Julia Cagé vs. la TV de Bolloré

Un remède au lavage de cerveau télévisuel.

L'excellent livre de Julia Cagé. A recommander sans modération. Foto: Jean-Marc Claus

(Jean-Marc Claus) – Plusieurs fois primée, diplômée notamment de Harvard et de l’École des Hautes Études en Sciences Sociales (EHESS), Julia Cagé est une pointure. Elle tire du pied gauche, pour marquer contre la « team bolloréenne », grande amatrice de temps de cerveau humain disponible, auquel, sous narcose hanounesque, cette dernière perfuse du poison zemmourien. Le titre de son opuscule, publié aux Éditions du Seuil en début d’année, met bien en évidence l’antinomie fondamentale opposant le concept de liberté et la démarche pragmatique d’un milliardaire réactionnaire encensé par certains médias à la botte du Kapital.

« Pour une Télé Libre – Contre Bolloré », ne peut se réumer à 68 pages de texte s’opposant à un seul homme, mais va bien au-delà du cas d’un individu au potentiel de nuisance à ne surtout pas négliger pour autant. Julia Cagé fait preuve d’intelligence, là où la tendance mainstream consiste à l’abêtissement généralisé en vue de la libération des plus bas instincts. Chaque séquence électorale le démontre un peu plus en France, par une constante progression de l’extrême-droite, qu’elle soit brute de décoffrage ou soigneusement ripolinée.

« La méthode Bolloré, c’est la reprise en main musclée des rédactions qui passe par la censure, la peur et les licenciements […]. C’est plus de talk-shows et moins d’informations – peu importe si une chaîne d’information en continu est censée nous informer. » (pages 16-17), écrit Julia Cagé dans les premières pages de son analyse. Mais que fait donc la police… de l’audio-visuel ? Le Conseil Supérieur de l’Audiovisuel (CSA) s‘avère aussi efficace que les douanes françaises lors de la catastrophe de Tchernobyl en 1986 ! Mais pourquoi donc ? C’est expliqué dans le livre !

Vivendi, le navire amiral de l’armada bolloréenne, mène une OPA sur les idées. Soit une très privée Offre Publique d’Achat, visant à priver tout un chacun des moyens élémentaires de développer une pensée critique. Presse écrite, radio, télévision et édition : la boucle est bouclée. Là, nous ne sommes plus dans la vente de temps de cerveau humain disponible, mais carrément dans le lavage de cerveau même indisponible.

Les règles de lutte contre cette concentration-centralisation sont insuffisantes et Julia Cagé le démontre. Elle explique par ailleurs, les tenants et aboutissants de la fusion TF1 – M6, avec à l’horizon 2023, la possible perte de TF1 par Bouygues. Pourquoi ? Et bien, procurez-vous cet opuscule moins cher qu’un demi paquet de cigarettes ! Développant les fondamentaux d’une nouvelle approche relative à la liberté de communication, Julia Cagé énonce quatre piliers fondamentaux.

1° – Sortir de la logique des supports et prendre en compte le temps d’attention.
⇒ « Le dispositif anti-concentration doit prendre en compte l’ensemble des fournisseurs de contenus. Cela suppose également d’interroger et de redéfinir la notion de parts de marché pour caractériser la réalité du pluralisme dans le domaine de l’information. » (page 60)

2°- Renforcer les règles pour le domaine public hertzien.
⇒ « Parce que les fréquences sont rares et parce que même la numérotation compte, il faut faire en sorte qu’à l’intérieur de chaque chaîne, le téléspectateur puisse être exposé à une pluralité de points de vue. » (page 64)

3°- Renforcer l’indépendance des autorités de régulation.
⇒ « Aujourd’hui, certes avec des garde-fous, le président de ces autorités est nommé par le Président de la République, un principe sur lequel nous devrions revenir. » (page 66)

4°- Mettre fin aux abus de position dominante des plate-formes systémiques.
⇒ « Sur ce domaine comme sur tant d’autres, l’Europe ne doit pas être un prétexte pour ne pas agir : il faut commencer par définir et réguler les plate-formes systémiques au niveau français,, tout en se mobilisant pour que des règles ambitieuses soient adoptées au niveau européen. » (pages 71-72)

Reste la question des médias indépendants, dont entre autres Eurojournalist(e) ! Avec beaucoup de justesse, Julia Cagé affirme « Je suis la première à défendre – et à lire ! – les médias indépendants. Pourtant, je ne pense pas que l’on puisse faire l’impasse sur les “grands médias”. Car dans leur majorité, ceux qui regardent TF1 ou Cnews, ne consomment pas et ne consommeront sans doute jamais Mediapart ou Politis. […] C’est d’abord au public de TF1, M6, CNews et autres BFMTV que les réformes évoquées dans ce livre s’adressent. Car, comme citoyen.ne.s, ils ont eux aussi droit à une information de qualité et à être exposés au pluralisme démocratique. » (pages 75-76).

Un ouvrage vivifiant en somme, qui dépasse le simple cas d’un très réactionnaire milliardaire breton, très bon catholique pratiquant et très fin cathodique militant. Si le silence qui suit une œuvre de Mozart est encore du Mozart, ce qui suivra l’œuvre de Bolloré ne sera plus du Bolloré, mais en gardera la saveur de l’ypérite capitaliste. D’où la nécessité de mettre en place des filtres propres à éviter l’asphyxie des temps de cerveaux humains qui resterons disponibles…

Pour une télé libre Contre Bolloré par Julia Cagé
Éditions du Seuil – Coll. SeuilLibelle – 02/2022 – 86 pages – 4,50€

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