La «vignette» : une usine à gaz venue de Bavière

Personne ne la veut – et c'est peut être pour cela qu'elle viendra – la «vignette automobile» qui ne serait autre qu'un «droit d'entrée» en Allemagne.

Le Péage de Saint Arnould - un tel machin à l'entrée de l'Allemagne ? Foto: Coyau / Wikimedia Commons / CC-BY-SA 3.0

(Par Alain Howiller) – Ce n’est certes pas très rassurant sur les bords du Rhin, mais qui l’eût cru : la France a perdu le monopole des… usines à gaz fiscales. Là aussi, l’Allemagne a gagné en compétitivité grâce à son idée de «vignette automobile» (que ses promoteurs appellent parfois «Maut», tout simplement). L’idée en est venue de Horst Seehofer, Président du Land de Bavière, lui-même, alors que, cherchant quelques thèmes un peu démagogiques pour nourrir sa campagne aux élections législatives, il s’est avisé que son «land» était entouré de pays (Autriche, Suisse, Italie) imposant une vignette aux automobilistes immatriculées à l’étranger ne payaient rien pour traverser «sa» Bavière, alors qu’ils participent à l’usure des infrastructures routières. Il fallait mettre d’autant plus un terme à ce scandale, que les automobilistes allemands payaient déjà, eux, une taxe -la Kfz-Steuer (Kraftfahrzeugsteuer)- et qu’ils payaient bien, eux, leur vignette à l’étranger.

Horst Seehofer s’efforça de faire passer son idée dans le «contrat de coalition» de la Grande Coaliton et a chargé deux Ministres Fédéraux des transports -Peter Ramsauer, puis Alexander Dobrindt appartenant à la CSU bavaroise- de mettre le projet en musique. L’un et l’autre s’y emploient activement avec, pour l’instant du moins, un succès tout relatif qui n’est pas loin de faire pense au sort réservé jusqu’ici à la fameuse «écotaxe» française !

En France, une idée venue d’Alsace ! – Si pour la vignette allemande, il s’agissait de faire participer les «étrangers» au financement des infrastructures routières, l’éco-taxe -remplacée par un «péage de transit» frappant, sur les axes de grand transit, les poids lourds de plus de 3,5 tonnes- entendait, en principe, lutter contre la pollution ! L’origine de l’ex-éco-taxe est à chercher dans un projet né en Alsace où on entendait lutter contre l’augmentation (+15%) sur les autoroutes françaises des bords du Rhin, du trafic de camions étrangers chassés d’une rive à l’autre de l’axe rhénan par la création, en 2005, de la «Lkw-Maut» allemande ! Là aussi, l’idée de base était de se protéger contre les véhicules venus d’ailleurs : elle devait s’appliquer en Alsace avant d’être étendue à l’ensemble du territoire. Adoptée par le Parlement, l’éco-taxe sera suspendue par le gouvernement socialiste avant d’être remplacée par le «péage de transit», à la suite de violentes manifestations, notamment en Bretagne ! Alors que l’ancien système devait rapporter 1,15 milliard € à l’Etat, le nouveau système, lui, rapportera -au mieux- 500 millions ! A ramener aux 600 millions d’euros que la vignette allemande devrait rapporter, chaque année !

D’entrée de jeu, lorsqu’on commença à évoquer la naissance de la «vignette allemande» (PKW-Maut), des critiques sont venues de la Commission de Bruxelles qui voyait dans une «taxe» ne frappant que les étrangers, un comportement discriminatoire ! Mais comment l’éviter lorsqu’on veut rétablir une certaine équité entre les étrangers qui ne payent rien et les Allemands qui, eux, payent déjà la Kfz-Steuer ? Comment éviter un cumul aux automobilistes allemands, si on devait se limiter à introduire, comme dans d’autres pays, un «péage autoroutier» qui toucherait indifféremment tout le monde ? Pas simple !

Des critiques venues des régions frontalières ! – D’autant que les critiques ont rapidement explosé, portées notamment par les régions situées à la frontière du pays. Les Pays-Bas et la Belgique ont annoncé qu’ils formeraient des recours contre la vignette, devant la justice européenne. L’Autriche entend faire de même. Johannes Waidbacher, maire «ÖVP» (Österreichische Volkspartei, chrétien-démocrate) de la ville-autrichienne frontalière de Braunau-am-Inn (17.000 habitants) et Klaus Schmid, maire CSU de Simbach-an-Inn (ville bavaroise voisine de 10.000 habitants) ont organisé une sorte de conférence de presse au milieux du pont qui relie la rive autrichienne et la rive allemande. Ils entendaient protester contre un projet qui risque de peser sur leurs bonnes relations et qui menacera directement les consommateurs et les travailleurs-frontaliers qui achètent ou travaillent dans le pays voisin !

