La Pologne absente à Jérusalem hier

Le fruit d’un buisson russe toujours plus épineux

Yad Vashem : le Point de vue des Partisans Foto: Proesi/Wikimédia Commons/CC-BY-SA/2.0Germany

(Marc Chaudeur) – Poutine est en train de reconstruire l’Histoire de son pays à l’aide de son imagination narcissique, autrement dit, stricto sensu, d’une illusion d’Histoire. La Pologne fait les frais de cette édification d’une Russie héroïque, admirable et impeccable – ce que l’Ours n’a pas… toujours été. L’un des signes de ce fantasme romanesque est la polémique qui fait rage entre Russie et Pologne depuis un peu plus d’un an ; et, en conséquence, l’absence des officiels polonais à la commémoration de la Shoah, hier, à Jérusalem.

La libération du camp d’Auschwitz-Birkenau a donc été commémorée hier, le 23 janvier,  à Yad Vashem et à Jérusalem, par les quatre “Grands”. Andrzej Duda, le président polonais, ne s’y rendra pas. Tous antisémites, les Polonais, comme on entend dire si souvent à Paris ? A plus forte raison l’actuel gouvernement national-populiste du PiS ? Non, pas du tout. Le problème se situe presque entièrement ailleurs. Duda a insisté durant une année pour participer comme orateur aux cérémonies ; sur le refus des autorités israéliennes, il ne se rendra ni à Jérusalem, ni à Yad Vashem : pas question pour lui là-bas de subir en silence les discours de Poutine.

Il n’existe aucun contentieux, aucune polémique entre Israël et la Pologne. Le gouvernement populiste a toujours essayé de faire bonne figure face à l’État juif. Avec ce qu’on pourrait appeler une sorte d « ambigüité positive » : Israël semble parfois (souvent) faire office de modèle pour le PiS par ses aspirations à l’homogénéité culturelle, l’organisation rigoureuse des structures étatiques et la vigueur de sa défense extérieure. Duda-Netanyahu même combat, pourrait-on dire…

Non, le différend n’oppose pas Israël et la Pologne, mais la Pologne et le Royaume poutinien (on ne peut plus guère parler d’Empire), la Russie. Récemment, dans sa tentative inquiétante (et pathologique) de refaire l’Histoire, Poutine s’en est pris à son bouc émissaire préféré. Pour, sans aucun doute, enfoncer le coin de plus en plus profondément entre Varsovie et l’Union Européenne dont elle est censée différer radicalement par ses valeurs et sa culture. Cela sur deux points essentiels : le dirigeant russe a affirmé, voici quelques semaines, que la Pologne était au moins co-responsable du déclenchement de la Seconde guerre mondiale (par son refus d’intervenir en Tchécoslovaquie) et, un peu avant, qu’elle avait contribué au déclenchement de la Shoah, par l’antisémitisme « congénital et profond » des Polonais ! Allégations scandaleusement calomnieuses.

Rappelons  en passant que les Russes n’ont rien à envier aux Polonais sur ce plan – le mot pogrom est russe, d’ailleurs… Certes, l’antisémitisme existe en Pologne ; il existe aussi en France et surtout dans la bourgeoisie française, comme on a pu le constater ente 1930 et 1945. Certains faits atroces confirment la virulence de l’antisémitisme polonais, par exemple le massacre de Jedwabne (1941), 350 victimes environ, que la population locale a perpétré. Mais…

Mais c’est bien Staline, et non quelque dirigeant polonais fascisant, qui a conclu un pacte de non- agression avec Hitler en 1939. Avec pour l’une de ses conséquences le partage de la Pologne, prévu dans un paragraphe secret. Le massacre des juifs polonais, lui, a commencé avec l’invasion nazie du pays, et nullement avant ; les nazis n’avaient pas besoin des Polonais pour commencer la Shoah.

C’est pourquoi le gouvernement polonais, en 2018, a émis un projet de loi pénale contre ceux qui affirmeraient que les Polonais étaient complices des crimes nazis. Une critique israélienne a fait que Varsovie a retiré la majeure partie du texte. De plus, le PiS s’est aussi attaqué avec la plus grande vigueur à l’usage pervers (effectif chez certains journalistes et auteurs) de l’expression « camps de concentration polonais », puisqu’il s’agissait de camps allemands… sur le territoire polonais envahi, sciemment ravagé et saccagé ! Mais il est vrai que les Européens se sont bien peu intéressés aux souffrances immenses des Polonais entre 1939 et 1945 (ou 1990).

Comme la plupart du temps, la vérité est au milieu : le PiS au pouvoir aimerait imposer l’image d’une Pologne à la fois héroïque et martyre (ce qui n’a aucune chance d’aboutir en France, par exemple…), malgré les exactions parfois commises à l’égard des juifs. Et avec de bons arguments aussi : sait-on bien que 6620 Polonais ont été reconnus « Justes parmi les nations » à Yad Vashem ? Aucun pays du monde n’a fait aussi bien. Ce qui eût justifié à soi seul la présence de Duda en Israël hier.

Face aux allégations mensongères de Poutine, qui bientôt vont se déverser en cataracte sur l’Europe aux mous parapets – notamment grâce à de puissants moyens de propagande comme Sputnik et autres – nous suggérons qu’on se souvienne seulement de 3 ou 4 chiffres avant de gober ce qui sera dit là sur la Pologne. Katyn : 4404 officiers massacrés par l’Armée rouge en 1940 ; en tout, la répression anti-polonaise fait au moins 300 000 victimes. Yad Vashem : 6620 Justes parmi les nations polonais (en comparaison : 2700 Justes français). 45 ans de stalinisme, 6 ans d’occupation nazie et de longs siècles d’oppression russe (et parfois prussienne, autrichienne ou allemande). Le reste ist ein weites Feld, comme l’écrivait Theodor Fontane.

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