La Vanité : un film hors du commun de Lionel Baier

Notre expert cinéma Nicolas Colle a rencontré le réalisateur suisse Lionel Baier dont le nouveau film «La vanité» sort aujourd’hui, mercredi, dans les salles. Une vraie découverte !

Pour Eurojournalist(e), le réalisateur suisse Lionel Baier a expliqué son nouveau film. Nicolas Colle a receuilli les propos. Foto: Distribution

(Par Nicolas Colle) – Le pitch : Au cours d’une nuit de Noël, dans un motel isolé, David Miller, vieil architecte usé et malade, souhaite quitter le monde des vivants dignement. Il fait appel à une association d’aide au suicide qui lui dépêche Espé. Il demande alors à son voisin de chambre, un jeune prostitué Russe, d’être le témoin de son départ. Mais alors qu’il se croyait prêt, sa rencontre avec ces accompagnants va bouleverser ses certitudes et lui redonner foi en la vie et aux autres.

L’œuvre d’un voisin suisse. Voilà un sujet plein de gravité traité très habilement par le cinéaste Suisse Lionel Baier, qui s’est inspiré d’un fait réel après qu’un de ses étudiants de la faculté de cinéma de Lausanne où il enseigne toujours, lui eut raconté s’être prostitué dans un motel à proximité de la ville. Le jeune homme avait alors vécu un événement étrange, ses voisins de chambre lui ayant demandé d’être le témoin d’un suicide assisté, comme la loi Suisse l’exige. Mais plusieurs rebondissements au cours d’une nuit complètement folle ont réussi à empêcher l’euthanasie d’avoir lieu.

C’est en variant toujours sobrement sa mise en scène que le réalisateur nous entraine dans un récit aux allures s’apparentant par moment au cinéma très sombre et nerveux de David Lynch tout en basculant à plusieurs occasions et de manière totalement inattendue dans des références plus légères et décalées dont il nous a avoué s’être inspiré auprès de grands cinéastes .

Laissons le parler :

«Je me suis souvenu de «Qui a tué Harry ?» d’Alfred Hitchcock, un film tourné uniquement en studio, très anti naturel et avec une forme d’humour noir très british. «La Vie est Belle» de Frank Capra m’a également beaucoup nourri car il traite d’un sujet grave mais sa structure s’apparente à celle d’un conte de Noël avec un humour qui permet toujours de décaler la réalité. Et ça, c’est un élément auquel je tenais particulièrement. J’ai donc souhaité donner à mon film, une structure de pièce de théâtre à la Vaudeville, avec des portes qui claquent, des chambres d’hôtels, des allers et venues des personnages, et en tournant quasiment l’intégralité de l’histoire en studio. De plus, à tout moment le film devait faire un pas de côté en se décalant toujours un peu par rapport à la gravité de la situation traitée, notamment grâce au jeu des comédiens qui est également très décalé. »

C’est donc dans ce décor unique de motel à l’américaine des années 60 que l’on assiste à ce que le réalisateur considère comme une sorte de voyage intérieur de ses personnages, filmé à la manière d’une pièce de théâtre :

«Je tenais à ce que le déplacement dans l’espace soit le plus minimaliste possible, d’où l’intérêt de restreindre le nombre de décors et de tourner en studio. En fait, je souhaitais faire une sorte de «road movie arrêté» avec des gens qui ne se connaissent pas mais qui en se rencontrant, vont voir leurs certitudes totalement chamboulées. En réalité, le déplacement se passe dans leur affect, à l’intérieur d’eux-mêmes. Le personnage de David Miller pense être prêt à en finir avec la vie mais il se rend compte à travers ses rencontres qu’il a encore le goût et la curiosité des autres. Il pose des questions à Espé pour savoir comment elle vit et qui elle est. Il s’intéresse également à son jeune témoin russe, voisin de fortune et à sa sexualité. Je pense qu’on est prêt à mourir quand on a plus le goût de ses contemporains, de ce qui les anime et les faits vibrer. Donc ici, la curiosité des autres sauve le personnage.»

Et si l’on s’amuse et s’émeut tour à tour du sursaut de vie qui anime peu à peu David Miller, on éprouve les mêmes sentiments vis à vis des autres personnages totalement incrédules face à l’attitude du vieil homme :

«Le jeune russe ne comprend pas qu’on puisse se battre pour mourir alors que lui-même est originaire d’un pays où l’on se bat encore pour survivre. Quant à Espé, ils ont le même âge elle et David mais ils n’ont pas vécu le même vingtième siècle. Lui est un architecte fortuné qui a aidé à construire le monde. Donc lui a eu une facilité qu’elle n’a pas connue. Je voulais montrer les différences culturelles et économiques entre l’Europe du sud et du nord. Entre ceux qui ont dirigé et les ouvriers. Donc, ces deux personnages ont vécu la même époque mais pas de la même façon. Et puis, le mari d’Espé est mort en souffrant mais culturellement elle ne s’est même pas autorisé à penser le tuer, parce qu’il y a le poids de l’église, la morale etc… mais lui, avec son grand confort, il peut décider de quand et comment partir, donc il y a une sorte d’injustice sociale qui frappe même face à la mort.»

