La poule qui pond des palais

Des palais qui pondent la poule : pour une architecture européenne.

Pour une architecture européenne qui exprimerait le désir d'Europe. Foto: Unknown / Wikimedia Commons / CC-BY-SA PD

(MC) – En toute réflexion concernant l’Europe et son avenir, on est confronté au problème suivant : pour construire réellement une Europe intégrée, encore faut-il le désirer ; il faut du désir pour amorcer cette construction. Mais pour susciter ce désir assurément un peu défaillant dans l’esprit des gens, il faut des manifestations concrètes de la possibilité d’une telle Europe. Il semble que malgré tout, la majorité des Européens l’espèrent ; mais elle présente encore quelque chose de flou, de fade. Dans quel sens résoudre le problème, alors ? Tranchons net et prenons le parti de la réalisation sensible, apte à réveiller (peut-être) la turgescence européenne. Dans cette perspective, l’art peut jouer un rôle essentiel. Nous pensons surtout à l’architecture.

L’architecture en effet, est une manifestation sensible privilégiée : elle concrétise une volonté politique et sociale ; elle est une réalité habitable physiquement, une effectivité artistique qu’on investit et qu’on vit quotidiennement, une synthèse d ‘esprit pratique et de symbolique. Mais en l’absence de tout réel pouvoir politique européen, peut-on désirer et espérer la constitution d’une architecture européenne, qui dépasserait les réalisations « nationales » à l’ancienne, le Louvre, la tour de Pise, le Zwinger, toutes les œuvres que l’on admire à Barcelone, à Prague ou à Amsterdam ? L’œuf et sa poule, la charrue et ses bœufs …

Un sympathique jeune homme y croit, en tout cas, et nous le suivons avec plaisir. André Wilkens vient de publier Der diskrete Charme der Bürokratie (S. Fischer). Il est cofondateur du Conseil européen pour les relations internationales ; il est natif de Dresden et il a habité à Bruxelles, à Londres, à Turin et à Genève. Dans l’un des chapitres de cet ouvrage, Wilkens expose idées et propositions quant à une architecture européenne.

L’architecture ? En 2004, il rencontre Rem Koolhaas à Bruxelles. Ce dernier expose des photos sur l’Europe dans une série de tentes, juste en face du bâtiment de la Commission Européenne. Crépitement dans les synapses du jeune André. Et cependant, bon sang mais c’est bien sûr, c’est du solide qu’il nous faut ! Une architecture nouvelle ! Dans l’une des tentes, Koolhaas a exposé les 80000 pages d’un livre de 4 mètres et demi de long qui contient des lois et des lignes directrices pour l’ Europe… Wilkens comprend que ce n’est pas gagné. Mais comment faire ?

Une volonté politique aime se concrétiser dans des réalisations architecturales. Mais qu’existe-t-il de consistant de nos jours ? Pas grand-chose. Le premier bâtiment de la commission, Berlaymont ; le nouveau bâtiment de la Banque Centrale à Francfort, celui de la Cour Européenne au Luxembourg. Guère davantage. C’est très peu. Alors, faudrait-il en faire une cause «nationale» européenne ? Pourquoi pas ?

Construisons une belle capitale européenne, écrit Wilkens, qu’on regarderait avec plaisir et fierté et qui s’exprimerait dans une langue visuelle nouvelle, celle de l’Europe intégrée. Avec le concours des meilleurs architectes, des Piano, des Gerkan, des Roger et leurs petits frères et leurs petits-fils/petites filles.

Sur le plan politique, Wilkens propose la création d’une sorte de Programme centralisé analogue au Case Study House Program américain de l’ère rooseveltienne pour l’édification de belles maisons habitables à prix… modéré (non, pas de HLM !). Et un concours d’architectes pour la construction des ambassades de l’UE à travers le monde, des édifices qui en imposeront. Un investissement financier bien plus important dans ces ambassades que dans les bâtiments diplomatiques « nationaux » actuels, qui reviennent souvent absurdement cher.

Ces bâtiments ne devront pas seulement en mettre plein la vue des Européens et des barbares extra-européens, mais aussi être le lieu où se construira l’Europe elle-même : des ateliers avec expos, représentations théâtrales, activité diverses et possibilités de rencontres.

Wilkens propose aussi de construire un édifice européen permanent pour la Biennale de Venise : il pourra devenir , pour les deux années que dure la Biennale (d’où son nom, merci) un lieu de discussion et de débat sur l’Europe, et, oui, sur l’architecture européenne. Cela pourra devenir une véritable institution.

Et puis, sans doute faudra-t-il nommer une sorte de curateur de l‘ architecture européenne ; en tout cas, une personne qui prendra sur lui la responsabilité et l’initiative de cette création nouvelle de l’Europe dans la pierre et le verre et le bois… Une telle responsabilité, rappelle Wilkens, existe aux Pays-Bas depuis deux siècles : l’architecte d’État y conseille le gouvernement dans ses projets et sa politique urbaine. Pour ce qui est du futur Curateur Européen, en tout cas, il devra être en contact direct avec le président de la Commission Européenne, et bénéficier de sa confiance.

Un enthousiasme et des propositions très exaltants, assurément. Attention à ne pas les faire sombrer sur le radeau des velléités blafardes qui voguent sur des flots d’euros gaspillés !

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