La fabrique des abrutis – Palmade : la palme de l’indécence

Une vedette sous l’emprise de stupéfiants, cause un accident de la route gravissime, et elle suscite la sollicitude de la plupart des médias...

Après le spectacle « Pierre Palmade and Friends » en octobre 2022 ; quid des amis de Pierre Palmade en février 2023 ? Foto: Mano Solo13241324 / Wikimedia Commons / CC-BY-SA 4.0int

(Jean-Marc Claus) – Le tragique accident survenu il y a une dizaine de jours, relevant plus de l’homicide par imprudence avec dommages corporels graves causés à des tiers, a mis l’humoriste, qui ne fera plus rire personne, à la une de nombreux médias et ce n’est pas fini. Pierre Palmade, 54 ans et infiniment moins de jugeote que l’enfant de 6 ans qu’il a très grièvement blessé, infiniment plus de chances de bon rétablissement que le conducteur du véhicule percuté, infiniment plus d’espérance de vie que l’enfant à naître qu’il a tué et infiniment moins de dévastation intérieure que la femme qui le portait.

Étrangement, ces dernières personnes n’ayant foncièrement pas moins de valeur que le comédien, font presque figure de faire-valoir pour un membre du gotha. L’auteur de ce dramatique accident et la traitement médiatique qui en est généralement fait, méritent bien la palme de l’indécence. Il y a là un symptôme évident de l’impact de l’inversion des valeurs, sur le discours tenu dans une société focalisée sur la réussite et le développement personnel, au détriment du collectif et du vivre-ensemble.

Au siècle dernier, les jeunes rêvaient de devenir des vedettes et la plupart se réalisaient dans des professions utiles. Au siècle présent, « influenceur » est un projet de vie et prendre réellement soin de ses semblables, un métier de misère. D’où la légitime et bien naïve question : « Mais où, quand et pourquoi est-ce que ça a bugué ? ».

Le traitement médiatique des événements tragiques vécus par cette famille, dont le véhicule a été fauché sur la route par un irresponsable, nous parle très clairement non du où, quand et pourquoi ça a bugué, mais du comment ça bugue. Or, il faut le reconnaître, ça bugue gravement en matière d’information et de communication. D’information, car sur les victimes de cet accident-ci, mais aussi d’autres très similaires, vu que ce n’est pas un phénomène isolé, il est dit bien peu de choses en somme. De communication, car à force de mettre le focus H24 sur l’auteur des faits et ses deux comparses, on en viendrait presque à oublier la guerre se déroulant 2.000 km plus à l’est.

« On est mal patron, on est mal ! », dit la publicité d’un célèbre hard discounter, mais là on n’est plus mal, car on n’est tout simplement plus. On n’est plus rien, on n’existe plus si tant est qu’on ait jamais existé. L’individu lambda qui, sous l’emprise de la faim, vole un sandwich, se retrouve en maison d’arrêt en attendant d’être jugé, alors que la vedette qui, sous l’emprise de stupéfiants cause un accident gravissime, est assignée à résidence en centre de désintoxication. La maison d’arrêt serait-elle un centre de désintoxication pour les crève-la-faim volant à l’étalage ? Les victimes des accidents de la route, causés par des individus mettant sciemment par leur conduite les autres en danger, passent à perte et profits. Pourquoi la vie des un(e)s aurait-elle plus de valeur que celle des autres ?

La fabrique des abrutis tourne à plein rendement et beaucoup trop de médias cèdent à la tentation du hard discount de l’actualité brute, alors qu’ils gagneraient à se positionner sur le créneau de l’épicerie fine du questionnement des faits. En 1888, Émile Zola écrivait : « C’est l’information qui, peu à peu, en s’étalant, a transformé le journalisme, tué les grands articles de discussion, tué la critique littéraire, donné chaque jour plus de place aux dépêches, aux nouvelles grandes et petites, aux procès-verbaux des reporters et des interviews. ». A l’heure où certaines chaînes d’info en continu, sont des versions journalistiques de la combinaison mortifère mal-bouffe – junk food, ces paroles du courageux journaliste auteur de « J’accuse… ! », résonnent encore plus fort qu’à la fin du XIXe siècle.

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