La réponse est «plus d‘Europe» et non pas «moins d‘Europe»

La colère compréhensible des agriculteurs français nous ramène à la question de fond : quelle Europe voulons-nous ? L’Europe des marchés ou l’Europe des citoyens ?

Les français ne sont pas germanophobes, les allemands ne sont pas francophobes - c'est le manque de courage politique qui nous sépare... Foto: Claude Truong-Ngoc / Eurojournalist(e)

(KL) – L’action des agriculteurs français ayant fermé les ponts du Rhin entre Lauterbourg et Marckolsheim, contrôlant et refoulant des camions allemands transportant des produits agro-alimentaires, a irrité les allemands. Des français qui ferment la frontière franco-allemande ? L’action, vécue comme une agression des relations franco-allemandes, n’a malheureusement pas déclenché une réflexion quant aux raisons de ce mécontentement. Pourtant, la base de cette colère est un phénomène que les allemands connaissent.

Les conditions de travail des travailleurs venus de l’Europe de l’est dans les grandes structures de l’industrie agro-alimentaire, surtout en Basse-Saxe et dans les Länder de l’est du pays, sont connues. De nombreux reportages ont été réalisées à ce sujet, les autorités ont mené des enquêtes, mais malgré cela, rien ne change. Ces structures continuent à employer des prétendus «mini-entrepreneurs» qui travaillent pour des salaires extrêmement bas, parfois situés entre 3 et 4 euros l’heure, sans couverture sociale, sans droit à des congés maladie, sans protection du droit du travail, sans que les entreprises les embauchant ne payent des cotisations sociales. En diminuant ainsi le coût de production, l’industrie agro-alimentaire allemande peut exporter à des prix défiant toute concurrence, mettant en péril l’existence des exploitations agricoles dans d’autres pays européens, dont la France où on estime que 10% des exploitations agricoles sont menacées dans leur existence par cette concurrence allemande.

Une nouvelle fois, on assiste à l’opposition de deux approches différentes. Tandis que les allemands acceptent ces pratiques en estimant que ce qui est bon pour l’économie allemande, doit forcément être bon pour tout l’Europe. Ce qui, bien entendu, constitue une erreur d’appréciation. La France, par contre, a une relation particulière avec son agriculture. Des valeurs comme «la qualité du terroir et des aliments» contraste avec les efforts allemands de produire un maximum au plus faible coût, prêt à sacrifier la qualité des produits et la qualité de vie des consommateurs.

Il ne s’agit pas de pointer les uns ou les autres du doigt – il s’agit tout simplement de la question du type d’Europe que nous voulons majoritairement sur le vieux continent. Un seul pays, dans une Europe démocratique, ne peut pas imposer ses vues à l’ensemble des autres pays et l’argument de la puissance économique n’en est pas un. Il s’agit de trouver des approches communes et seul, un gouvernement européen, démocratiquement élu par les citoyens et citoyennes européens, pourra constituer une réponse à ces questions compliquées. Car la question de la production alimentaire a des implications dépassant de loin la seule question de la qualité de la salade que nous mangeons tous les jours – il s’agit aussi de l’environnement (les plantations de maïs dans certaines régions de l’Allemagne, à perte de vue, détruisent en monoculture à la longue les sols, l’environnement et la consommation en énergie des mégastructures agricoles dans le nord et le nord-est de l’Allemagne pose également un problème. Tout comme la question de l’existence des exploitations agricoles dans les autres pays européens, souvent structurées de manière différente, souvent artisanale et qu’il convient de protéger dans leur existence, à la fois pour des raisons de culture alimentaire que pour des raisons de qualité de vie et de la sécurité de l’approvisionnement des populations européennes.

Tant que le seul leitmotiv de l’agriculture européenne est la maximalisation des profits des structures agricoles, il est logique que la fermeture des petites exploitations dans les autres pays européens sera inévitable. Et tant que l’Europe, en tant qu’entité politique, ne peut pas décider de ce qui se passe dans les pays, rien ne changera. Voulons-nous réellement nous réduire à manger des tomates génétiquement transformées et sans goût ? Est-ce qu’à la longue, nous voulons vraiment remplacer le lait de vaches par le lait de soja ? Sommes-nous vraiment d’accord pour manger que de la viande produite dans des «ghettos d‘animaux» où les bêtes sont élevées dans des conditions indignes ? Malheureusement, les réponses à ces questions ne peuvent pas être exprimées en euro et cent, mais il y a une dimension humaine dans ces questions.

L’organisation de la vie en Europe est plus compliquée que des bilans comptables, et seul un gouvernement européen serait en mesure d’apprécier ces paramètres à leur juste valeur. Avant que l’Europe ne subissent un fractionnement qui se dessine déjà aujourd’hui, avec le «Grexit», le «Britxit» et d’autres pays qui pourraient demain ne plus faire partie de l’Union, il convient de prendre son courage entre les deux mains, créer les «Etats-Unis de l‘Europe» et abandonner une fois pour toutes l’idée du nationalisme des états européens. L’exemple des Etats-Unis devrait nous inspirer – dans une fédération d’états, les gens sont d’abord américains, mais vivent quand même leur identité comme citoyen texan ou californien. Un allemand resterait un allemand, aussi au sein des Etats-Unis de l’Europe, un français restera français, un néerlandais resterait néerlandais. Mais le retour vers le nationalisme ayant causé tellement de dégâts et de souffrances dans le passé, ne peut en aucun cas constituer une réponse valable face aux grands défis de notre époque. A quand alors, ces Etats-Unis de l’Europe ? A quand, le courage politique ?

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