La réforme territoriale engagée : une claque pour la classe politique alsacienne !

L’Assemblée Nationale a voté - pour une France à 13 régions, dont une qui se nommera «Alsace-Lorraine-Champagne-Ardenne», avec Strasbourg comme capitale.

Tout le monde s'est bien amusé lors de cette manifestation. Qui elle, a creusé le clivage entre l'Alsace et la France. Foto: Paralacre / Wikimedia Commons / CC0 1.0

(Par Alain Howiller) – Comme on s’y attendait, le gouvernement a réussi à faire adopter sa réforme territoriale, en deuxième lecture, par l’Assemblée Nationale : la France devrait compter, en 2016, 13 régions au lieu des 22 qui existaient jusqu’ici. Un vote solennel entérinant la réforme aura lieu, sans risques de surprise, le 25 Novembre. La «Région Alsace» (1,8 millions d’habitants) sera donc fusionnée avec les régions de «Lorraine» et de «Champagne-Ardenne» pour constituer un ensemble de plus de 5,5 millions d’habitants, allant des portes de Paris au Rhin, bordée par le Luxembourg, l’Allemagne (Sarre, Rhénanie-Palatinat et Bade-Wurtemberg). Le gouvernement est resté ferme sur le projet des 13 régions, déjà adopté en première lecture par l’Assemblée Nationale.

Et ce malgré le succès obtenu au Sénat qui a voté pour le maintien de l’Alsace en l’état actuel de sa délimitation, malgré les manifestations organisées pour soutenir cette position, malgré les délibérations de la plupart des conseils municipaux se prononçant dans le même sens, malgré la position des trois collectivités majeures alsaciennes (Région et Conseils Généraux). Après le vote du 25 Novembre, une commission mixte Sénat-Assemblée Nationale essaiera de trouver un compromis… introuvable. Le texte reviendra (sans changements sans aucun doute) à l’Assemblée où il devrait être définitivement adopté avant Noël.

Toujours le spectre du «Synchrotron» ! – A l’image de ce qui s’était passé, en 1984, où le gouvernement de Laurent Fabius avait décidé, malgré 10.000 Alsaciens défilant sur le pavé strasbourgeois, de priver l’Université de Strasbourg de l’instrument de recherches -le Synchrotron- qui lui avait été promis, le gouvernement de Manuel Valls est resté ferme : pour une fois, diront certains, en avançant qu’il n’y avait finalement pas de risque électoral majeur à mécontenter la seule région métropolitaine restée à droite ! Il est juste d’ajouter que l’Alsace n’est pas la seule région à être mécontente de la décision prise, puisque seules six régions n’ont pas formulé d’objections. Dans plusieurs régions, de violentes oppositions se sont faites jour : dans le Nord où Martine Aubry, dirigeante du Parti Socialiste, a protesté contre le rattachement de la Picardie à sa région. Autre exemple, les Bretons souhaitaient récupérer les départements de la région Loire-Atlantique pour reconstituer une «Bretagne Historique».

«Je suis particulièrement fier que la gauche soit à l’origine de cette nouvelle étape de la décentralisation», a déclaré Philippe Bies, l’un des deux députés socialistes de Strasbourg. Ils ne sont pas rares ceux qui pensent qu’il aurait mieux fait d’attendre que, au-delà de la simple définition des limites territoriales des futures régions, on ait déterminé le contenu de la réforme (les ressources des régions, le mode électoral des futurs élus régionaux, leur pouvoir). Et surtout y-a-t-il lieu de pavoiser à propos d’une une décision qui, à tout prendre, est une véritable claque à la classe politique alsacienne. A la gauche d’abord qui réclamait une fusion limitée à l’Alsace et à la Lorraine et qui affirmait qu’en cas de fusion plus large, elle se rallierait à la position de ceux qui -à droite- réclamaient un retour à la formule d’une Alsace restant dans ses limites actuelles, mais s’appuyant sur une fusion des trois collectivités majeures !

Dans l’attente d’un leader reconnu ? – A droite surtout qui, après avoir perdu le referendum du 17 Avril 2013 en faveur d’une fusion des collectivités au sein d’un conseil d’Alsace unique, n’a pas réussi à faire plier la majorité nationale et le gouvernement en faveur d’une Alsace restant dans ses limites actuelles accompagnées de la fusion proposée en son temps. Je ne reviendrai pas sur l’échec de 2013 victime -en particulier dans le Haut Rhin qui, au contraire du Bas-Rhin, a voté «non»- d’ intrigues souvent indignes entre petits potentats locaux soucieux essentiellement de carrières personnelles ! Rappelons, tout de même, que cet échec a été en fait lié à un manque de participation. Peut-être lorsque on fera le bilan des échecs, ferait on bien de se demander (sujet tabou, s’il en est !) si, compte tenu de l’évolution démographique et de l’attraction exercée par la région, cette dernière est toujours autant enracinée dans une identité venue de la tradition. Et voilà que ressurgirait le débat sur l’identité alsacienne !

Les échecs permettent aussi de s’interroger sur le fait que l’Alsace semble toujours chercher le leader politique accepté et reconnu dont sa majorité aurait besoin. Que cette dernière n’a pas été capable de proposer aux électeurs ce projet politique que le maire UMP de Mulhouse Jean Rottner appelait de ses voeux. Que «majorité» et «minorité», dans leur stratégie de possession ou de conquête du pouvoir, n’ont toujours pas trouvé (comme cela se fait en Bretagne) la voie des compromis utiles ! Du reste, ceux qui ambitionnent de diriger la majorité alsacienne feraient bien de prendre des leçons de stratégie à voir la manière dont ils ont été piégés par le premier Ministre d’une part, la fraction autonomiste d’autre part !

