Joe Biden ou le grand retour du leadership américain

Alain Howiller explique l’évolution du rôle des Etats-Unis depuis le départ de Donald Trump. Si l’arrivée de Joe Biden constitue un grand changement, il y a aussi des nouveaux questionnements.

Joe Biden semble déterminé à reprendre le rôle du "leader du monde" des Etats-Unis. Foto: The White House / Wikimedia Commons / CC-BY-SA 3.0US

(Alain Howiller) – Ils en sont pour leurs frais, ceux qui, un peu naïfs, doutaient encore du fait que le successeur de Donald Trump allait remplacer la fameuse formule de « l’Amérique d’abord » par un « Amérique devant ». La réunion sur l’avenir de l’Afghanistan et la mise en place du processus de paix qui a eu lieu à Moscou s’est tenue, à l’initiative des Etats Unis, avec les « médiateurs » dans le conflit : russes, pakistanais, chinois.

La rencontre s’est tenue en l’absence d’un représentant de l’Union Européenne qui, apparemment, n’avait même pas été prévenue de la rencontre. Il est vrai que, comme le rappelle « Le Monde », l’Union Européenne n’est que le… premier soutien de l’Afghanistan pour le versement « d’aides civiles » à Kaboul : ce qui place l’Europe devant les Etats-Unis et le Japon. Des aides complétées par l’envoi de soldats !

Pourquoi diriger à nouveau le monde ? – Un exemple, parmi d’autres, du souci de la nouvelle administration de Joe Biden d’assurer le retour des Etats-Unis à une forme de « leadership du monde libre » (l’expression est revenue à la mode à Washington), dans un style qui tranche -certes heureusement- avec celui de son prédécesseur, mais qui illustre tellement bien la formule du « agir avec une main de fer dans un gant de velours ! »

Il y a un an, Joe Biden signait une tribune dans la revue bimestrielle « Foreign Affairs » éditée depuis New York par l’influent Think Tank « Council on Foreign Relations » : elle s’intitulait « Pourquoi l’Amérique doit diriger à nouveau ! ». L’auteur soutenait la thèse selon laquelle l’Amérique doit à nouveau prendre une place de leader dans le monde, faute de quoi elle laissera un vide que quelqu’un d’autre comblera fatalement, sinon, ce sera le chaos. Même John Kerry, l’envoyé spécial américain pour le climat, a souligné, lors de sa récente visite à Paris, l’ambition américaine de devenir leader dans la lutte pour la protection du climat : il a confirmé que Joe Biden organisera, le 22 avril, un sommet consacré au climat : le sommet réunira, le « Jour de la Terre » lancé par l’ONU, une vingtaine de pays engagés dans la lutte contre les émissions de gaz à effet de serre et représentant plus de 80% de ce type d’émissions.

Quand l’industrie américaine se « verdit » – Kerry a tenu à souligner les efforts que vont déployer les Etats-Unis dans le cadre d’un plan de « verdissement » de l’industrie à hauteur de 2.000 milliards de dollars ! Ce verdissement accompagnera une modernisation des entreprises américaines qui viendront notamment concurrencer, dans de meilleures conditions, les entreprises : « c’est la concurrence », a sobrement commenté l’envoyé spécial US interpelé par un journaliste que la perspective de cette compétition inquiétait. Du reste, comment ne pas avoir à l’esprit que, y compris le plan « Biden » qui, à lui seul, porte sur 1.900 milliards de dollars (1.560 milliards d’Euros), les Etats-Unis auront décidé, en 2020, d’investir… 6.000 milliards de dollars dans leur économie : au moment où les états de l’Union Européenne attendent de pouvoir toucher les 750 milliards d’Euros du plan de relance européen !

