La « Vienne rouge » de l’après 1918

Un superbe exemple d’architecture sociale

Le Bâtiment Karl Marx (1930) à Vienne Foto: Thomas Ledl/Wikimédia Commons/CC-BY-SA 4.0Int

(Marc Chaudeur) – Comme quoi c’est possible… Il y a exactement 100 ans, dans la capitale de l’Autriche écornée de toutes ses excroissances extra-allemandes, la municipalité social-démocrate mettait en place la plus intéressante tentative architecturale européenne, grâce à laquelle les gens modestes pouvaient survivre bien, et même un peu vivre… Un endroit passionnant.

Une très belle exposition retrace les interrogations et les projets de cette période 1919-1934 où les sociaux-démocrates ont été élus (à 54,1 % des voix…) à la Mairie de la Grande capitale autrichienne. L’Exposition n’occupe d’ailleurs pas seulement le MUSA, ce grand musée viennois, mais aussi une bonne dizaine de lieux dans la ville, bien évidemment dans les quartiers où on peut admirer les réalisations les plus belles et les plus significatives des architectes dont le but était de … changer la vie ! Non pas par des calculs florentins sur la suprématie d’un parti sur les autres, ni par une utopie fumeuse projetée dans la Voie Lactée, mais par des réponses conséquentes aux questions humaines : à quoi servent la culture et l’Art ? Quelles relations entre hommes et femmes, quelle répartition du travail domestique ? Que faire de son temps libre ? Quel épanouissement individuel et social donner à la vie de ces hommes qui, pour la plupart, travaillaient dans les grandes entreprises ?

En 1918, comme à Berlin, à Munich ou à Budapest, des conseils de soldats se forment. Mais bientôt, les sociaux -démocrates plus modérés s’emparent du pouvoir et tentent d’appliquer le principe : parler en langue révolutionnaire, agir en réformiste. La pensée d’Otto Bauer les influence fortement : il s’agit de cet « austromarxisme » qui concilie un socialisme très radical et un souci du terrain particulier qu’est ce grand petit pays. A partir de là, les SD remportent de grands succès politiques et sociaux : congés payés, conseils d’entreprises, sécurité sociale, journée de 8 heures, limitation des loyers et organismes de protection des locataires,… Admirable. Et cela après une période très dure, de la fin du 19e siècle à 1918, dans laquelle les spéculations immobilières, sur le loyer et sur le coût de  matériaux et la tuberculose ravageaient les couches modestes de la population.

Mais dans l’ensemble de l’Autriche, les conservateurs reprennent les rênes du pouvoir. Seule Vienne résiste : un nid de dangereux communistes, une forteresse à assiéger. Les troubles politiques, souvent allumés par des bandes paramilitaires, ravagent le pays et font de nombreuses victimes. Mais les sociaux-démocrates tiennent bon. L’un d’eux, Jakob Reumann, occupera la mairie jusqu’en novembre 1923, suivi par Karl Seitz avant que les fascistes autrichiens (qu’on nomme souvent austrofascistes) ne l’emportent grâce aux moyens les plus violents.

En mars 1933, le chancelier Dollfuss suspend la constitution démocratique, la célébration du 1er Mai est supprimée, les SD font l’objet de campagnes de calomnies. La violence monte à l’extrême jusqu’au 14 février 1934, où la police et l’armée autrichiennes canonnent les grands bâtiments réalisés après 1921 où logent des milliers d’ouvriers. Un projet de grève générale échoue. La gauche est balayée. Au prix de 180 morts et 460 blessés… La barbarie l’emportera durant 12 années.

Les fascistes, puis les nazis autrichiens mettaient ainsi fin à une douzaine d’années d’expérimentations qui ont profondément marqué la physionomie de la ville. De grands architectes aux noms un peu oubliés ont œuvré là, à contre courant de ce qui se passait dans le reste de l’Autriche réduite à sa portion congrue après sa défaite de 1914-18.

Il faut arpenter longuement les rues et ruelles de cette ville magnifique pour se faire une idée de l’ampleur de l’opération urbanistiques de ces années là. Et visiter le MUSA. L’exposition continue jusqu’au 19 janvier 2020. Une visite qu’il est indispensable d’ effectuer avec dans son petit sac le Guide qu’ publié l’éditeur Falter : Rotes Wien (2003). Ce Guide propose un itinéraire précis et excellemment commenté qui comprend 5 « routes »

L’Expo : Das Rote Wien 1919-1934
Felderstrasse 6-8
°43 (0)1 4000 85169

Le livre : Rotes Wien, 120 p., Falters City Walks, Vienne, 2003.

 

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