Joseph pense être victime d’un sort…
Le colloque soignant tenu à l’EPSAN Brumath les 7 et 8 Novembre 2024, dont le thème était « Parcours psy : Explorez les voies multiples ! », avait pour fil rouge deux vignettes cliniques rédigées pour la circonstance. Nous les publions, dans l’attente des quatre articles de synthèse, qui y feront suite.

(CROC* – Jean-Marc Claus) – Nous rencontrons Joseph, 37 ans, en consultation ambulatoire au Service Médico-Psychologique Régional (SMPR) du Pôle 67P16 de l’EPSAN, c’est-à-dire le service de psychiatrie et d’addictologie, installé au sein de la Maison d’Arrêt de Strasbourg.
Condamné à 3 mois, pour menaces de mort envers un agent de la compagnie des transports, Joseph est un ancien enfant soldat, ayant combattu au Libéria. Il est célibataire, sans enfant. Son père, militaire, aurait été emprisonné durant la guerre civile. Il n’a pas de nouvelles de lui. Sa mère est décédée des complications du diabète, quand il avait 9 ans. Sa sœur a été violée, puis tuée, durant les conflits. Quant à lui, il a été enrôlé de force par les Small Boys Units (SBU), forcé d’obéir aux ordres, sous peine d’être lui-même tué. Pour fuir les conflits, il a payé un passeur, et est arrivé en Europe en 2001. Joseph est actuellement sans domicile fixe.
Comme antécédent somatique, on note un asthme allergique. Pour le versant addictologique, il a débuté la cocaïne à l’âge de 15 ans, par une consommation forcée avant les combats. Après la guerre, il a consommé de l’héroïne, et du cannabis à visée anxiolytique. Il dit ne plus consommer de toxiques depuis un an, en dehors d’un traitement substitutif par Buprénorphine 8 mg mis en place en Centre de Soins d’Accompagnement et de Prévention en Addictologie (CSAPA). Il consomme quotidiennement du tabac, et occasionnellement de l’alcool.
Joseph a rencontré la psychiatrie en 2010. On note plusieurs hospitalisations à sa demande. D’après les comptes-rendus, le motif d’admission était toujours le même : hallucinations acoustico-verbales nocturnes. Il entendait les voix des esprits de personnes décédées. On a pu constater que les diagnostics des psychiatres différaient selon les hospitalisations.
Parfois était posé le diagnostic de trouble psychotique avec hallucinations, conséquences de sa consommation d’opiacés. D’autres fois, c’était le trouble de la personnalité dyssociale, communément appelée psychopathie, se manifestant entre autres signes, par une intolérance à la frustration et un manque d’empathie. Ceci avec recherche de bénéfices secondaires à l’hospitalisation, notamment sur le plan social et pour avoir un abri.
En revanche, les médecins s’accordaient tous sur le diagnostic d’État de Stress Post Traumatique, posé parfois seul ou en association avec l’un ou l’autre des diagnostics précédents, voire même les deux.
Avant son incarcération, le patient était suivi au Centre Médico-Psychologique. Son ordonnance comportait, hormis le traitement substitutif : Zopiclone au coucher pour troubles du sommeil, Paroxétine 20 mg en traitement de fond de l’État de Stress Post Traumatique et un traitement anti-psychotique, l’Aripiprazole 10 mg, instauré 1 an plus tôt, après l’échec de la Risperidone 8 mg et de l’Olanzapine 20 mg.
Lors du premier entretien, Joseph est de contact agréable, sans méfiance. Il tient un discours à tonalité ésotérique, à propos de son passé d’enfant soldat, qu’il met en relation avec des croyances ancestrales et son histoire familiale.
Son père était polygame, et il y aurait eu des rivalités entre sa mère et sa belle-mère. La grand-tante maternelle du patient aurait affirmé que la mère serait tombée malade, par un sort de sa rivale. Elle avait alors consulté un marabout, mais la maladie était déjà trop avancée. Joseph pense être à son tour victime du sort de cette femme, qui lui enverrait la nuit, les esprits des personnes qu’il a durant la guerre tué contre son gré.
Il décrit par ailleurs des pratiques magico-religieuses, qu’à cette époque, il a été forcé d’exécuter, comme boire le sang des enfants tués, pour être invincible aux balles. Il exprime d’ailleurs une forte culpabilité à propos de son passé d’enfant soldat, qu’il revivrait par des souvenirs intrusifs et des flash-backs, avec l’impression de ne plus savoir, qui ni où il est.
Il se dit aussi très irritable, en état d’alerte, et sursaute au moindre bruit. Il évite par ailleurs les émissions de télévision sur la guerre. Il présente une tristesse de l’humeur, qu’il met en lien avec sa situation, mais pas de ralentissement psychique, ni moteur, ni d’idées suicidaires. Son appétit est préservé. Il présente aussi des troubles du sommeil.
