Journal de la guerre (4)

Le célèbre musicien et entrepreneur Dmytro Kushnir raconte la vie d'une famille ukrainienne dans cette guerre terrible. Sans filtres, sans propagande, une vie dans la guerre qui a tout chamboulé et qui continue de le faire.

De la vie d'un célèbre musicien à une vie dans les tranchées - Dmytro Kushnir (à gauche). Foto: privée

(Dmytro Kushnir) – … Nous avons mis 15 heures pour faire 380 kilomètres… Tellement les routes étaient bouchées avec des voitures des gens en train de fuir l’invasion russe.

Plus tard, nous avons appris que 15 heures, c’était encore assez rapide. D’autres avaient mis plusieurs jours pour arriver dans les régions de l’ouest de l’Ukraine.

La grande route de Zhytomir était complètement bouchée sur plus de 100 km, selon Google. Nous avons donc décidé de prendre des petites routes via Makariv et Fastiv pour descendre plus au sud sur le grand axe Uman-Khmelnytskyi. A l’entrée des villages et des villes que nous avons traversés il y avait déjà les premiers checkpoints, encore improvisés, de la défense territoriale, sur les places centrales des foules d’hommes se réunissaient pour organiser la défense de leurs maisons et de leurs familles.

La petite ville très sympa de Makariv avait ensuite été à moitié occupée, et avait connu d’importants dégâts suite aux frappes de l’artillerie russe…

Même les petites routes étaient extrêmement chargées. Une énorme masse de gens fuyait vers l’ouest. Certains étaient en moto, scooters, voire à pieds.. Dans les voitures, les hommes au volant évacuaient leurs femmes, enfants, animaux de compagnie, grands-parents… La plupart d’eux partaient vers l’inconnu et une incertitude absolue de l’avenir.

Beaucoup de ces hommes rentreront après chez eux, dans les villes devenues frontalières, pour rejoindre les brigades de la défense territoriale ou iront directement au front. C’était le début d’une histoire de millions de familles séparées, pour plusieurs mois.. ou années ? Personne ne le savait. Aujourd’hui, au mois d’octobre 2022, nous ne le savons toujours pas.

Une fois descendu sur la grande route Uman-Khmelnytskyi, nous nous sommes retrouvés dans un énorme bouchon. D’une part, à cause d’un nombre de voitures que l’on a jamais vu ici, et d’autres part, à cause de grands checkpoints qui étaient déjà construits sur la route.

Pourquoi construisait-on les checkpoints dans les endroits relativement éloignés du front ? L’état terroriste qu’est la russie, s’appuyant sur une bande d’assassins armés jusqu’aux dents, la soi-disante « deuxième armée du monde », agissait non seulement par le biais des attaques directes, arrivant avec d’immenses colonnes de chars, de blindés, le bombardement de l’aviation et des tirs de missiles de croisières sur nos villes, mais également faisait tout pour déstabiliser les régions loin du front, à l’aide de ce qu’on appelle les DRG (de l’ukrainien: groupes de sabotage et de renseignements). Conscient de cela, les forces ukrainiennes étaient donc extrêmement vigilantes par rapport à tout véhicule et toute personne sur les routes ukrainiennes, surtout les premiers mois de la guerre. Par conséquent, contrôles sur tous les checkpoints, présentation de passeports, questions …

Le matin du 26 février, nous étions enfin arrivés dans ma ville natale de Horodok, à côté de Khmelnytskyi. Ma mère était en ce moment chez ma sœur à Lviv, en train de s’occuper de sa petite-fille Emilia. Nous nous sommes donc installés dans son appartement, nous quatre ainsi que mes beaux-parents, et le chat. Pour le chat, c’était son premier voyage si long. Il était très stressé.

Nous étions épuisés jusqu’au bout. J’avais besoin d’un grand sommeil.

