La reprise (17)

Trois mois après le déconfinement, on tire un premier bilan intermédiaire avec les patrons des trois enseignes que nous suivons pour documenter la relance économique à Strasbourg.

Jacques Zucker, Yannick Garzennec et Jean-Marc Mura continuent à se battre, même si c'est tout sauf évident... Foto: Caroline Ravizza / CC-BY-SA 4.0int

(KL) – Cette semaine, dans le cadre de notre série « La reprise », nous avons réuni les patrons des trois enseignes que nous suivons depuis des mois – Jean-Marc Mura (Hôtel de la Cathédrale), Jacques Zucker (Blanc du Nil) et Yannick Garzennec (Muensterstuewel). Comment se sont passés ces trois mois ? Est-ce qu’on peut réellement parler d’une reprise ? Quelles sont les perspectives ? Interview tripartite.

Messieurs, trois mois se sont écoulés depuis le déconfinement – quel est votre premier bilan intermédiaire de cette reprise ?

Jean-Marc Mura : Nous étions très excités à l’idée de pouvoir rouvrir notre hôtel, malgré les mauvaises langues, persuadés que notre situation au centre-ville nous permettrait de nous relancer et de savoir à nouveau pourquoi on se lève le matin. Depuis, il y avait des périodes légèrement euphoriques, mais aussi des moments où nous avons pris une douche froide. Nous sommes conscients que la situation est extrêmement fragile et que la suite ne tient pas à grande chose…

Yannick Garzennec : Nous ne nous sommes jamais retrouvés dans une situation qu’on ne maîtrisait pas. Depuis le début de l’année, nous n’avons pas l’impression de pouvoir influencer le cours des choses. Pour nous, la situation financière se présente comme un peu moins catastrophique que nous l’avions craint, mais nous n’avons pas l’habitude de gérer une baisse de nos activités. Mais dans une situation où il est impossible de se projeter dans le futur, nous faisons la seule chose que nous pouvons faire – nous concentrer sur le moment.

Jacques Zucker : Heureusement que nous vendons un produit de qualité, des habits d’été. Mais avec mon épouse Marie, nous travaillons tous les jours du matin au soir uniquement pour couvrir les frais courants. Ce qui manque clairement, ce sont les touristes internationaux. Mais ce qui gâche un peu nos efforts, ce sont les réactions d’une partie de la clientèle – depuis le déconfinement, nous essuyons insultes et comportements irrespectueux lorsque nous demandons aux clients de porter un masque à la boutique ou d’utiliser le gel hydroalcoolique. Pourtant, nous n’avons pas inventé ces mesures qui visent avant tout la santé des clients.

Vos clients ont donc changé de comportement depuis le déconfinement ?

JZ : Une partie de la clientèle est assez agressive et plus exigeante. Pendant la canicule, nous étions à bout de forces, mais cela nous a pas empêché de continuer à nous battre. Les comportements des clients, on fait avec. Avec le sourire…

JMM : Nos produits et services dans un hôtel sont différents de ceux de Jacques. Quand on reçoit nos clients, ils se comportent très bien, ils acceptent les consignes strictes, ils comprennent pourquoi notre petit déjeuner n’est pas servi sous forme de buffet, mais dans les chambres. Les clients sont surtout contents que notre hôtel soit ouvert, ce qui n’est pas le cas de tous les hôtels du centre-ville strasbourgeois. Toute notre équipe est formée pour notre protocole sanitaire, et sauf quelques rares exceptions, nos clients le suivent sans problème.

YG : Nos restaurants sont des lieux de convivialité et de rencontres. La grande majorité de nos clients accepte les mesures sanitaires sans problème. Mais devant notre terrasse, on ressent cette tension, cette ambiance plus violente et agressive. Une de nos collaboratrice s’est fait agresser en pleine rue en sortant du travail, et psychologiquement, cette ambiance n’est pas facile à gérer.

Qu’attendez-vous de la part des institutions, de l’Etat, des pouvoirs régionaux et locaux, des associations des commerçants ?

YG : L’Etat soutient l’économie, il faut être reconnaissant pour ça. J’attends surtout qu’on nous laisse la possibilité d’évoluer sur notre lancée. Je suis un grand garçon, je voudrais qu’on me laisse prendre mes responsabilités. Les instances régionales et locales ? J’ai l’habitude de ne m’attendre à rien, sauf d’espérer qu’elles ne commettent pas de nouvelles erreurs. De toute façon, en vue du calendrier, je suis conscient qu’il ne faut pas s’attendre à de grandes décisions rapidement.

JMM : J’avoue que j’ai du mal à comprendre certaines décisions pendant cette phase. L’interdiction de chauffer les terrasses est certes une bonne chose pour le climat, mais elle vient au pire moment. Ou la fin de la gratuité du stationnement en ville. 4 heures de stationnement coûtent maintenant 35 €. Je ne vois aucune solidarité concrète de la part de la Ville ou de l’Office du Tourisme pour relancer l’attractivité de Strasbourg. La gratuité du tram le samedi ne sert pas à grande chose.

JZ : Je ne m’attends à rien. J’ai toujours fait mon travail tout seul. Les institutions comme l’Office du Tourisme ou le Comité Régional du Tourisme ne sont pas là pour remplir ma boutique, mais leur job est d’augmenter l’attractivité de la ville et de faire revenir les touristes, idéalement en coopération avec les tour opérateurs. D’autres villes comme Bordeaux, Nantes, Lyon ou Marseille, pour ne citer qu’eux, investissent de fortes sommes pour augmenter leur visibilité et attractivité. Chez nous, on fait quoi ?

Où vous voyez-vous fin 2020 ?

JZ : Nous réfléchissons. Ma priorité personnelle est la santé de mon épouse qui travaille 7/7 du matin au soir et qui arrive aussi à bout de forces. Notre contrat avec la marque que nous vendons court jusqu’au 31 octobre et à ce moment-là, on tirera un bilan.

JMM : Les experts des fédérations professionnelles estiment que la reprise ne se fera réellement qu’en 2022. On regardera la situation avec mon expert-comptable et on prendra les décisions qui s’imposent. Un chiffre d’affaires perdu ne se rattrape pas. Mais je considère toujours que le verre est à moitié plein, je refuse d’envisager le pire, mais les chiffres pourront avoir raison de nous. On estime que 90% des hôtels pourraient rencontrer des problèmes qui pourraient les obliger à mettre la clé sous la porte. Nous ne faisons pas partie d’un groupe puissant qui pourrait nous sauver et pour l’instant, ce qui m’intéresse vraiment, c’est la survie de mes salariés. On continuera donc à nous battre contre vents et marées.

YG : Je m’interdis de me projeter, je me focalise sur le moment. Quand on se projette, on se trompe souvent, donc, je garde l’espoir et je continue à travailler sur notre développement.

Messieurs, merci pour cet entretien et – courage pour la suite !

Kommentar hinterlassen

E-Mail Adresse wird nicht veröffentlicht.

*



Copyright © Eurojournaliste