguration de Joe Biden : « Nous réparerons nos alliances et nous nouerons de nouveau, des relations avec le monde pour relever non pas les défis d’hier, mais ceux d’aujourd’hui et de demain ! »

A propos de Saint Augustin ! – Les futurs partenaires du nouveau président américain en ont (peut-être un peu vite ?) ronronné d’aise ! Ils devraient prendre en mains, comme Joe Biden l’a fait, les écrits d’Augustin d’Hippone –« un saint de mon église »- soulignait le nouvel élu dans son discours d’investiture. Ils y trouveraient deux citations intéressantes : « Le meilleur de vos serviteurs est celui qui ne cherche pas à entendre de vous ce qu’il souhaite, mais à souhaiter ce qu’il a entendu » et « La nécessité ne connaît pas de loi ! » Contrairement à ce que la plupart des observateurs veulent (!) croire, Joe Biden, sur le plan international, ne sera sans doute pas beaucoup plus accommodant que son prédécesseur et son projet d’organiser, dès cette année, un sommet et de la démocratie, nous renvoie à cette déclaration de Richard N. Haas, président du « Council on Foreign Relations » qui, créé en 1921, suit depuis New York, la politique étrangère US : « Il faudra longtemps avant que nous puissions défendre de façon crédible la primauté de la loi… avant que nous puissions convaincre nos alliés de se reposer sur nous. »

D’après un sondage réalisé pour le « Council », un Européen sur trois estime que les Etats-Unis ne sont plus dignes de confiance pour avoir élu Trump et 52% des Français (48% des Allemands) pensent que le pays ne pourra pas se consacrer aux affaires du monde, étant absorbé par les affaires intérieures ! La lutte contre la Codid-19 et la relance d’une économie à nouveau chancelante absorbera l’essentiel des énergies !

Voilà donc… Obama 3 ! – C’est dire que le slogan « Make America great again » ne perdra pas de son actualité, même si l’équipe Biden le gèrera avec plus de prudence et de souplesse, sans brutalité, en restant… aimable et poli ! N’oublions pas, du reste, que contrairement à ce qu’on pense généralement, ce slogan accolé à Donald Trump n’a pas été inventé par lui. C’est Ronald Reagan, un républicain qui, en 1980, a lancé la formule « Let’s make America great again » avant que Bill Clinton, un démocrate, ne l’utilise à son tour en 1992 ! Mais Trump l’imposera par un brevet : il le déposera, dès Juillet 2015, pour en faire « sa » marque !

Le « Yes we can » de Barack Obama reviendra sans doute bientôt avec le mandat de Joe Biden que nombre d’observateurs ont, vite fait bien fait, déjà baptisé… Obama 3 ! De fait, une part essentielle des principes auxquels se reporte le nouveau président, se retrouvent dans ceux mis en œuvre par son prédécesseur démocrate. Il en va ainsi d’un désintérêt relatif vis à vis de la politique européenne, les regards étant désormais davantage tournés vers l’Océan Pacifique.

Les espoirs de Merkel et Macron. – N’en déplaise à Angela Merkel qu’Obama avait décoré « de la plus haute distinction civile américaine », Joe Biden ne reviendra pas sur la demande initiée par son prédécesseur démocrate et réclamée sans discontinuer par Donald Trump : la contribution à hauteur de 2% du PIB du budget de la défense pour respecter les objectifs fixés par l’OTAN. Autre élément de discorde : l’opposition, déjà formulée par Trump, au gazoduc Nord-Stream 2 qui doit amener en Allemagne, sous la Baltique, le gaz russe préféré au… gaz de schiste US ! Et si le fait que le nouveau ministre des affaires étrangères ait passé sa jeunesse en France, y ait passé son bac et parle couramment le français, peut jouer un rôle dans les relations avec Emmanuel Macron, ce ne sera qu’à la marge.

Il n’est pas question, non plus, que la nouvelle administration revienne sur les mesures protectionnistes installées par Trump : le décret signé par Biden donnant la priorité aux produits et entreprises américaines dans la passation des marchés de l’état fédéral est un signe qui ne… trompe pas. Il y en aura d’autres : le candidat Biden, n’avait-il pas annoncé qu’il créerait un crédit d’impôt sur les sociétés pour les entreprises US qui relocaliseraient leur production ou services et créerait des emplois? N’avait-il pas, en même temps (!) annoncé qu’il instaurerait une surtaxe sur l’impôt sur les sociétés pour les produits importés par des firmes qui auraient délocalisé ? Le multilatéralisme se retrouve peut-être en odeur de sainteté à Washington à condition qu’il ne nuise pas aux intérêts US.

Pour la Chine : un trumpisme, sans Trump ! – Ce n’est pas parce que le nouvel élu cite Saint Augustin qu’il…. marchera sur les eaux etc…. traversera l’Atlantique à pied sec. Dans les relations internationales, il y aura des perdants et des gagnants. La Chine a peut-être tort de s’en prendre (déjà !) à « un trumpisme, sans Trump », mais elle sera encore l’objet d’une grande attention de la part de la nouvelle équipe qui retrouve l’accent des croisades US anciennes (parfois à morale ambigüe) contre les régimes autoritaires et les dictateurs. Les premières escarmouches ont déjà visé Vladimir Poutine et la répression des manifestations pro-Navalny. La Turquie d’Erdogan va perdre des marges de manœuvre et les menaces de construction d’un sous-marin nucléaire venus de Pyongyang, enterrerons les faux espoirs nés d’une idylle ratée !

Au-delà des « grands retours » dans les institutions internationales (Accord de Paris sur le climat, OMS, UNESCO, divers organes de l’ONU…), d’autres démarches se concrétiseront. Les Palestiniens vont sans doute retrouver leur mission diplomatique de Washington et bénéficieront à nouveau d’une aide financière, sans que pour autant Joe Biden revienne sur l’installation de son Ambassade à Jérusalem. Le gouvernement Afghan retrouve du souffle après l’annonce de la remise en cause de l’accord Talibans/USA. Ces derniers essaieront de relancer le « Traité Nucléaire » conclu avec l’Iran.

L’Union Européenne n’est plus une… ennemie ! – Le Canada devra avaler la couleuvre de l’abandon de l’oléoduc Keystone XL qui devait acheminer le pétrole de l’Alberta vers les raffineries du Golfe du Mexique. Les extrémistes qui prônaient l’érection d’un mur les séparant du Mexique, devront accepter l’abandon de ce projet pharaonique condamné par le gouvernement mexicain. L’Union Européenne redeviendra une partenaire commerciale et ne sera plus traitée en « ennemie des Etats-Unis » ! La Grande de Bretagne de Boris Johnson que Biden traitait de « clone psychologique » de Trump, ne sera pas ce « partenaire privilégié » que Trump lui avait fait miroiter sans, d’ailleurs, jamais concrétiser !

Ceux qui espéraient que « l’inauguration » de Joe Biden symboliserait un grand retour vers un passé idéalisé, en sont finalement pour leur frais ! L’avenir leur dira s’ils se sont ou non « tro(u)mpés » ! Ah, si l’Union Européenne en profitait pour serrer les rangs et offrir une alternative au monde : « I have a dream »….

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