Jour de colère

Demain, les résultats du baccalauréat 2022 seront proclamés, dont ceux de l’épreuve de français qui a tant agité les réseaux sociaux. Revenons au texte, rien qu’au texte.

Le Morvan, une région prétendue reculée sur laquelle un certain François Mitterrand a attiré la lumière. Foto: Mirek237 / Wikimedia Commons / CC-BY-SA 4.0int

(Jean-Marc Claus) – Le 16 juin dernier, des bacheliers, et heureusement pas une majorité, s’en sont pris violemment sur les réseaux sociaux à Sylvie Germain, auteure de « Jour de colère », Prix Fémina en 1989, dont un extrait avait été proposé comme texte à commenter à l’épreuve du baccalauréat de français. Passé le stade de la sidération, la réponse qu’elle leur a donné se suffit à elle-même, ainsi n’épiloguerons pas plus longtemps, bien que l’envie ne manque pas. Mais revenons au texte, rien qu’au texte.

« Ils étaient hommes des forêts. Et les forêts les avaient faits à leur image » : milieu naturel parfois qualifié de primaire, la forêt ne fabrique pas forcément des primitifs. Si ces hommes des bois connaissent une rude existence, mis en scène par Sylvie Germain dans l’environnement sylvestre du Morvan, une région prétendue reculée sur laquelle un certain François Mitterrand a attiré la lumière, il n’en sont pas moins humains. Mais le milieu dans lequel ils évoluent, déteint inévitablement sur eux.

« Un même chant habitait hommes et arbres. » : preuve qu’ils appartiennent au monde du vivant, ils chantent, ou plus précisément, sont habités par un même chant que les arbres, ce qui est quelque peu différent. Le chant des arbres, thématique à la fois romantique et écologique, nous renvoie au chant de la terre, autre thématique parallèle à la précédente. Donc ce chant, des arbres à la terre dans laquelle ils sont enracinés, demeure en eux. Ce qui nous parle maintenant d’enracinement en sus de l’environnement.

« Car tout en eux prenait des accents de colère, même l’amour. » : la colère, première des six émotions dites archaïques, peut être sainte ou pour le moins juste, quand elle sert une noble cause. Mais le plus souvent, elle est mauvaise conseillère et s’avère contre-productive, cependant, elle n’en demeure pas moins le passage nécessaire de certains comportement imbéciles. En l’espèce, pour les hommes des bois mis en scène par Sylvie Germain, même l’amour prenait des accents de colère. Ceci démontrant combien cette émotion tellement humaine, avait totalement perverti leur humanité.

« La maison où ils étaient nés s’était montrée très vite bien trop étroite pour pouvoir les abriter tous, et trop pauvre surtout pour pouvoir les nourrir. » : Drame des familles nombreuses, de la récession économique, en résumé scène de la vie quotidienne dans ce qu’un certain Jean-Pierre Raffarin nommait « France d’en bas ». La maison, c’est bien sûr le lieu où l’on vit, mais aussi le groupe humain auquel on se rattache ou s’attache. Or, cette maison peut, pour diverses raisons, devenir trop étroite et ne plus assurer sa fonction nourricière. L’espace et la nourriture, l’esprit en a besoin autant que le corps. Quand cela manque dans une maison, la nature ayant horreur du vide, c’est par exemple l’immonde de la télé-poubelle et du consumérisme qui assurent la relève.

On pourrait dire… Oh ! Dieu ! … bien des choses en somme et ce ne sont là que les quelques réflexions produites, au débotté, par un non-bachelier qui a tout de même réussi dans la vie. Mais sa réussite, il la doit à la fréquentation assidue des bibliothèques, des médiathèques, des librairies, des kiosques à journaux et des maisons de la presse. Démonstration, s’il fallait toutefois encore le prouver, que l’environnement dans lequel il vit, a un impact considérable sur la structuration et le développement d’un individu.

Devenir autodidacte et à la portée de toute personne, si tôt qu’elle maîtrise la lecture. Ensuite, c’est du travail, beaucoup de travail, mais aussi du plaisir, beaucoup de plaisir. Sylvie Germain dénonçait ses cyber-harceleurs, en disant avec raison qu’ils veulent des diplômes sans aucun effort. Mais d’où vient le goût de l’effort ? Est-ce naturel pour l’être humain, de prendre goût à l’effort ? Là, on glisse carrément de la littérature à la philosophie.

Mais quand une société va mal, au point de générer dans une partie de sa jeunesse, des comportements tels que ceux mis en évidence à l’occasion des épreuves du bac de français 2022, il est grand temps d’élever le niveau du débat et pour ce faire, de blacklister tout ce que la télévision et le web produisent d’inepte. Un certain Michel Colucci, philosophe à ses heures, disait : « Quand on pense qu’il suffirait de ne pas les acheter pour que ça ne se vende plus. ». Penser, voilà à la fois la clef, la porte d’entrée et le chemin…

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