Karlsruhe contre la BCE de Francfort…

Alain Howiller analyse une « querelle d'Allemand » qui... menace l'Europe !

La Cour Constitutionnelle à Karlsruhe cherche un bras de fer avec la Banque Centrale Européenne... Foto: Guido Radig at German Wikipedia / Wikimedia Commons / CC-BY-SA 3.0

(Par Alain Howiller) – L’Europe, déjà mise à mal sur la manière dont ses membres – solidaires (?!) – pourraient se sortir du Covid-19 et de ses conséquences notamment économiques, n’avait vraiment pas besoin de ça. Dans un arrêt rendu après des mois d’analyse et d’hésitations, la Cour Constitutionnelle de Karlsruhe a fait, une fois de plus, preuve d’une remarquable constance dans ses approches de l’Union Européenne : un arrêt du 5 Mai enjoint à la Banque Centrale Européenne (BCE, Francfort sur le Main) de justifier, dans un délai de trois mois, sa politique d’achats d’actifs auprès des Etats membres.

Le programme d’achats destiné à soutenir l’économie de la zone euro ne lui semble pas correspondre aux prérogatives de l’organisme bancaire européen : la Cour estime qu’il est « disproportionné au regard de ses effets économiques et budgétaires ». Certaines parties du programme lui semblent illégales, d’autant que ni le gouvernement allemand, ni le Bundestag n’ont été amenés à se prononcer. Ce dernier aspect correspond, en fait, à une demande récurrente de contrôle de Karlsruhe qui entend imposer ce « contrôle démocratique » sur tous les actes de la Commission de Bruxelles et du Parlement Européen que, du reste, la Cour Constitutionnelle ne considère pas comme un… véritable parlement !

Quand l’extrême-droite allemande monte au créneau – L’arrêt de Karlsruhe concerne en réalité la politique d’achats lancée par Mario Draghi pour lutter contre la crise monétaire : un certain nombre de plaignants, issus pour la plupart des milieux souverainistes et eurosceptiques liés à l’extrême-droite allemande, avaient déposé plainte contre la BCE devant la Cour de Karlsruhe, invoquant un manque de contrôle démocratique par les instances nationales. Ils entendaient aussi protester – avec habileté – contre une politique d’achats qui certes pèse sur les taux d’inflation en rendant disponible l’argent des programmes, mais qui, en même temps, risque de léser les épargnants en maintenant à un niveau bas la rémunération de l’épargne (en dessous d’un maximum de 2%).

En outre, les plaignants avançaient que les achats d’actifs, c’est-à-dire pour l’essentiel des obligations ou des titres émis par les Etats, des institutions voire des « privés », correspondaient au financement des Etats : ce qui est interdit par les textes. Engagées en 2014, spectaculairement soutenues en avril 2015 par une « Femen » qui criait « Fin de la dictature de la BCE » lors d’une conférence de presse de Draghi, les procédures ont traîné jusqu’en 2018 : la Cour Constitutionnelle, alors, a soumis le dossier pour avis à la « Cour de Justice de l’Union Européenne – CJUE » de Luxembourg.

Cette dernière a justifié l’action de la BCE dans un arrêt que Karlsruhe a contesté, avançant que le raisonnement de ses « collègues » de Luxembourg était… « incompréhensible ». En rappelant « qu’il n’est pire sourd que celui qui ne veut entendre », la plupart des observateurs ont vu dans cet échange (à peine courtois) le retour d’une « querelle d’egos » entre juges !

Une querelle « d’egos entre juges » qui coûte cher – Mais foin d’humour, la décision de Karlsruhe (rendue par 7 juges contre 1) est particulièrement grave pour trois raisons qui risquent de coûter cher à l’Union Européenne. Certes, l’arrêt porte sur la politique Draghi : ce passé pourrait – s’il est reconnu- pousser à certains… remboursements, mais il pourrait surtout pousser à de nouvelles procédures qui viseraient, cette fois, la politique de relance que Christine Lagarde, l’actuelle présidente de la BCE, met en place pour accompagner la reprise de l’économie éprouvée par le « Covid-19 ». A cette première raison s’en ajoute immédiatement une seconde : l’arrêt met en cause (c’est une spectaculaire première !) la prééminence judiciaire et juridique de la CJUE : de quoi perturber gravement l’équilibre et la stabilité (déjà fragilisée) de l’UE. Sans compter le fait que si l’arrêt devait finalement s’imposer, la Banque Centrale Allemande risque de ne plus pouvoir participer (ou bénéficier) aux programmes d’achats de la BCE !

Troisième raison, l’attitude de la Cour Constitutionnelle risque de contribuer à légitimer – en quelque sorte – les tendances nationalistes qui se manifestent dans l’Union. Vraiment, l’arrêt ne pouvait pas tomber plus mal, d’autant qu’il y a eu des précédents où Karlsruhe a joué « national » en insistant sur le fait que toute avancée européenne décidée par la Commission Européenne ou le Parlement Européen doit être validée par le Bundestag. C’est cette approche qui, lors d’une décision de la Cour concernant les minimas à prendre en compte pour être élu au Parlement de Strasbourg,  avait conduit Heribert Prantl, éditorialiste à la Süddeutsche Zeitung, à constater que « Karlsruhe se mure dans une tour noire-rouge-or ! »

Christine Lagarde : « pas du tout découragée » – Sommée de s’expliquer, la BCE, dont l’arrêt de Karlsruhe menace la nécessaire indépendance, a tenu à rappeler que ses approches avaient été validées par la Cour de Justice de Luxembourg, qu’elle rejetait les accusations de la cour allemande dont elle démonterait les partis pris.

Elle devait souligner qu’elle entendait poursuivre son action au profit de l’économie et de la stabilité des prix dans la zone euro. Bruno Le Maire, le Ministre français de l’économie, a rappelé que « La décision de la Cour Constitutionnelle de Karlsruhe n’est pas un élément de stabilité. Les Traités européens garantissent l’indépendance de la Banque Centrale Européenne. Elle prend ses décisions en toute indépendance et elle décide des conditions d’exercice de son mandat sous le contrôle exclusif de la Cour de Justice de l’Union Européenne qui est gardienne des Traités. Il est important de rappeler l’indépendance de la BCE qui est seule à même de juger de ce qui est nécessaire  en termes de conduite de la politique monétaire de la zone euro. »

Son collègue allemand Olaf Scholz, Vice-Chancelier et Ministre des Finances, le suit (mollement). Et Christine Lagarde, « pas découragée du tout », continuera à agir conformément à son mandat !

Von der Leyen menace le gouvernement allemand – Dans un communiqué, la Cour de Luxembourg renvoie la Cour de Karlsruhe dans les cordes et rappelle qu’elle « est seule compétente pour constater qu’un acte d’une institution de l’Union est contraire (ou non) aux Traités ». Et Ursula von der Leyen, la Présidente de la Commission Européenne de Bruxelles, vole au secours de la CJUE en soulignant : « La parole ultime sur le droit européen est rendue à Luxembourg . » Elle menace le gouvernement allemand (qui suivrait les conclusions de Karlsruhe) d’engager une « procédure d’infraction ». Ce que précise Paolo Gentilani, le Commissaire chargé de l’économie, en déclarant : « La Commission fera ce qu’elle doit faire en tant que gardienne des Traités ! »

Alors on ferme le livre de la « querelle des egos » ou on ouvre un nouveau chapitre ? On se serait, en tous les cas, bien passé d’un récit qui n’ajoute rien de glorieux à une histoire européenne contemporaine déjà assez chargée !

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