Le Maire (CDU) de Kehl Toni Vetrano (voir eurojournalist.eu du 11 Juillet) n’est pas demeuré en reste : il a lui aussi critiqué un projet dont Willi Stächele, Vice-Président (CDU) du Oberrheinrat (Conseil du Rhin Supérieur) a souligné : «Ce que nous savons du projet de vignette nous conduit à penser que ce sera contre-productif pour la coopération dans le Rhin Supérieur… La vignette ne devrait concerner que les trajets de longue distance, les axes autoroutiers…». Céleste Letten, Député UMP de la Moselle, a attiré l’attention de Harlem Désir, Secrétaire d’Etat aux Affaires Européennes, sur les distorsions que risque de créer la vignette dans les régions frontalières. Les «élus socialistes et démocrates» de la Région Alsace attirent l’attention sur l’atteinte à la libre circulation dans l’espace transfrontalier et demandent à Philippe Richert, Président de la Région Alsace, de provoquer une réaction du Conseil du Rhin Supérieur. Ce dernier attend de voir quelles sont les modalités finales de la vignette pour étudier -et réagir éventuellement- la situation qu’elle fera aux travailleurs frontaliers.

L’Eurodistrict Strasbourg-Ortenau saisi. – Roland Ries, Sénateur-Maire de Strasbourg, Président de l’Eurodistrict Strasbourg-Ortenau, entend saisir son institution transfrontalière «en espérant que la vignette ménagera un statut particulier aux régions frontalières». L’Association des frontaliers d’Alsace-Lorraine (rien qu’en Alsace, on compte 63.000 travailleurs frontaliers se rendant en Allemagne) regrette une taxe qui obèrera le revenu de ses membres : ceux-ci continueront, malgré tout, estime le président de l’association, «à se rendre Outre-Rhin : compte tenu du marché du travail, ils n’auront pas d’autre choix…». Bärbel Schäfer, la Regierungpräsidentin du Pays de Bade Sud, regrette depuis Fribourg les retombées négatives que l’introduction de la vignette pourrait avoir sur les consommateurs et les travailleurs frontaliers français voire suisses !

Ce ne sera pas le cas des consommateurs que la vignette pourrait dissuader de continuer leurs achats en Allemagne : c’est ce que redoutent les commerçants allemands alors que leurs concurrents espèrent -sans le dire- qu’une bonne partie de la clientèle qui pratiquait «l’évasion des achats» leur reviendra !

Angela Merkel, prudente, veut négocier ! – Avant même que la vignette soit introduite, le «Länder» et le «Bund» se disputent -déjà !- sur la répartition de la recette. «Faute de moyens humains suffisants», Wolfgang Schäuble a souligné qu’il était hors de question de demander aux fonctionnaires de son ministère (notamment les douaniers) de contrôler l’achat (et l’apposition sur les pare-brises) de la vignette. Même position pour le Ministère de l’Intérieur ! Interrogée lors de sa conférence de presse avant de partir en congés, Angela Merkel est restée prudente à propos de ce qu’elle appelle «une contribution aux infrastructures» («Infrastrukturabgabe»).

Son «concept» sera élaboré, a-t-elle souligné, en étroit concertation avec la Commission Européenne et les pays voisins pour éviter des plaintes en justice. Le Ministre de l’Intérieur de Bavière a évoqué la possibilité de trouver une solution avec les pays voisins en créant des zones frontalières exemptes de vignette. Et cerise sur le gâteau dans ce florilège de réserves, Maria Krauzberger, Présidente de l’Union Fédérale pour l’Environnement, estime, quant à elle, que le système envisagé n’apportera aucune contribution à la protection de l’environnement !

Quel système en forme «d’usine à gaz» sortira finalement de ces débats ? On a une petite idée sur ce que la «vignette» rapportera (!), mais on ne sait pas encore qui touchera l’argent, ni qui contrôlera l’application du nouveau dispositif ! On ne sait pas encore exactement comment on l’appliquera, mais on évoque déjà des exemptions. Comme aurait pu chanter Nino Ferrer, le chanteur français, «On dirait le Sud !»… au pays du «Standort Deutschland» !

Impertubable et déterminé, Alexander Dobrindt a affirmé lors d’une récente table ronde à la chaine de télévision bavaroise : «Nous aurons la vignette ou la Maut – peu importe comment on l’ appelle-, parce que nous en avons besoin pour financer nos infrastructures routières… Il n’y a pas de raison pour que l’Allemagne soit l’un des derniers pays à ne pas faire payer ses infrastructures par ceux qui les utilisent… Et nous ne pouvons pas attendre 10 ou 15 ans pour que l’Europe règle notre problème !… «Circulez, il n’y a rien à voir ?»

1 Kommentar zu La «vignette» : une usine à gaz venue de Bavière

  1. Yveline MOEGLEN // 31. Juli 2014 um 0:41 // Antworten

    Les oppositions exprimées à cette vignette sont purement électoralistes et choquantes… !
    Personne n’évoque les péages des autoroutes françaises … qui elles sont scandaleusement chères … ni la vignette suisse pour ses autoroutes à 40 € par an ….ni l’entrée en voiture dans la ville de Londres … !
    La gratuité en 2014 n’est plus à l’ordre du jour …. !!

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