Quand Manuel Valls pense à Clemenceau ! – Manuel Valls a retrouvé des accents de «Premier ministre de la France» et une envolée digne de son idole Georges Clemenceau (!), en faisant mine d’opposer le «peuple français» à l’expression maladroite utilisée, lors du débat à l’Assemblée Nationale, par le député Patrick Hetzel qui parlait du «peuple d’Alsace». Les formules cocardières, à la limite un peu -(…beaucoup, passionnément !…) nationalistes, trouvent facilement de l’écho à l’Assemblée Nationale ! La majorité a sans doute eu tort de donner l’impression, notamment lors de la grande manifestation organisée à Strasbourg contre la réforme territoriale, d’avoir été récupérée par les toujours sulfureuses formations autonomistes qui se sont fait bruyamment remarquer à grands renforts de slogans et de drapeaux rouges et blancs !

Ce drapeau n’est en rien comparable au «Gwenn-ha-Du» (littéralement Noir et Blanc) breton, même si on devrait resituer le mouvement des «autonomistes» (qui aujourd’hui ne sont plus séparatistes, mais fédéralistes) dans son approche historique : il convient aussi de lui garder son importance réelle, qui reste limitée. Rappelons tout de même que le «fédéralisme», depuis la victoire des révolutionnaires Jacobins sur les Girondins, reste pratiquement aussi suspect que l’autonomisme, chargé en plus, depuis la IIème Guerre Mondiale, de l’accusation de collaboration avec les nazis.

Ceux qui attendent l’alternance politique ! – Ils ne sont pas rares ceux qui pensent qu’à la suite de la réforme territoriale et devant la manière dont un certain nombre d’élus nationaux et régionaux, méprisants, ont accueilli les manifestations alsaciennes, une relance des autonomistes pourrait avoir lieu, y compris dans les urnes. Ils ne sont pas rares non plus ceux qui redoutent que la réforme profite au vote «Front National» : ce qui serait un comble quand on sait que l’extrême-droite (comme l’extrême-gauche) était contre toute forme de renforcement régional suspect… d’atteinte à l’unité de la nation !

Ils sont encore moins rares ceux qui espèrent que la réforme pourrait s’enliser ou être remise à plat à la suite des élections qui d’ici à l’été 2017 pourraient susciter une alternance du pouvoir. Reste à se demander si cette réforme, accompagnée de ces incertitudes relevées plus haut (y compris celles liées à l’évolution des services de l’état), était aussi urgente qu’on semble vouloir le croire !

2 Kommentare zu La réforme territoriale engagée : une claque pour la classe politique alsacienne !

  1. Yveline MOEGLEN // 21. November 2014 um 3:09 // Antworten

    L’Alsace punie de son échec politique de 2013… Se lamenter… revendiquer… pleurer de son échec régionale ne sert plus l’Alsace … ça… c’était avant !! C’est une nouvelle histoire régionale qu’il faut maintenant construire… Adieu au droit local…

  2. Ce n’est malheureusement pas que la défaite des élus alsaciens. C’est aussi une giffle pour tous ceux qui sont attachés à l’expression de la démocratie locale et à sa légimitimé. Dans cette réforme territorial, on retrouve le dictat du système politique jacobin. Au nom de l’unité nationale et se drappant dans l’intérêt général, il nie toute autre pouvoir. L’assemblée nationale et derrière lui le pouvoir exécutif s’appuie sur ce monopole en légalité constitutionnelle pour imposer les décisions de la majorité sur la minorité. On a assez entendu dans l’Hémicycle l’unité et l’indivisibilité de la France, le droit de n’évoquer que le peuple français, sinon d’être plongé dans l’anathème. Or, il y a d’autres voie pour l’exercice de la démocratie : celle du compromis, de la coalition, du concensus qu’assure un pacte fédéral ou au moins la pleine considération de ses interlocuteurs. Mais le Premier ministre, plus républicain que tous, peut-être pour faire oublier ses racines catalanes au nom de son intégration, exige le même sacrifice identitaire aux autres. Penser l’universel et à partir de l’abstraction générale voilà le programme qu’il faut refuser, car il est à la base de toutes les dictatures même dans son expression tempérée à la socialiste. Le fait qu’il y ait une constitution hérité de la révolution française dont les catégories restent présentes dans nos textes de loi et dans notre système ne change en rien la revendication juste de l’unité dans la diversité.

    La méthode de la réforme engagée sappe les bases-même de décentralisation qu’elle entendait fonder. Elle maintient les régions dans leur statut de provinces et réaffirme le principe intangible hérité de 1793 plus que de 1789. Je crois qu’il est grand temps de tourner cette page de notre histoire. Le problème c’est que pour beaucoup et pour les élites politique et administrative cet Etat de fait, lorsqu’il est pensé au-delà de son aveuglante évidence, est considéré comme indépassable ! C’est là que se situe le noeud de l’affaire et non pas dans les drapeaux rouges et blancs, les coiffes et les quiches qui n’en sont que les expressions brouillonnes auquel certains entendent limiter la question politique bien plus priofonde. J’ose espérer qu’il y a d’autres catégories pour penser le pays.

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