Une actualité brûlante dans tout le monde occidental. D’ailleurs, au moment où ce débat fait rage en France et ailleurs sur ce sujet sensible, on ne peut s’empêcher de questionner le réalisateur quant au fait que son pays ait d’ores et déjà légalisé cette pratique :

«Je pense que si on faisait voter le peuple français, il voterait pour la légalisation de l’euthanasie. Les gens sont plus prêts qu’on veuille bien le croire. En Suisse, du fait que les gens sont protestants, le rapport à la mort est très différent par rapport à celui que peuvent avoir les catholiques. Les Suisses ont aussi une façon d’aborder la mort de façon moins sentimentale et affectée. Du coup, les discussions qui se passent en France sont intéressantes car elles amènent à se poser des questions que les Suisses ne se sont pas posées. Ils aiment moins la dispute que les Français, mais dans le bon sens du terme, c’est à dire la discussion qui va permettre aux uns et aux autres d’argumenter, et donc très vite ils se sont mis d’accord pour trouver une loi et encadrer cela sans réfléchir philosophiquement à ce que ça voulait dire. En France, la discussion prend du temps mais elle n’est pas inintéressante car elle permet à chacun de se poser des vraies questions à savoir : À quel moment est ce qu’on s’arrête ? Est ce que notre rôle consiste à aider les gens à vivre le plus longtemps possible dans le plus grand confort ou les aider à partir quand ils le souhaitent ? Les Suisses sont aussi plus pragmatiques, alors que les Français ont une nature qui les amène à se poser des questions philosophiques et à nourrir le débat.»

La Suisse qui est d’ailleurs très présente à l’image notamment en raison de l’incroyable cinégénie que peut dégager la ville de Lausanne où le réalisateur est né et vit encore et toujours :

«Le film est très lié à l’architecture de la ville car elle s’est véritablement construite dans les années 60. Après la guerre, il y a eu beaucoup de projets pour la reconstruire. De fait, il y a beaucoup d’emprunt à l’architecture des bâtiments des années 60 à l’américaine comme le motel ou les drivings. C’est une ville emprunte d’une modernité qui est vraiment celle du 20ème siècle. En plus, le personnage principal est architecte donc on peut penser qu’il a aidé à réinventer Lausanne. Mais aujourd’hui, tout est plus conservateur et on a du mal à la moderniser alors que la génération de David Miller avait pour ainsi dire carte blanche. Ça rejoint un peu l’idée que ce personnage ne se sent plus forcément en phase avec le monde d’aujourd’hui car il a eu les clés en main pour créer ce qu’il voulait alors que maintenant il est bloqué par un certain conservatisme.»

La ville de Lausanne, son architecture et tout ce qu’elle raconte, l’euthanasie, le droit de partir dans la dignité, les différentes approches culturelles et humaines face à la mort, la maladie, le goût des autres, autant de thèmes traités avec noirceur, finesse et humour à la fois dans un seul film d’1h15. Chapeau ! Et quand on fait remarquer à Lionel Baier le nombre de sujets importants qu’il a pu aborder, il répond très simplement :

«En fait, c’est très pragmatique, on commence à raconter une histoire et après on analyse son scénario et on se rend compte de ce qui fait sens. Il y a des choses qu’on pense au scénario puis d’autres au tournage puis encore des nouvelles au montage. Et finalement, on est surpris soi même en voyant tout ce que son film peut raconter une fois qu’il est fini. Si on essaie de connecter naturellement les choses entre elles, on ne pourrait pas écrire de scénario. On écrit d’abord puis on s’aperçoit de ce que ça produit et enfin, on essaie de reconnecter des choses entre elles. On écrit quelque chose d’affectif puis on se rend compte qu’il y a des choses qui parlent de vous mais qui sur le moment vous dépassent puis finissent par se connecter.»

Bande annonce du film – CLIQUEZ ICI !

La Vanité END Distribution OK

2 Kommentare zu La Vanité : un film hors du commun de Lionel Baier

  1. N’oublions pas l’aspect socio-politique: le débat sur l’euthanasie, sur le droit de mourir dans la dignité. Le film conduit forcément à une réflexion à ce sujet

  2. Oui on en débattra encore beaucoup.. Et c’est tant mieux ! Sauf que..
    A quel moment est-ce qu’on s’arrête ?
    Qui peut le dire ? hormis celui (celle) qui se trouve confronté(e) aux affres de sa fin de vie.
    Comment des certitudes peuvent se trouver bouleversées, comment retrouver foi en la vie et aux autres quand la vie ne laisse plus aucune chance… et devient insupportable …?
    David Miller n’est probablement pas suffisamment usé et malade.. et j’en suis heureuse pour lui.. Dans ce cas, tout espoir est permis
    Mais ce n’est qu’un cas de figure … parmi tant d’autres..
    Quel fossé entre les législations, suisse et française !
    Là est, sans doute, tout l’intérêt du film qui j’espère pourra apporter de “l’eau au moulin”..
    Mais pourquoi ce titre ” la vanité” ?

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