La fusion des Grandes Régions n’est pas un succès…

… estime la Cour des Comptes. Alain Howiller en explique les raisons.

Les économies annoncées en amont de la fusion des régions ne se sont pas réalisées, au contraire. Foto: 4028mdk09 / Wikimedia Commons / CC-BY-SA 3.0

(Par Alain Howiller) – Patatras : les projecteurs de l’actualité se sont à peine éteints sur la cérémonie d’accueil de la Sarre désormais abritée, Boulevard Saint Germain, au siège parisien de la région « Grand Est », qu’est publié le rapport très critique de la Cour des Comptes sur le bilan de la fusion des régions dont le nombre avait été ramené, au premier janvier 2016, de 22 à 13. L’Alsace était intégrée avec la Lorraine et Champagne-Ardenne dans une structure commune baptisée « Région Grand Est ». Avec cette réforme, le Président de la République François Hollande, affirmant vouloir s’inspirer de la taille des « Länder allemands », voulait créer des régions de dimension européenne s’appuyant sur des économies substantielles. Si sur le point de la taille on sut de suite – mais en vain – attirer l’attention du père de la réforme sur le fait que l’efficacité des « Länder » n’était pas une question de taille, mais de pouvoir, la Cour des Comptes a fait un sort au second point en soulignant que « …la mise en place de la réforme, les économies de gestion annoncées ne sont pas au rendez-vous… »

La Cour estime que la rationalisation de l’action des collectivités que la réforme devait susciter ne s’est pas faite, les gains ont été rares « faute de réorganisations structurelles importantes », les rémunérations des personnels ont été alignées sur les rémunérations les mieux disantes des anciennes régions désormais fusionnées (+11,9%), celles des élus (+8%) (note de la rédaction : sauf dans le Grand Est où elles ont diminué de 20%), les frais de déplacement ont crevé les plafonds, des doublons de postes ont été maintenus entre anciennes régions, les effectifs n’ont pas été réduits, l’harmonisation des systèmes informatiques a généré des coûts supplémentaires, la fiscalité a progressé dans l’ensemble (+35% en trois ans !).

Quand le « Grand Est » caracole en tête. – Pour ce qui est de la progression des rémunérations des personnels (+28,3% en trois ans), le « Grand Est » s’est inscrit en tête des régions fusionnées devant la région « Nouvelle Aquitaine » (Bordeaux, +18,7%), la « Bourgogne-Franche Comté » (Dijon, 18%), et « l’Occitanie » (Toulouse, +17%). Le Président de la région « Grand Est », l’ Alsacien Jean Rottner, ancien maire de Mulhouse, à qui on reproche en Alsace de pousser les feux pour parfaire les fusions au sein de la région qu’il préside au point de lancer un appel d’offre « pour la mise en place d’une stratégie de communication externe globale pour permettre de construire le fait régional » assume cette progression qui « distribue du pouvoir d’achat ».

Il ne manque pas de rappeler les décisions positives prises dans le cadre du « Grand Est » : la politique d’investissements, les soutiens à l’économie, aux lignes ferroviaires, au développement du haut débit, à l’agriculture : « notre vraie responsabilité est dans l’amélioration du pouvoir d’achat », confie-t-il dans une interview, « et dans l’efficacité de nos investissements, dans la création d’activité économique ». Sur le plan national, les défenseurs de la réforme insistent sur le fait que la mise en place de celle-ci demande du temps.

C’est justement le temps qui commence à manquer à ceux qui, profitant des constats dressés par la Cour des Comptes, travaillent à la création de la « Collectivité Européenne d’Alsace – CEA » que le gouvernement leur a concédée pour répondre, dans le cadre maintenu du « Grand Est », à la demande des Alsaciens – en particulier de Frédéric Bierry, Président du Conseil Départemental du Bas-Rhin, et de Brigitte Klinkert, Présidente du Conseil départemental du Haut-Rhin; dont les assemblées ont décidé de fusionner – soucieux de retrouver une identité propre.

Répondre au désir d’Alsace ! – La « C.E.A. » doit répondre à ce « désir d’Alsace » dont on trouve l’expression dans les sondages : 85% des Alsaciens ne souhaitent-ils pas être consultés par référendum sur leur maintien dans le « Grand Est » que… 66% sont désireux de quitter !(1) La future « Collectivité européenne d’Alsace » qui naîtra de la fusion des deux conseils départementaux du Bas- et du Haut-Rhin doit entrer en service le 1er Janvier 2021 : les représentants des conseils départementaux négocient d’arrache-pied pour concrétiser une fusion qui devra définir un budget commun d’ici à la fin de 2020, avant les élections départementales de Mars 2021. Ces élections ouvriront la voie à une assemblée de 80 élus (46 du Bas-Rhin et 34 du Haut-Rhin). La « C.E.A. » supposera des discussions entre les départements mais aussi avec la Région Grand Est.

Pour François Bayrou « c’est la guerre entre la région Grand Est et l’ancienne région Alsace qui veut se reconstituer de toutes les manières. Et d’une manière ou d’une autre, les identités fortes se reconstitueront. » Pour beaucoup d’observateurs, la « C.E.A. » sera sans doute une « étape vers une renaissance plus large de l’ancienne région Alsace. » « La réforme… notamment celle du Grand Est, non seulement ne génère pas d’économie, mais provoque une hausse impressionnante des coûts… Il faut revenir sur cette réforme absurde et antidémocratique, puisque conduite sans le consentement du peuple des électeurs qui d’ailleurs n’a pas été consulté », souligne Pierre Klein, Président du mouvement « Initiative Citoyenne Alsacienne – ICA ».

Coup d’oeil Outre-Rhin. – Comment ne pas penser, lorsqu’on évoque l’avenir d’une nouvelle région Alsace, à ces paroles de Malu Dreyer, Ministre-Présidente de Rhénanie-Palatinat, qui disait, évoquant les projets de fusion(2) entre la Sarre et la région de Rhénanie-Palatinat : « On ne fusionne pas des régions pour les seules raisons économiques ou fiscales. Il faut encore que les cœurs adhèrent à l’idée ! »

Car des projets de fusion (Annette Kramp-Karrenbauer avait encore évoqué, en 2014, la réduction du nombre de régions de 16 à 6 ou 8) existent aussi en Allemagne où, après la réussite de la création du Bade-Wurtemberg, on a sagement rangé les idées en la matière, dans un tiroir ! Sage décision que les pouvoirs publics devraient reprendre en France !

(1) Voir eurojournalist.eu du 31 juillet 2019.

(2) Voir eurojournalist.eu du 29 Octobre 2014.

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