Lors des entretiens, nous ne constatons pas de syndrome dissociatif, qui serait le signe d’un morcellement psychique. Son discours est clair et construit. Il ne présente pas non plus d’attitudes d’écoutes qui pourraient être en faveur d’hallucinations auditives. Il ne se plaint pas d’hallucinations en journée, mais seulement la nuit, autour de l’endormissement.
Ces voix pourraient ainsi correspondre à des hallucinations hypnagogiques, c’est-à-dire survenant à l’endormissement, ou hypnopompiques, c’est-à-dire survenant au réveil. Ces phénomènes sont liés au fait que parfois, toutes les parties du cerveau ne s’endorment ou ne se réveillent pas simultanément. Ceci peut être accentué par l’anxiété, sans que cela ne soit en lien avec une pathologie psychiatrique. En tout cas, son discours semble en syntonie, avec ses croyances culturelles.
Se pose alors, les questions du diagnostic différentiel, entre croyances culturelles et croyances « erronées » délirantes, ainsi que de l’impact de ses croyances sur son État de Stress Post Traumatique. Si un patient souffrant d’État de Stress Post Traumatique met en lien sa symptomatologie traumatique avec ses croyances culturelles, il peut être difficile de savoir si un trouble psychotique se greffe ou non à ce tableau clinique déjà complexe.
Pour que notre démarche diagnostique soit rigoureuse, et que nous puissions ainsi proposer au patient une prise en charge adaptée, nous faisons un « pas de côté », afin d’appréhender cette situation clinique, avec une approche interculturelle.
Intervention « prise en soin psychologique dans une approche interculturelle », Murat Bozkurt, psychologue clinicien
Cette intervention souligne l’importance, de replacer le patient dans son histoire de vie, ainsi que son contexte culturel.
Pour en revenir à Joseph, nous faisons des recherches bibliographiques, concernant la guerre et les croyances au Libéria. La sorcellerie était effectivement omniprésente, lors de la guerre civile durant laquelle des pratiques d’anthropophagie ont pu être observées.
Selon les croyances libériennes, la force d’une personne est dans son cœur et son sang. Nombre de ces soldats étaient mineurs, recrutés illégalement, sous peine d’être eux-mêmes tués. On les forçait à consommer des toxiques pour leur donner une illusion d’invincibilité. Une fois la guerre finie, il est fréquent qu’ils développent des États de Stress Post Traumatique.
Le discours de Joseph, coïncide avec ce que dit la littérature au sujet des enfants soldats et de la sorcellerie. Il s’agirait bien ici de croyances ancestrales, donc partagées. Il est peu probable que son discours soit purement imaginatif, comme dans un syndrome délirant, tel qu’observable notamment dans la paraphrénie.
Pour nous aider au diagnostic, par une observation clinique plus rapprochée, nous lui proposons une admission à l’hébergement thérapeutique du Service Medico-Psychologique Régional. Cette structure s’apparente à un hôpital de jour, mais en intra-muros, car le patient reste incarcéré. Séparée du reste de la détention, elle permet par la présence d’une équipe soignante en journée, d’assurer un suivi plus soutenu des patients, présentant des troubles mentaux non stabilisés et incompatibles avec une détention classique, sans pour autant que leur état clinique impose une hospitalisation à temps complet. Le patient doit être consentant aux soins, et c’est le cas de Joseph.
Il présente le carré symptomatique d’un État de Stress Post Traumatique (ESPT), avec :
-
syndrome de répétition c’est-à-dire reviviscences diurnes et nocturnes, cauchemars, flash-backs
-
dépersonnalisation, déréalisation
- syndrome d’évitement
- syndrome d’hyperactivation neurovégétative avec hypervigilance, sursauts exagérés, irritabilité, troubles des conduites.
Mais son comportement, lors de son séjour à l’hébergement, et ses capacités d’empathie, ne nous orientent pas vers un trouble de la personnalité dyssociale. Ses troubles des conduites pourraient être un mode d’expression de son État de Stress Post Traumatique (ESPT). Nous l’admettons pour une observation de trois semaines, et une fenêtre thérapeutique par rapport à l’Aripiprazole. La fenêtre thérapeutique, n’aggrave pas le tableau clinique, c’est-à-dire notamment, pas d’apparition de signes négatifs de psychose.
Durant ce séjour, son discours est inchangé, mais il présente un comportement adapté et fait preuve d’empathie à l’égard des autres patients. Il garde espoir, il est même plus apaisé, avec moins de cauchemars et de voix nocturnes.
Ces « voix » ne surviendraient que la nuit lors des réveils, ou à l’endormissement, ce qui provoque chez lui une confusion entre le rêve et la réalité. Il décrit des cauchemars au cours desquels les esprits lui diraient qu’ils sont morts par sa faute. Nous ne parvenons pas à stopper les cauchemars, malgré l’instauration d’un traitement hypnotique.
