La libre circulation du migrant et du terroriste

L’idée de fermer les frontières fait son chemin, brandie comme une nécessité pour la sécurité de l’Europe. Mais dans un monde globalisé, les murs ne font plus le poids contre les réseaux de marchands de mort et de marchands d’hommes, qui continueront à faire des victimes, en plein Paris comme en Méditerranée.

Comme à Céuta sur le continent africain, l'Europe tente de s'enfermer par des barbelés et des murs. Mais cela ne sert à rien. Foto: Xemenendura / Wikimedia Commons / CC-BY-SA 3.0

(Par Antoine Ullestad et Clément Kolopp) – Alors que certains se sont évertués à ce que les clandestins soient des migrants, d’autres au contraire semblent se démener à faire de l’étranger un barbare. Et les assimilations hasardeuses vont bon train entre migrant et terroriste. De la même façon, Mme Merkel pense que «la libre circulation des personnes est en danger», alors que Mme Le Pen estime que «les frontières-passoires constituent un véritable danger». Que faut-il croire, lorsque l’on dit tout et son contraire des frontières de l’Europe ?

Pris en étau entre crise migratoire et terrorisme, on entend ici et là qu’il faut rénover les accords de Schengen. Début septembre, la porte parole des Républicains déclare même qu’il faut «fermer les frontières, arrêter Schengen, arrêter la libre circulation». Déconstruire l’Union Européenne, en somme.

Le laxisme de la construction communautaire semblerait, en filigrane, être la source des tourments européens de ces derniers mois. L’Union aurait sacrifié la sécurité de ses citoyens à la faveur d’une libre-circulation des personnes débridée.

Dévaluée, immatérielle, presque fantoche, la frontière européenne devrait logiquement, en réaction, être renforcée, d’autres diront rétablie. Intensifier le contrôle aléatoire, instaurer une surveillance systématique dans les transports, construire des murs, autant de mesures, le vent en poupe, qui prendraient le contre-pied de ce que l’Europe a bâti.

Mais l’UE n’a pas fait disparaître les frontières. Il n’y a plus de trait au sol ou de poste-frontière, mais la frontière existe. L’Union a simplement changé leur fonction : hier elles séparaient, aujourd’hui elles relient et intègrent. Ouvrir ses frontières est aujourd’hui la règle, alors que les fermer est une exception, en cas de menace à la sécurité.

Prendre en considération cette réalité permet de comprendre que lorsque l’extrême droite européenne, britannique ou néerlandaise, réclame des frontières fermées, elle désire en fait des frontières tangibles. Car les frontières n’ont jamais été ouvertes, mais bien plutôt contrôlées. Ceux qui militent pour leur rétablissement complet offrent une solution de court terme, principalement électorale : celle de faire croire qu’une frontière peut être infranchissable.

Mais le crime, comme les nuages radioactifs, ne s’arrête pas aux frontières. Personne n’ignore que le terrorisme bénéficie de réseaux globalisés. Radicalisée sur internet, formée à l’étranger, éprouvée au front, passée par la case prison, une personne interdite du territoire français peut encore obtenir un visa pour l’Allemagne et franchir le Rhin pour faire des victimes dans l’Hexagone. L’erreur est de penser que la frontière fermée pourrait l’arrêter ; au contraire, l’ouverture des frontières assure la coopération qui permet d’agréger les informations nécessaires à la preuve de la dangerosité du terroriste.

Les migrants, eux, sont les victimes des marchands d’hommes qui les laissent à leur sort, en pleine Méditerranée ou dans un camion. Des filières de migration bien rodées escroquent les plus pauvres sans porter la moindre attention aux murs, aux mers, aux frontières qu’elles franchissent. Tous s’accordent à dire que si les syriens installés à Béziers viennent du même village, c’est parce qu’ils ont emprunté une même filière d’entrée clandestine.

La fermeture des frontières ne limitera donc pas les morts liés au terrorisme, mais multipliera les noyades et autres accidents provoqués par des passeurs peu scrupuleux. Les marchands d’hommes et les marchands de mort se jouant frontières, ceux qui les combattent doivent se mettre au diapason : miser sur la libre circulation des informations, des forces de l’ordre et de la justice.

La libre circulation, qu’une cure de frontière ne guérira pas de ses maux, doit aller de pair avec une coopération accrue des états européens. Bien sûr, il est plus simple de dire que si le Thalys cessait de relier Paris à Bruxelles, sa sécurité ne serait plus en jeu. Mais il ne faut pas mettre en balance liberté et sécurité, comme si elles étaient incompatibles. Des politiques coordonnées peuvent assurer les deux.

Renforcer la sécurité des États européens passe par la définition de procédures de coopération effectives et de fiches S européennes : rendre les frontières intérieures plus intelligentes. Accompagner les flux intarissables qui entrent en Europe d’un flux d’information d’égale intensité est nécessaire à la sécurité.

Dans des sociétés où les moyens de surveillance biométriques, vidéo ou encore satellites sont monnaie courante, ne devrions-nous pas nous sentir plus en sécurité ? À croire qu’il faut qu’un garde-frontière nous salue, la main au képi, pour nous croire vraiment à l’abri.

Par Antoine Ullestad, doctorant au Centre d’études internationales et européennes de l’université de Strasbourg et Clément Kolopp, journaliste.

Kommentar hinterlassen

E-Mail Adresse wird nicht veröffentlicht.

*



Copyright © Eurojournaliste