Lituanie : une architecture « optimiste »
Les Cahiers Lituaniens et l’architecture des années 1919-1939
(MC) – Le numéro d’automne des Cahiers Lituaniens vient de paraître ; il s‘agit du numéro 17. Une revue excellente, serrée et aigüe. Au sommaire de ce numéro, 6 articles passionnants (http://www.cahiers-lituaniens.org/). Parmi eux, le texte de Marija Drėmaitė (traduit par Liudmila Edel-Matuolis) consacré à Kaunas 1919-1940, un phénomène de l’architecture de l’optimisme (p. 15 à 23). Un concept qui peut sembler étrange, et un peu vague : l’optimisme ? Il n’est « pas un style, mais plutôt un état d’esprit », écrit l’auteur. En quoi concerne-t-il donc l’architecture, et en quoi la Lituanie de la première indépendance ?
Novembre 1918 voit la désintégration de l’Empire austro-hongrois et la fin de l’Empire russe : sur leurs décombres naissent de nouveaux Etats, au nombre de 9. Parmi eux, les 3 pays baltes (Lituanie, Lettonie, Estonie) qui s’affranchissent, la première de la tutelle polonaise, les deux autres de leur tutelle russe – ils ont fait partie de l’Empire tsariste pendant un siècle et demi – grâce à la défaite allemande. Fait remarquable : la Lituanie change de capitale, parce qu’à l’issue de la guerre soviéto-polonaise de 1919-1920 , elle perd Vilnius, située dans la partie orientale (donc russe) de son territoire : l’armée polonaise en prend possession en 1920. C’est alors Kaunas qui, de 1919 à 1939, tiendra lieu de capitale.
Il s’agit alors de construire cette indépendance, de faire de ces pays des pays européens à part entière : des pays modernes et démocratiques, qui bénéficieraient d’un niveau de vie élevé. Dans tous les domaines, les pays baltes se transforment en de vastes chantiers. On se retrousse les manches et on veut construire le pays. D’ où la notion d‘ « optimisme » qu’avance Marija Drėmaitė : non pas béatitude d’une contemplation de la liberté rêvée, mais optimisme constructif, foi dans la mise en œuvre des moyens nécessaires et dans la possibilité de réaliser le but. Le terme qui convient le mieux pour décrire cet état d’esprit est sans doute bien celui de modernisme ; et il y a des différences très importante avec le messianisme soviétique qui essaie de se déployer, là, tout près.
Mais comme on peut l’imaginer, la situation est complexe dans tous les domaines de l’existence, de la culture et des technologies. C’est le cas aussi, oh combien, dans celui de l’architecture : influences et formation russe, nécessité de rendre les pays confortables et modernes, mais aussi, volonté d’affirmer la spécificité nationale. Comment concilier tous ces ingrédients ? Ils sont nécessaires à la construction de nations nouvelles, mais ils s’enracinent dans une identité immémoriale qui remonterait de nombreux siècles avant l’absorption dans le Royaume de Pologne pour la Lituanie, dans l’Empire russe pour la Lettonie et l’Estonie.
La période 1918 à 1940 est passionnante à cet égard. Les 3 pays baltes ont procédé en suivant des intentions très précises, mais de manière très pragmatique (voire empirique), en composant avec les influences, la réalité présente et historique, les aspirations esthétiques et fonctionnelles du temps.A Tallinn, Riga, Vilnius … et Kaunas.
L’évolution et le réalisation des 3 pays sont en somme très analogues. C’est essentiellement le dosage des ingrédients placés dans le creuset qui diffère. Tallinn et Riga montrent de plus évidentes influences russes : à cause de l’histoire, mais aussi à cause de la formation des architectes, qui ont très souvent, plus souvent que les architectes lituaniens, fait leurs études à Saint-Petersbourg. On constate aussi, à Riga notamment, un grand prestige du constructivisme russe, dans les années 1920. Mais dans les 3 pays, les grands courants de l’architecture européenne des années 1880 à 1935 son très intensément représentés : l’historicisme, le romantisme nordique/scandinave (et finlandais), le néo-gothique, l’Art nouveau et l’Art déco, le constructivisme, le Bauhaus, le fonctionnalisme… Et ils assurent des réalisations superbes, et même parfois, de remarquables synthèses.
Cependant, un courant dominant l’emporte sur les autres dans chacun des 3 pays. A Riga, c’est l’Art nouveau, comme on a pu le constater lors d’une très belle Exposition à la BNU de Strasbourg, tout récemment. A Kaunas, nouvelle capitale de l’État lituanien, c’est le modernisme qui l’emporte. En 1919, la ville compte environ 100 000 habitants ; les observateurs louent son dynamisme extraordinaire. Marija Drėmaitė cite l’architecte estonien Kompus qui, dans une description de Kaunas tracée en 1935, écrit : « On peut être envieux envers les habitants de Kaunas et leurs architectes pour leur liberté dans les choix des formes architecturales qui répondent aux attentes modernes de beauté pour les gens d’aujourd’hui (…) Le Kaunas moderne apporte au panoptique des anciennes constructions en crépi la sobriété fonctionnelle, la vivacité, la simplicité, la clarté et la sagesse des matériaux. » Voilà qui témoigne d’un état d’esprit optimiste, en effet ; voilà qui est enthousiasmant. Et voilà qui témoigne implicitement du degré d‘intensité de l’investissement public d’État tout comme de celui de privés fortunés, désireux de construire leur pays et leur capitale, fût-elle provisoire…
Et cependant, aucun mouvement réellement d’avant-garde ne s’y est développé : les exigences des uns et des autres, y compris au sommet de l’Etat, étaient trop contradictoires pour le permettre. Il a fallu concilier, et si possible, faire la synthèse et trouver l’équilibre entre une certaine exaltation des traditions (notamment médiévales) et un modernisme affirmé et plutôt audacieux. Il fallait susciter l’admiration à l’extérieur, mais en même temps, valoriser le passé – un passé largement revu et corrigé par des tendances littéraires et plastiques remontant à la deuxième moitié du 19e siècle.
Cela supposait que l’on effectuât un pas supplémentaire : celui qui revenait à affirmer pleinement les droits et la préséance de l’actualité créatrice, qui pourtant tiendrait nécessairement compte dans une large mesure du passé culturel de la Lituanie. Le résultat est admirable et brillant.
A partir de 1920, les architectes d’origine lituanienne qui avaient fait leurs études en Russie – à Saint-Petersbourg, surtout – reviennent dans leur pays et commencent à y œuvrer. Beaucoup de jeunes bénéficient alors de bourses et vont étudier l’architecture dans les grandes capitales. Et en 1922 déjà, une Ecole d’architecture s’ouvre dans l’Université de la capitale provisoire : naît alors à partir de là une manière nouvelle de percevoir et de concevoir l’art architectural. Et Kaunas ne cesse de se développer.
Jusqu’en 1940…
Revue Cahiers Lituaniens n°17, 19e année. Directeur de la publication : Philippe Edel.
Et aussi un ouvrage remarquable à lire : Andreas FÜLBERT, Tallinn-Riga-Kaunas. Ihr Ausbau zu modernen Hauptstädten 1920-1940, Böhlau Verlag (Tallinn-Riga Kaunas. Leur édification en capitales modernes).
La Lithuanie aimerait bien que l’on n’estropiât pas son nom et que l’on l’écrivît LITHUANIE…
Cordialement
Commentaire de l’auteur MC : Il y a belle lurette qu’on n’écrit plus “LitHuanie”!