Dans l’ouvrage collectif intitulé « La clinique du trauma », au chapitre « Le sentiment de réalité dans les rêves traumatiques », le psychiatre et psychanalyste strasbourgeois Bertrand Piret explique que la mise en continuité du rêve avec la réalité quotidienne, est fréquente chez les patients traumatisés originaires d’Afrique de l’Ouest. Ces croyances font du rêve une interface pour que les esprits puissent communiquer avec les vivants. Pour aider Joseph, nous demandons conseil, à nos collègues du Centre Ressources Psychotrauma de Strasbourg.
Intervention « Des cauchemars aux rêves. Place de l’imagerie mentale et état des lieux de la prise en charge des cauchemars post traumatiques », Dr Julie Rolling, pédopsychiatre au Centre Ressources Psychotrauma de Strasbourg
Cette approche serait ainsi une piste pour améliorer la prise en charge de l’État de Stress de Joseph.
Le séjour de Joseph, se poursuit à l’hébergement thérapeutique. Les activités thérapeutiques sportives et artistiques lui font du bien. Il apprécie les échanges avec les autres patients et les soignants. Son discours autour de la sorcellerie reste inchangé.
Par ailleurs, Joseph prend plaisir à lire des magazines de santé, et s’intéresse particulièrement à un article sur l’hypnose. En lisant des témoignages positifs de personnes ayant eu comme lui un parcours de vie douloureux, il espère que cela pourrait l’aider également, et nous demande si nous pouvons lui proposer une séance. Nous prenons pour avis contact avec nos collègues hypnothérapeutes de l’EPSAN.
Intervention « Hypnose clinique et thérapeutique au service de la mobilisation des ressources du système » – Dr Guillaume Belouriez, PH et hypnothérapeute, Guillaume Grandidier, infirmier et praticien en hypnose
Joseph est enthousiaste, quant aux informations qui sont apportées sur ce sujet. Nous organisons une rencontre avec des professionnels formés à l’hypnose.
Par ailleurs, des infirmières et infirmiers du service, s’apprêtent à suivre une formation sur la Résonance Énergétique par Stimulation Cutanée (RESC). Ils s’interrogent d’ores et déjà sur la manière dont ils pourraient intégrer cette méthode dans la prise en charge des patients de l’hébergement thérapeutique, et notamment de Joseph.
Intervention « RESC méthode soignante complémentaire en psychiatrie, à partir de l’écoute corporelle » – Genviève Vetter, aide-soignante G02, Nathalie Wiedemann, aide-soignante G48, Marie Weschler, psychomotricienne G01, Maryline Anselm, infirmière G05, Dr Isabelle Colombet, chercheure Paris.
De retour de sa formation, convaincue que la Résonance Énergétique par Stimulation Cutanée (RESC) serait bénéfique pour Joseph, l’équipe soignante lui propose de débuter les séances. Ce qu’il accepte volontiers.
A l’occasion d’une visite au Centre de neuroModulation Non-Invasive de Strasbourg(CEMNIS), nous souhaitons explorer une dernière piste. Nous nous interrogeons sur la pertinence d’envisager avec Joseph des séances de Stimulation Magnétique Transcrânienne répétée (rTMS). Nous demandons alors à nos collègues du CEMNIS, de nous briefer sur cette pratique.
Intervention « L’utilisation de la RTMS dans l’état de stress post traumatique » – Dr Clément de Crespin de Billy – médecin psychiatre au CEMNIS
Petit à petit, la charge anxieuse de Joseph régresse, grâce à sa prise en charge pluridisciplinaire au Service Médico-Psychologique Régional et aux méthodes innovantes proposées. Son humeur s’améliore également peu à peu, et il appréhende l’avenir plus sereinement.
Certains symptômes de l’État de Stress Post-Traumatique persistent, notamment les reviviscences traumatiques et les cauchemars, mais ils sont moins fréquents et moins intenses.
Malgré la fenêtre thérapeutique, aucun symptôme nous faisant évoquer une psychose, n’est apparu en dehors de son discours habituel autour de la sorcellerie. D’ailleurs, rappelons que les articles et ouvrages sur les croyances au Libéria que nous avons pu lire, concordent avec ce que Joseph nous dit à ce sujet. Il est ainsi peu probable qu’une psychose se greffe à l’État de Stress Post-Traumatique.
Épilogue
Maintenant, Joseph est libre. Il bénéficie d’une place en foyer. L’alliance thérapeutique s’est renforcée. Il a pris rendez-vous dans différentes structures avec lesquelles notre équipe a fait le lien. Soit le Centre d’Addictologie pour consolidation, soit le Centre de Psycho Trauma. Il a pu bénéficier de séances d’hypnose et de Résonance Énergétique par Stimulation Cutanée (RESC). Son séjour au Service Médico-Psychologique Régional (SMPR) et les rencontres qu’il a pu faire, lui ont permis de s’inscrire pleinement dans une démarche de soins.
* CROC = Comité de Ressources et d’Organisation de Colloques
Kommentar hinterlassen