La « loi anti-casseurs » – un instrument de tous les dangers

La « loi anti-casseurs » se veut être une réponse du Parlement français aux manifestations violentes qui font trembler la France depuis bientôt trois mois. Mais elle est surtout une erreur.

Ce sont ces personnes cagoulées qui sont visées par la "loi anti-casseurs" - mais cette toi est un instrument plus que dangereux. Foto: Guillaume70 / Wikimedia Commons / CC-BY-SA 4.0int

(KL) – Face aux tensions sociales, le gouvernement a décidé d’intervenir – au niveau des droits fondamentaux des citoyens, créant ainsi un instrument permettant de commander, depuis Paris, qui a le droit de manifester, où, quand et à quel sujet. Si cette décision incombait jusqu’alors à la Justice, ce qui permettait de penser que celle-ci garantit de façon indépendante et sur la base des textes en vigueur l’état de droit (y compris le droit à la libre expression), cette autorité passe maintenant des tribunaux administratifs aux préfets, donc aux « lieu-tenants » du gouvernement central à Paris. Ceci constitue une intervention au niveau des droits fondamentaux garantis par la constitution. Pire : si cet instrument ne risque pas d’occasionner des dégâts entre les mains d’un gouvernement respectant la constitution, entre les mains d’un gouvernement extrémiste (que la France pourrait connaître lors des prochaines élections présidentielles), le même instrument pourrait servir à la mise en place d’un régime totalitaire.

Etait-ce de l’activisme aveugle, ou bien la mise en œuvre d’une « arme juridique » contre des manifestants violents ? La plupart des provisions « techniques » de cette nouvelle loi n’était pas nécessaire. L’interdiction de dissimuler son visage lors de manifestations existait déjà, et on sait depuis 1789 et la Déclaration Universelle des Droits de l’Homme que le droit de manifester est soumis à la condition que la manifestation « ne perturbe pas l’ordre public ». On n’aurait pas eu besoin d’une nouvelle loi pour ceci. Mais le point crucial est le transfert de l’autorité de décision sur l’organisation de manifestations du judiciaire à l’exécutif. Ce dernier peut désormais interdire même à des individus de manifester si ces individus « représentent une menace particulièrement grave pour l’ordre public ». A l’avenir, ce ne sera donc plus un juge qui définira qui pourrait représenter une « menace pour l’ordre public », mais un fonctionnaire à la Préfecture sur ordre « d’en-haut ». Et là, on n’a pas réfléchi jusqu’au bout.

Dans deux ans déjà, la France pourrait amèrement regretter cette nouvelle « loi anti-casseurs ». Plus exactement, si lors des élections présidentielles en 2021, un ou une candidat.e d’un parti extrémiste devait arriver au pouvoir, ce qui est, au vu de la situation actuelle, tout sauf une possibilité irréaliste. Maintenant, un tel gouvernement extrémiste dispose d’un instrument lui permettant d’interdire toute forme de protestation, tout en disposant du pouvoir d’imposer une telle interdiction avec tous les moyens de l’Etat. Les personnes concernées ne pourront même pas s’y opposer, car il ne s’agit plus d’une procédure juridique selon les règles de l’état de droit, mais d’une décision administrative. On imagine un gouvernement d’extrême-droite sous Marine Le Pen, qui mettra(it) en œuvre des mesures brutales contre des immigrés, l’Union Européenne ou des adversaires politiques, tout en interdisant toute manifestation et protestation en disposant des moyens d’étouffer toute infraction à de telles interdictions.

Une application conséquente des lois existantes aurait amplement suffi. Mais le gouvernement voulait montrer aux Français qu’il était capable d’agir, et qu’il ne se mettra à genoux devant personne. Or, cela ne peut pas être une justification pour une telle atteinte aux droits fondamentaux. Cette nouvelle loi permettra à tout futur gouvernement français d’interdire les protestations contre sa politique ; elle permettra d’empêcher des évolutions politiques émanant de la société civile et la pensée que cette possibilité pourrait devenir une réalité déjà dans deux ans fait froid dans le dos.

Il est difficile à comprendre comment les députés, dont la mission était de peser le pour et le contre, ont pu voter pour un tel instrument,qui a le potentiel de faciliter la mise en œuvre d’un régime totalitaire. Cette loi pourrait contribuer à ce que les pires craintes politiques pourraient se réaliser. Cette tentative de résoudre un problème d’aujourd’hui, constitue le fondement d’un problème largement plus grave qui peut se transformer demain en une menace concrète de la démocratie. Que personne ne vienne dire, dans deux ans, qu’on n’a pas pu voir venir ce danger…

1 Kommentar zu La « loi anti-casseurs » – un instrument de tous les dangers

  1. HEMMERLÉ Pierre // 9. Februar 2019 um 15:22 // Antworten

    Ma foi, s’il se trouve des sycophantes assez asservis pour aller, contre leurs agendas, les lécher à quelque lanceur de pavés, il faudra bien accepter que d’autres lanceurs de pavés se manifestent, en route pour quelques Parlements, et rêvent à leur tour de trouver les sycophantes asservis, en attendant de se les faire lécher.

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