La région « Grand Est » et ses voisins…
… un pari à réussir ou à… rater !
(Par Alain Howiller) – Le paradoxe veut que ce soit un représentant suisse (Manuel Friesecke, directeur de la Regio Basiliensis) qui, lors du séminaire strasbourgeois sur « La Région Grand Est et ses voisins » a finalement le mieux cerné les débats en déclarant « Dans le fond, nous ne devrions plus tenir ce type de rencontres orientées sur le dépassement des frontières. Celles-ci ne devraient plus exister, en particulier dans le cadre de l’Union Européenne : elles devraient s’effacer au profit de grandes régions ! » Les propos ne manquait pas de sel si on songe qu’ils venaient d’un représentant d’un pays non-membre de l’Union Européenne, qui, plus est, va mettre en place, suite à un référendum populaire, des mesures pour limiter le nombre de ses travailleurs étrangers, y compris sans doute frontaliers !
Mais dans cette Europe que nous vivons où un certain nombre d’états remettent des frontières en place, se remettent à jouer de la préférence nationale et où il est peu raisonnable d’espérer (selon la députée européenne Anne Sander) une politique d’harmonisation sociale et fiscale « même dans dix ans » (!), les débats sur les relations transfrontalières gardent un grand avenir ! Et notamment lorsque avec la mise en place de la réforme territoriale la structure même du partenaire français change : c’est le cas du « Grand Est » dont les composantes -Lorraine ou Alsace par exemple- ont une longue expérience de la coopération transfrontalière liant Lorraine, Luxembourg, Rhénanie-Palatinat, Wallonie (SaarLuxLor) ou Alsace, Bade-Wurtemberg, Sud du Palatinat et cantons de la Suisse du Nord-Ouest (dans le cadre de la Région dite du Rhin Supérieur).
Strasbourg : 300 personnes au séminaire à l’ENA ! – Réunis à Strasbourg dans la grande salle de l’Ecole Nationale d’Administration (ENA), l’école du pouvoir en France, quelques 300 élus, personnalités diverses et praticiens du développement des Territoires venus du Grand Est, d’Allemagne, de Suisse, de Belgique ont « planché » une journée entière sur le thème : « La région du Grand Est et ses voisins : nouvelles dimensions, nouvelles opportunités ? » Les participants se sont, finalement, rencontrés pour estimer qu’il y a lieu de structurer le Grand Est avant de vouloir changer les perspectives et les structures transfrontalières, de travailler en « statut quo » en poursuivant les coopérations telles qu’elles sont aujourd’hui engagées avant de vouloir les adapter selon un long processus destiné à préparer un futur qui ne sera pas … immédiat !
L’action à engager s’inscrira dans le cadre de la préparation -en cours dans le Grand Est- de ce qu’on appelle le « Schéma Régional de Développement Economique, d’Innovation et d’Internationalisation (SRDRII) ». Comme devait le rappeler Jean Christophe Baudoin, Directeur des stratégies territoriales au Commissariat Général à l’Egalité des Territoire (service du Premier Ministre) : ce sera la « charte » de l’action des conseils régionaux : les services de l’Etat qui -on s’en doutait- reste présent et fixe le cap à respecter.
Devant les difficultés nées du manque d’harmonisation et de la réalité persistante de la frontière, l’idée a été défendue au séminaire (1) que l’Etat laisse plus de marge de manœuvre aux régions pour leur permettre de conclure des accords avec leurs voisins frontaliers.
Un accord social et fiscal sur l’Euro-Airport. – Et Philippe Richert, Président du Grand Est de plaider en faveur d’une telle marge entre régions frontalières en citant la préparation de l’accord sur le statut social ou fiscal des entreprises suisses installées sur le territoire de l’Euro-Airport de Bâle-Mulhouse : l’accord qui vient d’être signé entre Paris et Berne permet de sauver près de 7.000 emplois en garantissant un statut particulier aux entreprises helvétiques. Ce type d’accord devrait relever de négociations entre « voisins » et permettre ainsi un rapprochement entre la « Conférence franco-germano-suisse » (dont sont membres majoritairement les représentants des états) et le « Conseil Rhénan » (formé en majorité des représentants des collectivités). Les deux structures réunissent pratiquement les mêmes personnes qui ne peuvent siéger ensemble parce que l’Allemagne estime qu’une telle réunion contreviendrait au principe de la séparation des pouvoirs entre « exécutif » et « législatif » !
Comment faut-il interpréter les propos de J.C. Baudoin, lorsqu’il souligne que l’Etat ne veut pas placer d’obstacle sur la route de la collaboration transfrontalière, mais qu’il ne s’agit pas de permettre par des accords de placer des chômeurs chez le voisin où il y a de l’emploi sans que cela ne relève d’une formule de co-développement. La coopération pour l’emploi de chômeurs alsaciens entre Pôle Emplois et Arbeitsagenturen, entre Chambres de Commerce et de Métiers sur les deux rives du Rhin, entre organismes de formation constituent apparemment un exemple de « co-développement ».
