L’accent de Jean Castex, Premier ministre

De la mentalité française et de quelques-uns de ses rhizomes

Montségur, l'un des bastions de la civilisation occitane au Moyen Age Foto: Belgian man/Wikimédia Commons/ CC-BY-SA/3.0Unp

(Marc Chaudeur) – Jean Castex finirait presque par nous devenir sympathique. On a pu se voir infliger sur les réseaux sociaux toutes sortes de traits d‘ « humour » et de sarcasmes sur l’accent du nouveau Premier ministre, natif de Vic-Fézensac (Gers). Une constante bien française ; et tout récemment encore, on a entendu Mélenchon imiter l’accent méridional d’une journaliste qui lui posait une question acérée, très acérée, sans doute trop acérée… C’est évidemment inadmissible. Mais ce qu’on appelle aujourd’hui glottophobie, c’est-à-dire le pathos français de l’accent, remonte très très loin.

La France, un très beau pays, oui oui. Et si varié… Mais au fait, pourquoi est-il si varié ?  – C’est qu’il est le produit, dans sa forme actuelle (le fameux Hexagone, vous savez, « aux quatre coins de l’Hexagone », comme disent parfois les journalistes des actus TV…), de conquêtes militaires ou de manigances matrimoniales réussies au fil des siècles. Ainsi, la Bretagne française, c’est le produit du mariage contraint d’Anne de Bretagne ; la Flandre française a été prise et reprise aux Espagnols ; l’Alsace, sur le Saint Empire romain germanique ; la Savoie, le Dauphiné, le Comté niçois ont été conquis, incorporés sans consultation ou achetés. La Corse, elle, a été achetée à Gênes un an avant la naissance de Napoléon. Le Pays Basque a vu ses fors autonomes engloutis dans l’unité française au forceps le 4 août 1789,… Et la plus grande partie de la moitié méridionale de la France actuelle est le résultat de l’anéantissement militaire d’une civilisation magnifique, géniale et florissante qu’on appelle à nouveau aujourd’hui Occitanie, puisque cela ne dérange plus le Roy de France ni ses successeurs républicains.

Pour l’essentiel, les accents les plus marquants qu’on puisse entendre sur le territoire français sont les résidus plutôt fantomatiques de langues disparues, parce qu’éradiquées par la soldatesque des souverains de France. Ou encore présentes, comme l’alsacien, (initialement dialecte allemand parmi d’autres comme le bavarois ou le francique rhénan), le corse, le basque, ou le flamand dont il reste très peu de locuteurs sur le territoire français.

L’Occitanie médiévale nous a donné la poésie et la musique de la Fin’Amor (“poésie courtoise”) dont on ne s’imagine même pas la géniale profondeur tant qu’on ne les a pas abordées, c’est-à-dire lues, écoutées et quelque peu étudiées. Saviez-vous seulement qu’ ont existé des femmes troubadours, et des gratinées qui n’avaient pas leur langue dans leur poche ? Non, n’est-ce pas ? Et que s’y côtoient des genres très divers dont une sorte de satire politique ? Et pourquoi l’ignoriez-vous ? Mais certes, à notre époque, n’est-ce pas, chez ces gens là, à Paris, on cause, on cause, et on surfe sur le vernis clinquant d’une sorte d’ectoplasme de post-modernité totalement insignifiant ; et on aime ça. Et l’accent méridional ? Il est ce qu’il reste d’une culture et d’une langue qui assurait une transition entre la culture maure de l’Andalousie et les pays de langue d’oil ; ce qu’il reste des parlers occitans, très variés d’ailleurs et s’étendant jadis sur une vaste surface, du Limousin jusqu’ à Béziers et de Pau jusqu’à Nice.

Quand on achète des pays et qu’on les conquiert, on doit s’attendre à de la diversité à l’intérieur du pays agrandi par ces pratiques, non, ne serait-ce que ces résidus que sont les accents « régionaux » ? Eh bien non, pas en France. A ceci, deux raisons : d’abord, la mauvaise conscience enracinée dans la psyché du conquérant, un peu (mutatis mutandi) comme certains Blancs américains préfèrent étouffer sous leurs genoux ou pendre les Noirs qu’ils ont réduits en esclavage que de les voir se promener tranquillement devant eux. Et ensuite, plus essentiellement, il y a cette constante de la culture et sans doute, de la mentalité française qu’est l’unité à tout prix. A tout prix, c’est-à-dire au prix de l’appauvrissement culturel et d’un esprit ultra-autoritaire et tutorial. Il faut absolument hisser les autres jusqu’à l’excellence transcendante de… de soi-même, de la culture française, aboutissement absolu du Génie humain.

Mauvaise conscience du conquérant et unification autoritaire sont intimement liés. Où sont les causes et où sont les effets ? Au 17e siècle, siècle de la fondation de l’Académie française par ce grand conquérant qu’est le Roi Soleil, Pharaon moderne qui aveugle l’Humanité de sa génialité, siècle de la conquête de l’Alsace, Descartes écrit (Discours de la méthode) qu’une ville est toujours plus belle quand un seul architecte l’a construite que lorsqu’elle est le produit de sédimentations successives. Vrai ? Non, pas nécessairement. Mais Descartes expose cette idée comme une évidence allant de soi… C’est très caractéristique de l’esprit français. Et un siècle plus tard, dans le Contrat social qui est la bible de la République Française, Rousseau développe (Livre I, chapitres 1, 2 et 3) sa conception de la Volonté générale : en substance, elle est un creuset où l’on écrabouille au mortier toutes les différences afin qu’il en sorte une belle bouillie qui sera la société française de demain. Et en passant, plus loin dans le texte, Rousseau s’y montre hostile à la séparation des pouvoirs, puisqu’elle affaiblit l’État : il est plus avantageux de tenir la Justice à la botte de l’exécutif. On a très bien connu cela très récemment.

D’où de lourds sarcasmes comme ceux qu’on sent peser et qu’on voit grimacer dans les réseaux sociaux envers l’accent du nouveau Premier ministre. Il n’est de bon français que de Paris, et de bon accent que celui en cul de poule qu’on entend dans la ville des Folies Bergères – et encore, dans certains de ses arrondissements, du moins. En d’autres pays européens (en Grande-Bretagne, en Allemagne,…) ces sarcasmes de petits dictateurs de la culture et du caf’comm’ réunis n’ont nullement l’importance catégorique qu’ils ont en France ; ils relèvent tout au plus de la gentille moquerie. En France, celui qui ne parle pas, notamment, comme dans le XVIe ou dans le VIe est un demeuré, l’idiot du village, une sorte de meschugges ” provincial “  – et aussi remarquables soient ses mérites, son niveau de culture et ses compétences. On le juge réellement d’après son accent !

Oui, Jean Castex finirait presque par nous devenir sympathique…

 

 

 

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