La Suisse, paradis de la démocratie ?

Ce beau pays douillettement niché au cœur de l’Europe de l’Ouest, souvent cité en exemple pour sa démocratie participative, n’est pas vraiment l’eldorado de la liberté que certains promeuvent.

Le parvis du Palais du Parlement peut aussi voir s’assembler des manifestants comme ici en 2013. Foto: Stefan Bohrer / Wikimedia Commons / PD

(Jean-Marc Claus) – La Suisse, ce beau pays de la démocratie participative et de la (ré)pression sociale, qui regarde l’Europe du haut de ses montagnes, gagnerait à balayer devant sa porte, ne serait-ce qu’en termes de droits humains. Henri Dunant, citoyen genevois naturalisé français et fondateur de la Croix Rouge suite à la Bataille de Solferino, doit se retourner dans sa tombe en découvrant le Waterloo de la politique intérieure helvétique.

Ce magnifique pays tellement démocratique a fêté le 7 février le cinquantenaire de l’accession des femmes au droit de vote. Il est vrai que la Confédération Helvétique était en avance de 40 ans sur l’Arabie Saoudite, mais avait tout de même 253 ans de retard par rapport à la Suède. Des initiatives avaient été prises par les cantons de Vaud, Genève et Neuchâtel dès 1959, mais pour que les femmes puissent voter au niveau fédéral, il a fallu qu’elles attendent 1971 et même 1991 pour le canton d’Appenzell Rhodes-Extérieures.

A l’occasion de ce cinquantenaire, la conseillère fédérale Karin Keller-Sutter a salué la naissance d’une « démocratie complète ». Il est vrai que la Constitution de 1848, proclamant l’égalité en droit de tous les êtres humains avait omis, probablement par inadvertance, d’élever les femmes au rang des êtres humains ! Ainsi, en 1971, la démocratie helvétique a-t-elle enfin connu ce sentiment de complétude qui lui faisait si cruellement défaut.

Ceci faisant dire à plusieurs observateurs avisés que la Suisse, suivie du Liechtenstein en 1984, fut le premier pays au monde où le droit de vote des femmes a été voté par le corps électoral masculin. Un bel exemple de démocratie dans ce pays où les maris purent interdire jusqu’en 1985 à leurs femmes de travailler et d’ouvrir un compte en banque ! Ainsi aujourd’hui, 33% des femmes en âge de travailler ne le font pas, 60% de celles qui ont un emploi travaillent à temps partiel, et les écarts de salaire dans les entreprises sont en moyenne de l’ordre de 20% à niveau de compétence et temps de travail identiques.

Les 42% des sièges du Parlement Fédéral occupés depuis 2019 par des femmes, ne représentent donc pas la réalité du quotidien de madame tout-le-monde. Loin s’en faut et mieux encore, car à cela s‘ajoute depuis septembre 2020, une fameuse révision de la Loi Fédérale Antiterroriste adoptée par le Parlement Fédéral. Loi violant la Convention Européenne des Droits de l’Homme (1950) et la Convention des Nations Unies Relative aux Droits de l’Enfant (1989).

Cette loi, dénoncée dès janvier 2020 par Amnesty International, alors qu’elle était en projet, cible les mineurs qui, dès 12 ans, peuvent être qualifiés de terroristes sur la base de simples soupçons par la Police Fédérale et assignés à résidence dès 15 ans, sans qu’intervienne une quelconque ordonnance judiciaire. Mais de quel terrorisme la Suisse cherche-t’elle à se protéger ? L’Islam radical dont la bonne ville de Winterthur serait la capitale en Helvétie ?

Il est vrai que depuis les attentats à Vienne et à Nice en automne 2020, le Service de Renseignement de la Confédération (SRC) est à cran. La Suisse appartenant au monde occidental, elle porte des valeurs que les djihadistes considèrent opposées à leur conception de l’Islam, ainsi la menace est bien réelle. Mais ce qui fait ces dernières années le plus désordre, dans ce beau pays « propre en ordre », ce sont les manifestations pour la défense du climat, dont celle de 2018 qui rassemblant à Berne 100.000 personnes dont une majorité de jeunes, reste la plus grande jamais enregistrée dans la capitale fédérale.

En 2020, des jeunes militants ont récidivé en occupant la Place Fédérale de Berne, juste devant le Palais du Parlement. Un coup d’éclat qui eut une répercussion importante dans la presse internationale et leur attira divers soutiens au-delà des frontières. Ce qui, mis aujourd’hui en perspective avec la tentative d’invasion du Bundestag et l’invasion réussie du Capitole, peut donner à réfléchir.

Cependant, la mobilisation impliquant les jeunes générations, en Suisse comme dans de nombreux pays occidentaux, n’est pas plus le résultat d’un dévoiement de l’Islam, que de la montée en puissance de l’extrême-droite. Il s’agit d’une contestation indirecte du capitalisme, lui-même directement à l’origine du dérèglement climatique et de l’extinction des espèces vivantes. Or, dans un pays phare de la pensée néo et ultra-libérale, ce genre de contestation fait vraiment désordre.

La Confédération Helvétique, ne pouvant heureusement ne pas se comparer à la Fédération de Russie, le peuple conserve certains précieux recours dont le Référendum Facultatif. Très encadré par la loi, il nécessite 50.000 signatures de citoyen(ne)s possédant le droit de vote dans les 100 jours de la publication d’un acte législatif adopté par le Parlement. La mobilisation a payé, car le 14 janvier, près de 150.000 signatures ont été déposées au Parlement Fédéral. Un espoir pour la démocratie dans un pays qui fêtera en mars de cette année les 30 ans de… l’abaissement de la majorité civique de 20 à 18 ans !

Kommentar hinterlassen

E-Mail Adresse wird nicht veröffentlicht.

*



Copyright © Eurojournaliste