A Strasbourg, une « Eurometropole transfrontalière » ! – La réforme territoriale française interpelle, même si elle ne fait pas (encore ?) consensus sur le transfrontalier. Quand Philippe Richert (par ailleurs Président de l’Association des Régions Françaises) comme la plupart des participants au séminaire réclament de l’engagement dans la prudence, Jean Rottner, maire de Mulhouse et Président de la Fédération des Agences d’Urbanisme « si on fait comme on a toujours fait, c’est peine perdue ». Pour lui, il faut créer de nouveaux rapports de force avec les voisins pour arriver à de la coopération sans domination, il faut promouvoir une coopération à 360 degrés et créer des liens avec tous les voisins (étrangers et nationaux), il faut faire preuve d’ambition et ne pas hésiter à revendiquer le « droit à l’expérimentation » sur les frontières.
C’est ce que fait Robert Herrmann, Président de l’Eurométropole Strasbourg, lorsqu’il revendique, profitant du symbole des institutions européennes présentes sur place, un droit à l’expérimentation de la création sur le Rhin d’une « Eurométropole transfrontalière », à laquelle il travaille ?
Ce projet ne s’inscrit-il pas dans l’ambition de André Rossinot, Président de la Métropole du Grand Nancy, Président du Pôle Métropolitain du Sillon Lorrain, de faire du Grand Est et de ses partenaires des frontières un « arc européen », un « cœur de l’Europe » (nom que Frédéric Bierry, Président du Conseil Départemental du Bas-Rhin aurait préféré à celui de « Grand Est »), porteur d’un « sursaut des valeurs européennes prônées par les pères de l’Europe » et réunissant les territoires belge, allemand, luxembourgeois et français.
Face au Grand Est, les Länder allemands se regroupent ! – Déjà, rappelle à ce propos le représentant du Land de Sarre Stephan Toscani, Ministre sarrois des Finances et des Affaires Européennes, la réforme territoriale a incité Annegret Kramp-Karrenbauer, la Ministre-Présidente de la Sarre, a inviter ses homologues du Bade-Wurtemberg et de Rhénanie-Palatinat à se rencontrer afin de définir les modalités d’une action commune face au Grand Est qui a besoin, côté allemand, d’un partenaire unique. Grâce à la coopération transfrontalière, estime S. Toscani, le Grand Est, hier encore coincé au bout de l’Hexagone français, se trouve au cœur de l’Europe, envié par les autres européens.
Mais, pour positive qu’elle soit, cette situation ne doit pas créer des distorsions entre territoires métropolitains et territoires ruraux, ne doit pas susciter des ruptures entre différents territoires qui ont tous droit au développement, elle ne doit pas inscrire dans les faits des liens de dépendance entre voisins frontaliers, entre « riches » et « pauvres » ce qui risquerait de perturber voire de menacer, sur le long terme, les relations transfrontalières.
D’étroites concertations entre voisins doivent être menées pour éviter ce type de menaces. Et le Maire de Metz de mettre en garde contre les tensions que l’existence des frontaliers fait apparaître : le regroupement à proximité des frontières d’un habitat réservé qui menace la continuité du noyau urbain, l’apparition sur des axes routiers fréquentés de perturbations (bouchons) mal perçu par les automobilistes, l’émergence d’arrogances chez une population de frontaliers que les autres citoyens jalousent, l’apparition de phénomènes de rejets parfois générateurs d’une forme de populisme. Il ne faut pas ignorer ces risques.
Il faut une volonté politique… – Si le phénomène transfrontalier a une telle importance pour le Grand Est, c’est que 45% des frontières se trouvent ici où les régions françaises sont au contact de l’Allemagne, de la Belgique, du Luxembourg, de la Suisse. La coopération avec les voisins d’outre-frontière est ancienne et profonde, même si elle n’est pas exempte de problèmes. Elle place le Grand Est au croisement de quatre des neuf corridors prioritaires de transport et d’échanges européens définis par la Commission Européenne. Les atouts y sont nombreux et les perspectives heureuses pour autant que continue d’exister la volonté politique de poursuivre et de développer le chemin déjà parcouru.
Cela est notamment indispensable sur le plan économique où la coopération doit bénéficier tout particulièrement (mais pas exclusivement) aux bassins de l’emploi qui deviennent déterminants en cette période de croissance molle. Le nombre de participants et la qualité des intervenants au séminaire de Strasbourg a montré le fort intérêt que le Grand Est, qui reste en quête d’identité, et ses partenaires portent à une coopération qui doit encore se développer !
(1) Le séminaire était organisé à l’ENA par la « Région Grand Est », la « Mission Opérationnelle Transfrontalière – MOT » (services du Premier Ministre), la « Fédération Nationale des Agences d’Urbanisme – FNAU », l’Eurométropole Strasbourg et l’Agence de Développement et d’Urbanisme de l’Agglomération Strasbourgeois – ADEUS
(2) Voir eurojournalist.eu du 2 Novembre.
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