La fabrique des abrutis – Haro sur les jeux vidéo !
Le tragique assassinat de la jeune Louise provoque un certain « video games bashing ». Quand l’imbécile montre la lune, pourquoi le sage regarderait-il alors le doigt ?

(Jean-Marc Claus) – A l’instar de certains toxicomanes, consommateurs de substances légales ou illégales, attribuant aux seuls produits, l’entière responsabilité de leurs exactions et méfaits personnels commis sous emprise de toxiques, peut-on rendre les jeux vidéos responsables d’un accroissement de la violence, conduisant, comme ce fut le cas récemment, à l’assassinat par un video gamer frustré, d’une jeune fille choisie au hasard ? Vous avez quatre heures, dirait-on en plaisantant, si le sujet n’était pas si grave.
Quand l’imbécile montre la lune, pourquoi le sage regarderait-il alors le doigt ? Allons voir ça de plus près. Le chercheur en sciences cognitives Franck Ramus, se référant à une publication relative à la diminution du taux d’homicides en France depuis l’introduction des jeux vidéo, se questionnait il y a peu,quant à « en déduire que les jeux vidéo diminuent la violence », car « le temps que les jeunes hommes passent sur leur console, ils ne le passent pas désœuvrés dans la rue. ». Mais corrélation n’étant pas preuve de causalité, « cette conclusion n’est pas plus valide que la conclusion inverse »,disait-il.
Ceci pour souligner que les explications simplistes de phénomènes complexes, conduisent immanquablement à des erreurs d’analyses, volontaires ou involontaires. Explications simplistes et non simples, car les premières découlent d’une étroitesse d’esprit manifeste, alors que les secondes nécessitent un gros effort de vulgarisation, auquel tous les chercheurs ne sont pas prêts. Rendre les jeux vidéos responsables de la violence de certains jeunes, procède du même raccourci que de prétendre l’alcool seul responsable de l’alcoolisme, comme si cette substance entrait d’elle-même, dans l’organisme de quidams choisis au hasard !
En 2003, dans une publication intitulée « Violence et sociabilité dans les jeux vidéo en ligne », les chercheurs Michel Nachez et Patrick Schmoll affirmaient que « Le jeu vidéo violent se présente pour les adolescents comme une manière de canaliser des pulsions violentes et de les laisser s’exprimer, ce qui entraîne un meilleur équilibre et une baisse des tensions intérieures ». C’était il y a près d’un quart de siècle, aujourd’hui l’association e-Enfance reconnue d’utilité publique, propose aux parents « un espace unique de conseils entièrement dédiés à la pratique du jeu vidéo des enfants et des adolescents ».
La fondation suisse Pro Juventute, reconnue elle aussi d’utilité publique, qui souligne l’étiologie multifactorielle des comportements violents, n’exclut pas que les jeux vidéos puissent être un élément de la constellation de causalités, mais rappelle que« la communauté scientifique s՚accorde à dire que la consommation de contenus violents ne conduit pas automatiquement à des actes de violence ». En 2023, le président Emmanuel Macron mettait en lien les jeux vidéos et les émeutes urbaines d’alors. Une rengaine que l’on n’a pas fini d’entendre serinée, par des politiques de tous bords. Donald Trump et Nicolas Sarkozy avaient avant lui poussé cette chansonnette, qui en 2019, suite à la tuerie d’El Paso et qui, en 2015, suite aux attentats du 13 novembre.
Nihil novi sub sole, serait-on tenté de dire, bien que depuis, il y ait du nouveau sous le soleil. Du nouveau que les politiques à la solde des puissances d’argent, ne veulent surtout pas exposer aux sunlights. De la petite enfance à la sortie de l’adolescence, la jeunesse bénéficie de moins en moins de moyens d’encadrement et de soutien, ainsi que de prévention des risques spécifiques à chaque tranche d’âge. Exit les éducateurs de rue, massacre à la tronçonneuse du service public de la pédopsychiatrie, difficultés croissantes pour les parents de trouver des modes de garde pour leurs enfants non scolarisés et ensuite après l’école, la liste est (trop) longue.
Attribuer aux seuls jeux vidéo la violence de certains jeunes, revient également à faire l’impasse sur une certaine démission parentale, dont il faut malheureusement aussi faire le constat. Si des structures telles qu’entre autres Pro Juventute et e-Enfance, proposent leur aide aux parents, c’est bien parce que ces derniers en ont besoin, mais s’en saisissent-ils ? On ne saurait faire boire un âne qui n’a pas soif, dit le fameux proverbe. Soit, mais s’est-on vraiment questionné sur ce qui coupe la soif du susdit âne ?
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