La Grande Région est née !

Ce que Philippe Richert, son premier président, veut en faire !

Le nouveau président de la région "ACAL" lors de son premier discours devant le nouveau Conseil Régional lundi à Strasbourg. Foto: Claude Truong-Ngoc / Eurojournalist(e)

(Par Alain Howiller) – Pour ceux qui, comme les rares manifestants brandissant les drapeaux blancs et rouge de l’autonomie alsacienne à la porte de l’Hôtel de Région à Strasbourg, doutaient encore que la page de la «Région Alsace» se tournait au profit du nouvel ensemble «Alsace-Champagne-Ardenne-Lorraine – ACAL», le discours du nouveau Président de la «méga-région de l’Est» a été clair.

Elu par sa majorité (102 voix obtenues sur 104 : seules lui ont manqué… son vote et celui d’une élue absente)(1), Philippe Richert, président sortant de la Région Alsace et nouveau président de l’entité «ACAL», a souligné : «(Il s’agit)… de rassembler les territoires de la nouvelle collectivité qui voit le jour et à laquelle nous avons à donner sa forme et ses contours… Il s’agit, tout d’abord, de donner corps à notre nouvelle collectivité : «harmoniser» chacune des politiques publiques existantes en Alsace, en Champagne-Ardenne et en Lorraine, c’est à dire inventer des politiques conçues pour cette nouvelle région… Plus cette région est grande, plus elle vous impose d’être également proche de vous !… Il ne s’agit pas de juxtaposer trois conseils régionaux en un seul, mais bien de construire et d’imaginer ensemble la radicale nouveauté d’une collectivité unique.»

Si la majorité a raison, la minorité n’a pas tort ! – Le ton était donné et même la petite allusion au fait que tout le monde (un euphémisme en Alsace ! n’avait pas été favorable à la nouvelle collectivité territoriale, voir eurojournalist.eu du 28 Octobre) a disparu dans la version imprimée d’un discours marqué par l’approche centriste et consensuelle d’un  Philippe Richert qu’un attachement à la majorité conservatrice d’hier et peut être ses liens avec François Fillon, dont il fut le Ministre des collectivités territoriales, rangent encore dans le camps des «Républicains», le parti de Nicolas Sarkozy !

L’ancien Ministre, tirant, lui aussi, la leçon des récentes élections régionales qui faillirent, ici aussi, inscrire dans la réalité du pouvoir un «Front National», qui compte 46 élus dans «ACAL», a affirmé vouloir «faire de la politique autrement». Ce qui commence «par une chose : faire de la politique ! C’est à dire servir l’intérêt général et ne jamais  servir que lui !» Pour cela il faut éviter les «postures», ne pas «faire du théâtre», ne pas adhérer au principe qui veut que la «majorité croit avoir numériquement raison et que la minorité estime que son rôle est de dire ‘non’ en toute heure et en toute circonstance, alors que la démocratie n’est plus qu’un théâtre d’ombre…». Et Philippe Richert de citer cette phrase d’Albert Camus : «La démocratie ce n’est pas la loi de la majorité. Mais la protection de la minorité !»

Strasbourg confortée ? – Beau discours en vérité, digne des cercles de réflexion, des «think tank» qui, depuis les attentats et la montée de l’extrême-droite en France, fleurissent en la République. Beau discours aussi auquel le nouveau président de la «méga-région» veut donner un contenu pratique : «consulter et associer les citoyens sous des formes qui restent à préciser». Il veut «associer la gauche à la gouvernance régionale, sans la compromettre et ce, sous des formes dont nous aurons à préciser les contours dans les semaines qui viennent». Il entend faire se représenter les 10 Départements de la région par des postes de vice-présidents et répartir, au sein de la gouvernance régionale, les fonctions et les rôles dans une répartition juste et équitable : «Mieux encore nous organiserons l’administration régionale, de telle manière que l’action publique embrasse parfaitement la diversité des territoires», souligne Philippe Richert qui reprend une idée exprimée dès le soir du deuxième tour des élections régionales : «faire du Grand Est, un laboratoire de la démocratie territoriale». C’est dans cet esprit qu’il propose à la gauche, la présidence de la Commission des Finances.

Cela suppose aussi une répartition des lieux de décision qui bénéficieront d’une large décentralisation dans leurs pouvoirs car il ne s’agit pas de créer une centralisation régionale. «Il s’agira de jouer la carte des complémentarités entre Strasbourg (défini dans le discours comme «siège de la région», notion non reprise dans la version imprimée et distribuée), Metz et Châlons».