Ma belle-mère était tellement stressée, elle aussi, que chaque claquement de portes des voisins la faisait trembler. Les alertes aériennes étaient nombreuses et on descendait à chaque fois dans l’abri. Le beau-père ne voulait pas descendre, car il fallait s’habiller à chaque fois pour aller dehors, ce qui énervait beaucoup sa femme.

Au moment des alertes aériennes, les cloches des églises sonnaient en même temps, pour que le plus de personnes possible soient informées du danger. Ajoutons à cela l’absence totale de lumière en ville la nuit – consignes de sécurité aérienne – et vous obtenez un beau tableau complètement surréaliste !

La nuit qui a suivi notre arrivée, j’étais réveillé par un bruit étrange, qui m’avait fait penser au bruit des obus qui tombent. A moitié endormi, je me demandais – est-ce possible que les russes soient déjà ici ?! Tendu comme une corde, j’essayais de comprendre s’il y avait un mouvement, le bruit des voisins..  Mais non, tout était calme, à part ce drôle de bruit … Dans quelques instants, j’ai réalisé que c’était tout juste le bruit du camion qui vidait les poubelles dans la rue en bas de chez nous ! On devenait fou …

Conformément à notre plan, j’étais censé rentrer à Kyiv pour participer à l’effort de guerre. Mais les jours qui ont suivi, je suis tombé malade et ai dû rester au lit, avec +38.5 de fièvre.

J’étais dégoûté ! Il était impossible pour moi de rester sans rien faire dans cette situation.

J’ai donc décidé de rejoindre quelques groupes de bénévoles en ligne pour faire des traductions des actualités en français et en anglais, qui étaient ensuite diffusées partout dans le monde. Sauf les actualités, il y avait des protocoles d’interrogatoires de prisonniers russes fraîchement captés…

Ils disaient tous qu’ils ne savaient pas où ils allaient, qu’ils étaient partis à l’entraînement, qu’ils regrettaient tout cela … Il y en avait beaucoup et ils disaient tous exactement la même chose ! Au bout d’un moment, on ne les croyait plus.

Il était important de faire connaître notre réalité au monde. J’étais donc bien occupé, car les informations étaient nombreuses.

Jusqu’à ce que j’ai reçu une proposition de partir à Lviv pour aider un journaliste allemand à couvrir les événements.

Le métier de fixeur, je l’ai déjà exercé en 2014, sur Maïdan et au Donbas. Je n’étais pas forcément fan de ce travail. Mais c’était un moyen pour moi d’être utile, en faisant quelque chose que je savais faire. J’ai donc accepté la proposition et malgré de très nombreuses protestations de la famille, j’ai pris ma voiture et suis parti vers Lviv le 1er mars 2022.

Je disais que c’était pour une semaine, et après, je reviendrais. Ils ne voulaient pas que je parte, par peur de devoir rester sans véhicule et le conducteur, si jamais les russes devaient avancer jusqu’ici.

On ne le savait pas, mais je partais pour plus d’un mois…

A suivre… 

Dmytro est aujourd’hui bénévole de la brigade de combattants de la défense territoriale dans la région de Zaporijjia, au sud-est de l’Ukraine, nommée Les Loups des Steppes. La brigade se trouve sur la première ligne de front dès le 24 février 2022 et compte dans ses rangs de nombreux vétérans de guerre, actifs depuis 2014. 

Actuellement, pour subvenir à leurs besoins, ces combattants volontaires s’appuient sur des bénévoles comme Dmytro qui s’occupe de la collecte de fonds auprès des organismes et des particuliers, la recherche et la livraison de tout ce qui essentiel au quotidien des soldats: sac-à-dos, chaussures, drônes, talkies-walkies, véhicules … 

Si vous souhaitez participer à l’effort de guerre et soutenir la brigade Les Loups des Steppes, financièrement ou en nature, ou si vous souhaitez devenir partenaire de la brigade, pour tout renseignement complémentaire veuillez contacter : 

Dmytro Kushnir (français, anglais, polonais)
saup.kushnir@gmail.com 
+380505514354 (WhatsApp, Telegram, Signal).

 

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