La haine en Pologne et ailleurs

Nous sommes tous frères, les gars !

Haine Amour, un ambigramme de Basile Morin Foto: Basile Morin / Wikimédia Commons / CC-BY-SA 4.0Int

(Marc Chaudeur) – Il semble que nous entrions dans une nouvelle période. Cette période est marquée, dans toute l’Europe et sans doute, dans le monde entier, par une sorte de barbarie, de brutalité fondamentale. On s’y familiarise, hélas : du Brésil au Danemark, les paroles et les actes sont durs, non dialogiques : on dirait qu’il s’agit de terrasser l’adversaire comme en lutte gréco-romaine, ou en judo quand il est pratiqué par des mastards de 150 kilos.

Pourquoi ? La crise ? Oui, mais pourquoi n’était-ce pas le cas, à notre sentiment, à l’occasion de crises précédentes ? Il semble qu’une sorte de haine fondamentale jaillisse dans les rapports humains. On peut constater les jets de venin de cette animosité élémentaire à chaque instant, ici, dans la rue, dans l’agitation des Gilets jaunes ou dans les pays qui sont déjà régis par des gouvernements populistes, et qui attendent avec impatience que les Etats d’Europe occidentale les suivent.

Prenons l’exemple des Polonais . Ils se sont mis à réfléchir de manière très conséquente sur les moyens d’affronter la haine dans le monde politique et social, et d’en empêcher les effets meurtriers.

Le meurtre du maire de Gdańsk, Paweł Adamowicz, le 14 janvier dernier, a déclenché une réaction très vive contre la violence politique dans le pays. Certes, le meurtrier, un jeune homme de 27 ans, est désigné comme une personne souffrant de schizophrénie ; mais tous les citoyens se sentent concernés. Pourquoi ? Parce que chacun ressent depuis longtemps cette atmosphère de haine. Depuis longtemps. Mais plus encore depuis 2015 : depuis l’augmentation de l’emprise, de plus en plus pesante, du parti PiS (Droit et Justice!) sur cette population de 38 millions d’habitants.

E n somme, les Polonais ont deux longueurs d’avance sur la France que gouvernent à moitié les Gilets jaunes, depuis le mois de novembre : un politicien démocrate et ouvert a été tué, ce qui ne saurait tarder en France si les infox de l‘extrême-droite, les préjugés poujadistes et grimaçants et les agissements à la limite souvent dépassée de la criminalité continuent d’envahir les rues. Et les Polonais réfléchissent déjà sur les moyens d’éradiquer cette violence, ce que les Français feront eux aussi quand, d’une manière ou d’une autre, l’irréparable aura été commis…

Dans les secteurs intellectuels et artistiques de la société, on commence à se battre sur plusieurs fronts. Ainsi, dès le 15 janvier, lendemain de l’attentat de Gdańsk, la Société des Journalistes Polonais ( Towarzystwo Dziennikarskie) publie une Lettre ouverte sur son site internet. Les journalistes signataires, très nombreux et souvent prestigieux, y accusent notamment la télévision « nationale » TVP (et son directeur, Jacek Kurski), un média en réalité phagocyté par le parti national-populiste au pouvoir, de favoriser grandement l’atmosphère de violence dans le pays.

En substance, la Lettre ouverte des journalistes reproche à la TVP, télévision du pouvoir populiste, d’accuser l’opposition (libérale et de gauche) de semer la haine, alors même qu’elle ne fait aucune allusion aux discours des politiciens du PiS ni à ceux, d’allure fasciste, de nombre de participants de la Marche pour l’Indépendance, le 11 Novembre – cette Marche qui célèbre l’indépendance de 1918, mais qui est surtout devenu le moment sacré où les rongeurs aux dents pointues sortent de leurs égoûts. La lettre ouverte épingle ainsi des journalistes (nommons les : Graczak, Maszenda, Sawicki,Wojtanowski) qui contribuent aux infos de la TVP que présente Krzystof Ziemiec. Ces journalistes sont allés jusqu’à invectiver le WOŚP, ce Grand orchestre de Charité de Noël où Adamowicz s’est fait poignarder…

De nombreuses plaintes se sont fait entendre à propos du caractère propagandiste des infos de la TVP et de son animosité affichée à l’égard des opposants politiques. Pour la SJP, les vrais responsables, ce sont bien évidemment Jarosław Kaczynski et Paweł Kukiz, qui chapeautent les deux grands Conseils où l’on prétend – plus ou moins ouvertement – infléchir le contenu idéologique des émissions.

Pour les signataires de cette Lettre ouverte, les autorités font semblant de ne pas voir la poutre qu’elles portent dans l’ œil tandis qu’elles appellent à la fin de la haine dans la vie sociale et politique.

Au delà du domaine de l’information , on a fortement réagi aussi chez les maires, pour des raisons évidentes. Fait très grave : Adamowicz, le maire de Gdańsk, mais aussi 10 autres maires, avaient reçu par la poste un « Acte de décès  politique » (Akt zgonu politicznego). Les auteurs de ces envois : le mouvement des Jeunes Polonais (Mlodzież Wszechpolska), petit parti ultra-patriotard, l’une des chevilles ouvrières de la Marche pour l’Indépendance susnommée. Sur ces fiches : l’ «accusation » d’avoir approuvé l’accueil de migrants dans leur ville. « Causes de la mort : libéralisme, multiculturalisme, imbécillité » est-il indiqué sur ces torchons métaphysiques.

Les maires avaient porté plainte, mais tout récemment, 5 jours avant le meurtre, les autorités juridiques ont classé l’affaire : les juges ont estimé qu’il n’y avait là ni incitation à la haine, ni menace. Mais après le décès et les obsèques d’Adamowicz, les maires on décidé de faire appel de ce jugement aberrant et partial.

L’un des maires concernés, le jeune maire de Wrocław, Jacek Sutryk (40 ans), a déclaré : « Je veux que les événements de dimanche nous transforment ; que nous nous montrions vraiment responsables des mots utilisés et de la qualité du discours politique ». Voilà qui vaut pour la France aussi bien…

Parmi les maires polonais, on a compris que les remèdes passaient beaucoup par l’éducation. Les magistrats ont donc proposé l’élaboration de programmes scolaires aptes à désarmer à l’avance toute tentation de violence sociale ; à commencer celle contre les groupes minoritaires (migrants, noirs, LGBTQ,…

Mais bien évidemment, les catholiques intégristes et les anti-IVG ont réagi promptement et protesté contre ces propositions.

De manière globale, on peut se demander dans quelle mesure une lutte politique contre la violence et la haine a quelque chance d’aboutir réellement. Un esprit hegélien suggérerait d’ailleurs que la haine est nécessairement un moteur de l’Histoire des hommes, autant au moins que l’utopie. Mais cela ne rassure personne, certes, et ne donne que très rarement envie à l’individu humain de se sacrifier pour faire avancer l’Histoire.

 

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