Cœurd’Europe, la région aux 4 frontières ! – «Nous sommes les marches de l’Est. Nous sommes la France. Et nous sommes l’Europe», précise Richert qui ajoute : «Nous le sommes par nos quatre frontières, qui devront être pour nous des leviers puissants de notre développement. Nous sommes au cœur, un espace transfrontalier exceptionnel. Nos voisins ont d’ores et déjà manifesté leur volonté de coopération renforcée avec cette nouvelle région. Sachons utiliser ces opportunités».

Rappelons que deux de ces voisins -les Länder de Bade-Wurtemberg et de Rhénanie-Palatinat, dirigés le premier par une coalition «Verts-SPD» et le second par une association entre «SPD» et «Verts»- renouvelleront leur parlement régional le 13 Mars : d’après les sondages, une alternance est possible dans les deux cas.

Parmi les projets défendus, dès son entrée en fonction, par le nouveau président, il y a un effort en faveur de l’investissement au bénéfice de l’emploi et de l’économie en général : «Nous créerons, sur le modèle d’Alsace Capital(2), des fonds souverains régionaux, pour le financement des fonds propres de nos PME-PMI. Ces fonds, dotés de 100 à 300 millions d’euros, réunissant les moyens publics et privés, permettront le développement de l’innovation et la reprise d’entreprises. Ils s’appuieront également («je le souhaite», précise Philippe Richert) sur l’épargne des Alsaciens, des Champardennais et des Lorrains : «nous lancerons ainsi une obligation régionale, rémunératrice pour nos concitoyens qui investissent dans la création d’emplois et pour nos entreprises». Pour aller dans le sens d’une relance économique, le président va rencontrer le Premier Ministre, pour lui proposer une meilleure coopération entre les services et les moyens de l’Etat et ceux des Régions, pour promouvoir un éventuel transfert de compétences pour, par exemple, assurer un pilotage unique des actions de formations professionnelles actuellement séparées entre l’Etat et la Région. Tout porte à croire qu’au-delà de ces mesures qui aideront la nouvelle région, les propositions servent aussi à soutenir la nouvelle ambition de Philippe Richert : devenir Président de l’Association des Régions de France, dans laquelle «il entend s’investir !»

Futur Président des Régions de France ? – Si on interprétait l’applaudimètre régional qui a longuement salué, lundi, l’exposé de Philippe Richert, il mériterait de gagner ce poste national ! Le succès obtenu aussi bien lors des élections que ce lundi, lors de son intervention de nouveau président, est d’autant plus à saluer que Philippe Richert revient de loin : malgré le maintien au second tour, d’une liste de «gauche» condamnée par le PS national, il a su battre le Front National arrivé en tête du premier tour des élections régionales. Hier opposant à la nouvelle région, il a du sublimer l’opposition alsacienne interprétée aussi bien en Lorraine qu’en Champagne-Ardenne comme un signe de repli voire de mépris des Alsaciens vis-à-vis de leurs nouveaux partenaires.

Il a su fédérer à travers une approche consensuelle dont son discours devant le Conseil Régional était imprégné :  il a su parler du maintien des anciennes «identités régionales qui ne disparaitront pas ni ne s’affaibliront». Aux territoires qui, avec le départ de services publics ou privés (médecins, commerces, entreprises), se sentent un peu oubliés, il a su proposer un «pacte de ruralité» pour enrayer la «désertification» et faire en sorte que «nul ne soit oublié au bord du chemin».

Six ans pour réussir, au-delà du pari autonomiste ! – Reste maintenant à concrétiser tous ces projets : la nouvelle région a 6 ans pour le faire. Il lui faudra dans les prochaines semaines -parfois dans les prochains mois, selon les dispositions légales- se trouver un nom, conforter sa capitale, désigner les lieux de réunions, les sièges des institutions «décentralisées», adopter un budget (avec les économies nécessaires), tracer les lignes-force de ses coopérations avec les villes, les conseils départementaux, négocier avec les syndicats (FO manifestait déjà, lundi, devant l’entrée de la «maison de la région») pour trouver d’éventuelles adaptations salariales ou mutations etc…

Et puis il faudra, en Alsace, que la Région fasse face aux autonomistes qui essaieront de faire pression depuis le dehors de l’institution régionale, en attendant, persuadés que le temps travaille pour eux, de trouver des élus lors de futures élections locales. Avec une moyenne (à conforter !) d’un peu plus de 10% des voix en Alsace, lors des élections régionales, des espoirs leur sont permis et certains de rêver d’une monté à la Corse, à la Catalane ou à l’Ecossaise !

(1) www.alsacechampagneardennelorraine.eu

(2) Alsace Capital est une société régionale de capital d’investissement, créée en 2012. Elle participe au développement des PME et PMI alsaciennes (conseil, amorçage de création, développement, transmission d’entreprises, contribution aux fonds propres). Elle bénéficie du concours des banques CIC-Est, Neuflize, Banque Populaire, Crédit Mutuel et Kolb.

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