La Turquie dicte sa perception de la liberté d’expression à l’Allemagne

Angela Merkel avait le choix – mais sous la pression du dossier des réfugiés, elle s’est agenouillée devant Recep Tayyip Erdogan. Ce qui est aussi lamentable que la politique européenne vis-à-vis de la Turquie.

Poursuivi pour crime de lèse-majesté contre Erdogan et ce, avec l'aval d'Angela Merkel - Jan Böhmermann. Foto: Thomas Richter / Wikimedia Commons / CC-BY-SA 3.0

(KL) – A peu près tout le monde est aujourd’hui au courant de ce poème écrit et lu à la télévision par le comédien allemand Jan Böhmermann où il insulte copieusement le président turc Recep Tayyip Erdogan. Il est vrai que ce poème ne mérite que difficilement la désignation de poème, mais il l’a lu dans le cadre d’une émission satirique et dans les pays occidentaux, la satire fait partie de nos moyens d’expression. Du moins, pour cette perception des choses, nous avions tous manifesté après l’attentat sur «Charlie Hebdo». Ce «poème» a fait couler de l’encre et le président turc a lancé deux procédures. Angela Merkel, elle, a loupé une occasion en or pour affirmer nos valeurs de liberté face à celui que la politique européenne considère à tort comme le «sauveteur» de l’Europe.

Le code pénal allemand comprend le paragraphe 103, «Insulte d’un chef d’état étranger» et ce paragraphe prévoit que si un gouvernement étranger demande à ce que quelqu’un soir poursuivi pour un tel délit, le gouvernement allemand doit décider s’il donne le feu vert à la justice pour le poursuivre. Comprendre : le gouvernement allemand avait aussi la possibilité de refuser la requête, rien n’oblige le gouvernement d’accepter une telle plainte. La Turquie avait formulé une telle demande vis-à-vis du gouvernement allemand et Angela Merkel l’a accepté.

En parallèle, Recep Tayyip Erdogan avait déjà porté plainte à titre privé pour «insulte» devant la Cour de Mayence, donc, une procédure juridique était déjà lancée au moment où Angela Merkel a décidé de plier le genou devant le président turc. Pourtant, elle avait le choix.

Revenons sur ce «poème». Il est vrai qu’il est de mauvais goût. Jan Böhmermann l’a concédé, tout en soulignant qu’il trouvait également de mauvais goût que le président turc renvoie des réfugiés syriens dans un pays en pleine guerre, qu’il laisse tirer son armée sur des réfugiés qui tentent de franchir la frontière et en expliquant qu’il voulait opposer la gravité des faits. D’une part, un poème de mauvais goût qui excite tout le corps diplomatique, d’autre part des crimes contre l’humanité devant lesquels les mêmes diplomates ferment les yeux pour ne surtout pas froisser celui dont l’Union Européenne espère qu’il réglera le dossier des réfugiés à notre place.

«La justice suivra son cours», a indiqué Angela Merkel, tout en rajoutant un faible «mais nous ne cesserons pas de rappeler à la Turquie notre position par rapport aux Droit de l’Homme». Excellent. Sauf qu’elle ne le fait pas. Elle n’a rien fait pour faire libérer les journalistes emprisonnés en Turquie, elle n’a pas protesté contre la prise de contrôle par des soldats turcs de médias de l’opposition en Turquie, elle n’a exercé aucune pression sur la Turquie pour que celle-ci cesse ces renvois de réfugiés dans la guerre en Syrie.

Puisque la procédure privée contre Böhmermann était déjà lancée devant la Cour de Mayence, Angela Merkel aurait pu profiter de l’occasion pour affirmer nos valeurs européennes vis-à-vis d’un président turc qui se moque publiquement de ces Droits de l’Homme, qui poursuit ses opposants avec la brutalité des despotes, qui emprisonne ceux qui osent le critiquer. Depuis son arrivée dans ses fonctions, il a lancé environ 2000 procédures à l’encontre de personnes qui ont publiquement exprimé leur désaccord avec lui.

Angela Merkel avait le choix. Elle aurait pu exprimer son désaccord profond avec cette tentative de nous imposer une conception de la liberté d’expression «à la turque», elle aurait pu indiquer que la procédure privée à Mayence suffisait amplement, elle aurait pu profiter de l’occasion pour demander publiquement la libération immédiate de tous les journalistes emprisonnés en Turquie. Elle ne l’a pas fait.

L’Allemagne reste consternée devant l’accord que le gouvernement allemand a donné pour que Jan Böhmermann soit poursuivi selon ce paragraphe 103 de lèse-majesté. Il ne s’agit pas seulement d’une erreur politique qui risque de coûter cher à Angela Merkel, mais d’une attaque turque sur la liberté d’expression soutenue par la chancelière. On a le droit de publier des textes de mauvais goût. On a le droit de nous moquer des hommes et femmes politiques. On a le droit de dire des choses impertinentes. Cela s’appelle la liberté d’expression. Angela Merkel vient de l’abaisser au niveau en vigueur en Turquie.

3 Kommentare zu La Turquie dicte sa perception de la liberté d’expression à l’Allemagne

  1. Peter Cleiß // 19. April 2016 um 6:44 // Antworten

    Rückfrage: der rechtsradikale Pegidagründer Bachmann steht vor Gericht, weil er Ausländer als Viezeug, Gelumpe und Dreckspack bezeichnet hat. Dürfte Bachmann all dies sagen, wenn er seine menschenverachtende Begriffe als “Kunst”, die Veranstaltung als “Satire-Treff” und seine Beschimpfungen als “freie Meinungsäußerung” bezeichnen würde?
    Oder anders gefragt: was hat Böhmermann anders getan als Bachmann?
    Und schließlich: welchen Stellenwert hat Paragraph 1 im Grundgesetz?

    • Kai Littmann // 19. April 2016 um 16:06 // Antworten

      Dein Punkt ist nachvollziehbar, Peter, doch Böhmermann hat bewusst das Stilmittel der (geschmacklosen) Übertreibung gewählt, ist Satiriker und wollte damit schwere Verstösse gegen die Menschenrechte anprangern. Es wäre wohl einfacher, würden die EU und die Bundesregierung nicht vor einem Politiker den Kotau machen, der syrische Flüchtlinge zurück in ihr Kriegsland deportiert, in seinem Land systematisch Kritiker, Oppositionelle und Minderheiten verfolgt und drangsaliert, wozu die EU und Frau Merkel geflissentlich schweigen. Der Vergleich “Böhmermann : Bachmann” ist insofern ziemlich gewagt. Und was soll man von einem Bernd Lucke halten, der Böhmermann als “feige Drecksau” tituliert ?

  2. HEMMERLÉ Pierre // 9. Februar 2019 um 15:31 // Antworten

    La Mairie de Strasbourg, la ville maudite, a (c’est l’écho de Bamako et des Dna réunis) payé pour une salle des fêtes pour porter le führer turc au Zénith.
    Strasbourg, la capitale des voitures brûlées et des têtes brûlées, mais à visage découvert…

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