La campagne électorale turque – à Strasbourg

Le meeting strasbourgeois du président turc Recep Tayyip Erdogan a, comme prévu, polarisé les populations turques et kurdes dans tous les grand est, y compris la Belgique et la Suisse.

Une foule totalement acquise à la cause nationaliste d'Erdogan hier au meeting électoral strasbourgeois du président turc. Foto: Claude Truong-Ngoc / Eurojournalist(e)

(KL) – Ils étaient 15 000 hier au Zénith à Strasbourg, venus de tout l’est de la France, de l’Allemagne voisine, et même de la Belgique et de la Suisse. Officiellement, il s’agissait d’un «meeting contre le terrorisme», mais il est évident qu’il s’agissait d’un meeting électoral, cherchant à rallier les électeurs turcs à l’étranger à sa cause qui est un nationalisme d’orientation religieux – le fondateur de la Turquie moderne, Kémal Attatürk, se retournerait dans sa tombe de voir comment Erdogan agit à l’encontre de la laïcité.

Il est vrai que l’attitude d’Erdogan est difficile à cerner. D’une part, la Turquie a accueilli plus d’un million de réfugiés syriens, faisant preuve d’une solidarité énorme, d’autre part, le comportement de la Turquie vis-à-vis des Kurdes qui combattent le «Daesh» dans la région frontalière entre la Syrie et la Turquie est tout sauf clair. Les environ 1500 manifestants rassemblés hier sur la Place Kléber à Strasbourg pour protester contre la venue d’Erdogan dans la capitale européenne, soulignaient justement ce double langage ainsi que cette orientation islamo-nationaliste d’Erdogan qui continue à poursuivre ses opposants dans son pays.

Devant les environ 15 000 participants au meeting au Zénith, Erdogan a sorti son discours habituel lorsqu’il se trouve à l’étranger. Il a déjà presque tenu le même discours lors de ses derniers «meetings» en Allemagne, martelant à ses compatriotes ce «intégration oui, assimilation non», en rappelant à ses compatriotes leur identité de «Turcs européens», avec un accent particulier sur le terme «turc». Rien de neuf, et presque inutile de souligner que les Turcs vivant à l’étranger aient une identité turque, ce qui est logique. Un allemand vivant en France est toujours un allemand, un allemand vivant en France. Mais Erdogan cherche à stimuler un sentiment nationaliste parmi ses compatriotes, pour mieux se placer pour les élections présidentielles en Turquie en 2017.

Et que penser de ses allusions aux «gens qui menacent notre pays avec des armes, avec des bombes», tout en estimant que les frappes russes (et bien entendu, françaises et américaines) contre «l’Etat Islamique» seraient «inacceptables» ? Est-ce que Erdogan se range vraiment ouvertement du côté du «Daesh» ? Le président turc semble confondre la cause et la conséquence et on ne peut pas s’empêcher de penser aux multiples témoignages qui parlent d’un commerce fleurissant entre le sud de la Turquie et le «Daesh» – mais Erdogan n’est pas très clair sur la question de quel côté il se trouve. On a compris qu’il est contre l’action militaire russe, contre l’action militaire américaine et française, mais sa position vis-à-vis de «l’Etat Islamique» n’est pas claire.

Mais ce qui est clair, c’est que la Turquie de Recep Tayyip Erdogan persiste à poursuivre des journalistes considérés comme «hostiles» au régime d’Ankara, que d’autres groupes de la société moderne soient également poursuivis, que le président turc souhaite établir des règles de société qui sont loin, très loin de l’état laïque que Kémal Attatürk avait instauré. Ce qui n’a pas empêché la foule dans le Zénith de célébrer son président comme une superstar. A croire que le nationalisme extrême soit un sujet toujours aussi porteur.

L’attitude «Intégration oui, assimilation non» pose problème. Car en Europe, nous sommes à la troisième et quatrième génération de jeunes turcs, nés en Allemagne, en France, en Suisse ou ailleurs et qui sont de plus en plus handicapés par le conflit culturel entre certaines règles proche de l’archaïque des générations précédentes et d’un mode de vie européen. Pour ces jeunes n’ayant jamais vécu en Turquie, n’ayant pour certains même pas visité le pays de leurs parents, cette consigne du président turc constitue un véritable fardeau. En obéissant aux règles de leur parents, ils ne sont pas chez eux dans le pays où ils sont nés, mais il ne sont pas non plus chez eux en Turquie où ils sont considérés comme européens. Difficile de trouver une identité culturelle lorsque cette «interdiction d’assimilation» empêche une véritable intégration.

«Pas de dictateur à Strasbourg», pouvait-on lire sur les pancartes des manifestants au centre-ville strasbourgeois, mais force est de constater que le dialogue entre les différentes communautés turques n’a pas lieu. «Vous allez mettre un terme au terrorisme aux urnes», lançait Erdogan sous les applaudissements de la foule, dévoilant par là sa véritable motivation pour venir à Strasbourg. Ce qui n’était surtout pas censé être un meeting électoral, était en tout premier lieu un meeting électoral. Qui n’a rien apporté de nouveau, mais qui aura encore approfondi davantage la scission dans la société turque, scission qui existe autant en Turquie que chez les turques qui vivent à l’étranger.

Mais il y avait aussi ceux qui protestaient contre la venue du président turc... Foto: Claude Truong-Ngoc / Eurojournalist(e)

Mais il y avait aussi ceux qui protestaient contre la venue du président turc… Foto: Claude Truong-Ngoc / Eurojournalist(e)

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