La Covid-19 vs. le tourisme de masse en plein effondrement

Alain Howiller analyse les conséquences de la pandémie sur le tourisme de masse qui constitue pour beaucoup de pays et de régions, une source de revenus indispensable.

Le tourisme de masse - décrié à juste titre comme à Venise, son absence a des conséquences désastreuses aussi. Foto: JanManu / Wikimedia Commons / CC-BY-SA 4.0int

(Par Alain Howiller) – Que la Covid-19 première vague se relance ou que nous soyons entrés dans une deuxième vague qui se lance, la crise sanitaire n’a que faire des querelles d’experts. Le constat est clair : la crise sanitaire perdure et tend même à se développer particulièrement en Europe. Au sein même de l’Union Européenne, des tensions resurgissent et des frontières se ferment ou risquent de se fermer rapidement, alors que Paris et Berlin sont d’accord pour souligner… « qu’il faut apprendre à vivre désormais avec le virus », les deux pays se séparent sur une double approche – l’économie allemande attend les effets du plan de relance, l’économie française attend de prendre connaissance du… contenu détaillé d’un plan de relance dont on attend désormais la publication le 3 septembre ! S’il est un secteur de l’économie des deux pays qui a notablement souffert et qui continue de souffrir avec les restrictions de circulation, c’est le tourisme. Les responsables du secteur ne cessaient de souligner qu’ils dirigeaient des entreprises qui ne risquaient pas de se délocaliser et voilà que ce sont les touristes qui ne se.. délocalisent plus, faute de pouvoir se déplacer – crise sanitaire oblige – vers les destinations hier encore prisées !

L’enjeu : 10% du PIB mondial – Ceux qui, il y a encore quelques mois, se plaignaient du trop plein né d’un tourisme de masse et souhaitaient l’émergence d’un tourisme de « qualité » (« de classe » en quelque sorte) et qui avaient inventé le terme de « sur-tourisme » (« Über-Tourismus » en Allemagne, « Over-Tourism » dans les pays anglo-saxons), s’en mordent aujourd’hui les doigts : tout se passe comme si le reflux du tourisme international faisait redécouvrir, en dépit des critiques anciennes sur le tourisme de masse, les vertus – sonnantes et trébuchantes – d’une industrie touristique qui représente un peu plus de 10% du PIB mondial (plus de 7% du PIB français contre un peu moins de 5% du PIB allemand) et du nombre d’emplois sur la planète. Un tourisme qui, pour vivre, doit être ouvert sur le monde et qui ne peut pas se contenter d’un « tourisme domestique » nourri par les nationaux.

Or, d’après « l’Organisation Mondiale du Tourisme – OMT », structure créée en 1974 par l’ONU, le nombre de touristes internationaux avait déjà chuté de janvier à mai de 55% par rapport à la période correspondante de l’année dernière. Ce qui représente environ 300 millions de visiteurs en moins, soit un manque à gagner de 320 milliards de dollars : trois fois plus que le montant des pertes enregistré par le tourisme international lors de la crise économique et financière de 2009 ! « L’effondrement du tourisme international met en danger les moyens d’existence de millions et de millions de personnes et d’entreprises, notamment dans les pays en développement », rappelle le Géorgien Zurab Pololikashvili, secrétaire général de l’OMT.

Une centaine de millions d’emplois menacés – Le manque à gagner, du fait de l’absence de touristes étrangers, pèsera sur l’économie de tous les pays : l’OMT estime que si, en 2020, le nombre de touristes internationaux diminuait, comme on le redoute de 60 à 80%, le manque à gagner serait de 910 à 1200 milliards de dollars ; et 100 à 120 millions d’emplois pourraient disparaître de ce fait à travers le monde. La France accueille, y compris les excursionnistes d’un ou deux jours, plus de 200 millions de touristes par an, l’Espagne et l’Italie plus de 100 millions et l’Allemagne 90 millions ! « L’Observatoire Français des Conjonctures Economique – OFCE » de la Fondation Nationale de Sciences Po avait calculé (hypothèse purement virtuelle) que si le tourisme international ignorait la France et que les Français se rendant généralement à l’étranger restaient dans le pays, la balance se traduirait par -0,7% du PIB. On est désormais loin des vœux de ceux qui, hier encore, avant l’irruption de la crise sanitaire, voulaient diminuer, voire écarter le « sur-tourisme » : on en est revenu à un scénario qui entend, si la Covid-19 le voulait bien, promouvoir le retour des touristes internationaux !

