KAVAFIS l’Européen

Le poète infusé dans le temps

Alexandrie à l'époque de l'enfance de Kavafis (1868) Foto:Vincent Courdouant / Wikimédia Commons / CC-BY-SA PD

(MC) – Après avoir chanté debout le Dimanche nuageux de Vassili Tsitsanis vendredi soir au Neuhof, une autre belle surprise de la superbe Quinzaine strasbourgeoise hellénique : une Lecture de poèmes de Constantin Kavafis au café Kalimera-La Cuisine de Nicole dimanche soir. Kavafis l’Alexandrin, l’Européen hellénistique qui célèbre les beaux corps ; le poète des relations entre temps et imagination.

Kavafis est né un 29 avril et mort un 29 avril aussi, entre 1863 et 1933. Ce fonctionnaire d’Alexandrie se promenait dans les rues de cette ville européenne d’Egypte, cité d’Eratosthène, héros immortel de la barbarie parce qu’incendiaire de la plus grande bibliothèque du monde à la fin de l’Antiquité. Kavafis hellénistique était toujours vêtu de façon impeccable, avec une élégance sobre et portant une belle canne. Il habitait entre hôpital, église et bordel : « les «lieux essentiels de la vie humaine », disait-il.

Il écrivait beaucoup, et ses poèmes ont renouvelé la poésie grecque : formes parfois assez savantes, langue singulière à la limite de la préciosité, et surtout, des processus qui reposent sur une véritable pensée des relations entre les aspects du temps et l’imagination. Passé, présent et avenir s’infusent dans la très riche vie intérieure de Kavafis, abreuvée d’hellénistique (il se disait, non pas grec, hellenikos, mais hellénistique, hellenistikos : il aimait cette période de passion ardente, de décadence et de raffinement). Ses poèmes s’inscrivent dans 3 domaines : historique, « philosophique «  (au sens très large), et érotique ; car le taciturne Kavafis aime les beaux corps de jeunes garçons ; il met en quelque sorte en scène le corps idéalement beau – sans aucune sentimentalité. La rumeur veut que jamais il n’eut de relation concrète avec un quelconque éphèbe, d’ailleurs.

Et, last but not least, Constantin Kavafis était quasiment inconnu ; il n’assommait pas ses contemporains de poèmes massifs et ne remportait aucun prix de poésie, puisqu’il ne publiait pas. Il n’a rien publié de son vivant.

Ce soir dans ce petit café de Strasbourg, on a lu des poèmes fins et superbes : Thermopyles, Voix, La Ville… Mais ce qui nous retient surtout et qui pose une réelle présence actuelle, une réelle utilité pour nous, Européens, c’est son usage du temps et de l’imagination. Les aspects du temps, passé, présent et avenir, s’interpénètrent . Et cela d’une manière nullement abstraite, mais imprégnant la subjectivité et les sentiments du poète : ainsi, le sujet craint une chose du passé, et pose le moment présent comme un moment effacé, comme un moment passé, un peu comme cela se passe chez Kierkegaard. Une marque de mélancolie, en partie.

Le point de cristallisation du processus de la mémoire culturelle et subjective de Kavafis, c’est bien sûr la ville d’Alexandrie. Celle ci englobe trois plans qui s’interpénètrent : la ville réelle, celle du moment et de l’espace où l’on se trouve ; celle de la métaphore, qui part très loin et très près à la fois de ce présent grâce à l’imagination ; par elle, la subjectivité s‘empare d’ Alexandrie et l’investit.Et puis ce par quoi s’introduit la sensualité : celle qu’éveille une statue grecque antique ou l’appel d’une beauté actuelle, un jeune homme bien vivant par exemple, dans le présent et dans le passé, tous deux à la fois. Par exemple,  En attendant les barbares :

«  Qu’attendons-nous tous, rassemblé au forum ?
C’est qu’aujourd’hui les barbares vont arriver (début du poème)
« (…) Et à présent qu’allons-nous devenir sans barbares.
Ces gens auraient été une solution. «  (fin du poème).

Actuel, non ? Et inactuel aussi…

Cette invasion de la temporalité tout entière par l’imagination concerne aussi le mythe, la manière dont Kavafis s’empare du mythe, le dévorant par l’intérieur et le rendant avec une pureté absolue, libéré de tout pathos et de toute sentimentalité. C ‘est le cas de l’un de ses plus grands poèmes, l’un des plus connus aussi, Ithaque :

« Ithaque t’a offert le beau voyage.
Sans elle, tu n’aurais pas pris la route.
Elle n’a plus rien à te donner. » (strophe 4)

Maintenant – voilà ce qui nous intéresse surtout dans l‘Affaire Kavafis – imaginons qu’un poète ou qu’un écrivain investisse avec une pareille intelligence et un tel esprit de synthèse l’une de nos capitales européennes : Berlin, Vienne, Paris… Strasbourg. Et nos vieux mythes, aussi.La culture européenne s’en trouverait transformée, comme l’a été la poésie grecque aux temps de l’Alexandrin. C’est de tels poètes qu’il nous faut.

Quinzaine hellénique de Strasbourg, du 12 au 28 octobre, sous l’égide de la Représentation Permanente de la Grèce auprès du Conseil de l’Europe et de la Ville de Strasbourg, avec l’aide de toutes les associations grecques ou philhellènes de Strasbourg.
ekalsace@gmail.com

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