Si pour l’heure, Joe Biden a levé « provisoirement » un certain nombre de taxes mises en œuvre par Donald Trump pour « punir » (en quelque sorte) les importateurs de produits originaires d’états qui ont menacé les intérêts des entreprises américaines (menaces de taxes sur les GAFA, soupçons de subventions à Airbus), s’il a décidé que son pays retournerait à l’Organisation Mondiale du Commerce (OMC) boudée par son prédécesseur, s’il s’est converti à une relance des négociations dans le cadre de l’Organisation de Coopération et de Développement Economique (OCDE) où l’Australien Mathias Corman vient d’être élu Secrétaire Général, il n’a évidemment pas renoncé à deux points qui figuraient dans son programme : la taxation sur des produits d’entreprises US qui auraient délocalisé et l’incitation fiscale pour encourager les entreprises à se relocaliser dans le pays.(1)

Dans moins de deux ans, de nouvelles élections ! – La santé de l’économie américaine est, plus que jamais, un objectif décisif que dans un peu moins de deux ans, lors des « midterms », les électeurs retourneront –déjà !- aux urnes pour renouveler les 435 députés de la Chambre des Représentants et le tiers des sénateurs.

Il s’agira, alors, de prouver que la nouvelle administration, face à un Donald Trump qui entend profiter de ce rendez-vous électoral pour amorcer son retour, aura réussi à ancrer dans la réalité, le slogan des démocrates : « Build back better ! » (Reconstruit en mieux !) Qu’en sera-t-il alors de la place des Etats-Unis dans le concert des nations ? Tout porte à croire que le nouveau président américain continuera le bras de fer que Trump avait déjà engagé avec la Chine : le président chinois Xi Jinping risque fort de regretter une dégradation de ses rapports avec celui qu’il appelait, hier encore, son… « ami », en souvenir de la période où il le rencontrait alors qu’il était le vice-président de Barack Obama.

Les alliés européens du « America is back » - Avec Vladimir Poutine, les relations se sont déjà dégradées depuis que Joe Biden avait gratifié le président russe du terme de « tueur » ! Voilà donc revenus, ces relents de… guerre froide qui étaient censés disparaître avec la chute du mur de Berlin ! Du coup, Joe Biden resserre les liens avec Taïwan, la Corée du Sud et le Japon, ménage -contre toute attente- l’Arabie Saoudite face à l’Iran, rétablit les contacts avec le Canada et revient vers les « alliés et amis » européens à travers ses interventions au G7 et à la Conférence de Munich sur la sécurité. Mais lors de sa tournée européenne, cette semaine, le secrétaire d’état aux affaires étrangères Antony Blinken aura l’occasion de rappeler les orientations américaines et de mettre les points sur les « i » : America is back et -Joe Biden l’a dit- veut rétablir sa position de leader !

Dans cette progression vers un nouveau leadership, le président US peut compter sur Boris Johnson, mais aussi sur (comme le veut la tradition !) sur Angela Merkel, malgré les menaces américaines qui veulent empêcher l’acheminement vers l’Allemagne du gaz russe par le gazoduc « Nord Stream II ». Tout en renonçant à la diminution des troupes US stationnées en Allemagne annoncée par Trump, l’administration américaines ne s’est pas fait faute de rappeler à Berlin ses engagements d’augmenter son budget de la défense : une augmentation prévue dans le cadre des obligations nées de décisions de de l’OTAN.

Les états désunis d’Europe ! – L’approche de cette dernière est loin de faire l’unanimité entre les états de l’Union Européenne depuis qu’Emmanuel Macron, plaidant pour une politique de défense autonome de l’UE, a déclaré que l’OTAN était en « état de mort cérébrale ». Face à la détermination américaine, l’Union Européenne, frappée par une sorte de dégât collatéral provoqué par la Covid, affiche ses désunions.

Le Conseil Européen qui doit se réunir les 25 et 26 Mars à Bruxelles, aplanira-t-il les divergences entre européens ? Rien n’est moins sûr, alors que la Pologne et la Hongrie saisissent la Cour de Justice Européenne pour essayer de rendre caducs les obligations à respecter pour bénéficier du plan de relance européen.

D’autres divergences portent sur le fait que Tchèques et Slovaques ont commandé le vaccin russe en marge des achats communs de vaccins, que les pays du Nord (Pays-Bas compris) veulent remettre à l’ordre du jour, l’obligation de revenir au respect des critères de stabilité budgétaire (déficit de 3% !), que la « cour allemande des comptes » conteste la validité de l’emprunt mutualisé que l’UE lance pour financer son plan de relance… Peut-être le sommet européen de Bruxelles tournera-t-il à nouveau le dos aux « états désunis d’Europe » et concrétisera-t-il ce nouveau défi : « Make Europe great again » !

(1) Voir eurojournalist.eu du 28.01.2021.

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