Souvenez-vous : c’était « hier » pour certains, « avant-hier » déjà pour d’autres : les calicots flottaient au vent et, un peu partout dans le monde, s’étalaient sur les murs « Restez chez vous ». A Venise et à Rome, on protestait contre les « invasions barbares » qui polluaient l’air, encombraient encore plus les rues, faisaient monter les prix, pesaient sur le coût des logements. A Barcelone, on lançait « Le tourisme tue la ville » et les Majorquins reprenaient en l’adaptant une vieille insulte : « Tourists go home ! » Les riverains de l’Atlantique ou de la Mer Baltique, de la Méditerranée à la Mer du Nord, n’échappaient pas au mouvement et en Bretagne, on taguait des voitures dont les immatriculations rappelaient l’Ile de France ! Partout dans le monde, les habitants protestaient contre les contraintes et les désordres nés de ce qu’on appelait la « massification du tourisme ». Trop de touristes tue le tourisme ; et d’un pays à l’autre, d’un continent à l’autre, on commençait à réfléchir et, de plus en plus souvent, à agir contre un « sur-tourisme » – dont les excès menaçaient l’environnement, la propreté, l’hygiène, raréfiaient les logements disponibles dont les propriétaires se servaient de plus en plus du système « Airbnb », alimentaient la pollution par la circulation automobile, contribuaient à l’inflation des prix…

Overdose d’Amsterdam à Venise. – « L’overdose » a suscité à travers le monde des mesures pour limiter le « tourisme de masse » et promouvoir une sorte de « tourisme de… classe ». Pour le quotidien économique « Les Echos », Amsterdam livre un exemple significatif en décidant une limitation de la durée de location des « meublés », interdiction des cars en ville, refoulement des bateaux-mouches en périphérie, interdiction d’ouvrir de nouvelles boutiques-souvenirs, augmentation des prix pour l’entrée des musées. Outre la création d’un nouveau terminal d’accueil des bateaux de croisière, Venise a limité l’accès au « centre » des croisiéristes et de leurs passagers, a interdit l’ouverture de nouveaux hôtels, a fixé des quotas pour le nombre de visiteurs admis sur les sites (la place Saint Marc notamment), a décidé la création d’une taxe d’entrée dans la ville.

Ailleurs, des sites ont été interdits, des plages fermées, des bateaux de croisière interdits d’accoster, des taxes instaurées. Quotas quotidiens et taxation ont été mis en application à Dubrovnik, sommée par… l’UNESCO de prendre des mesures de limitation, si elle veut garder son label d’appartenance au patrimoine culturel de l’humanité. Mesure spectaculaire aux Philippines dont le Président avait décidé la fermeture d’une île « qualifiée » de « fosse septique ».

Pandémie et mondialisation. – La pandémie a fait un sort aux limitations : celles-ci vont désormais de soi et les plus optimistes ne prévoient guère un retour à une forme (mais laquelle ?) de normalité, si la Covid-19 appartenait aux mauvais souvenirs. Mais le secteur touristique n’échappera pas à une réflexion de fond sur son avenir. Quel tourisme demain : à quel horizon retrouvera-t-on des niveaux d’activité porteurs de croissance ?

Au sortir de la crise sanitaire, quelles seront les contraintes, les exigences portées par les touristes de demain ? Avant la crise (sur-tourisme oblige), les responsables du tourisme se posaient déjà ces questions – mais, à l’image des interrogations que l’évolution et le sort de la mondialisation posent aux pouvoirs et aux économistes, la crise a accéléré et approfondi le débat.

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