L’Albanie : à nouveau une province de la Turquie ?

Erdoğan en plein cœur de Tirana

Le centre de Tirana, avec la statue du héros Skanderbeg Foto : Konrad Zielinski syna Julo/Wikimédia Commons/CC-BY-SA/ 2.5Poland

(Marc Chaudeur) – Ahurissant : les promeneurs du Parc du Lac de Tirana, au centre de la capitale albanaise, se heurtent depuis le mois de juillet dernier à une stèle noire affublée du drapeau turc. Le panneau porte la liste des 251 « victimes de la tentative de coup d’État de 2015 » qui était censée renverser Erdoğan ! A Tirana ? Dans la capitale d’un Etat souverain qui s’est libéré de l’occupation ottomane dès 1912, et qui réaffirme sans cesse son désir d’entrer dans l’Union Européenne ?

Faute de réactivité et de dynamisme de l’Union Européenne, la Turquie de Recep Tayyip Erdoğan et de son parti AKP ne cesse d’avancer ses pions dans les pays des Balkans. Même en Serbie et en Croatie. Mais elle est d’autant plus présente dans les pays musulmans de la Péninsule, à savoir la Bosnie, le Kosovo et l’Albanie. Erdoğan y marque de plus en plus sa présence par les symboles divers de sa propagande. A Tirana, c’est assez spectaculaire : la mairie de la capitale albanaise, en complicité avec le gouvernement corrompu d’Edi Rama, a rebaptisé l’endroit « Parc de la Démocratie du 15 juillet » et la ruelle menant, au bord du Lac, à la stèle « Route des Martyrs du 15 juillet » !

Il est vrai que ce monument cristallise, et encourage, les investissements nombreux et croissants de la Turquie dans le pays de Skanderbeg : notamment celui de l’aéroport de Vlora, au sud du pays. Les rapports entre le Président Rama et Erdoğan sont excellents, merci. Au point que comme en Bosnie et au Kosovo, le gouvernement populo-islamiste d’Erdoğan a demandé l’extradition de plusieurs opposants sympathisants de Gülen. Heureusement sans effet, du moins pour l’instant – au contraire de ce qui s’est passé au Kosovo.

Mais il ne faut pas s’y tromper : la majorité de la population albanaise semble indignée, voire révoltée par cette bonne entente sonnante et trébuchante au sommet. Comment se fait-il que la municipalité de la capitale ait pu ainsi, avec la complicité de Rama, édifier le monument à cet endroit si passant, et rebaptiser les lieux sans aucune consultation de qui que ce soit ? Les Albanais ont été mis devant le fait accompli : un communiqué de presse parachuté, et une annonce émanant de l’Ambassade de Turquie !

Beaucoup de Tiranais aimeraient que cette stèle soit détruite. Le 30 Août, quelqu’un a martelé la pierre noire incriminée ; l’esprit frappeur nocturne n’a pas été retrouvé. Pour la plupart des Albanais, ce n’est là qu’une affaire de politique interne turque, qui n’a aucun rapport avec le Pays des Aigles. La vox populi s’indigne de la présence de drapeaux turcs – et pas seulement dans le Parc : on en voit effet toujours davantage. C’est ainsi que les citoyens albanais se reconnaissent de moins en moins dans le gouvernement qui est censé les représenter et les administrer. Le temps de l’Empire ottoman est révolu, depuis très longtemps !, entend-on ; c’est une atteinte à la dignité du pays.

On rappelle aussi que le bilan du  « coup d’État manqué » du 15 juillet 2016 (qui reste d’ailleurs assez énigmatique) se complète de 80 000 arrestations, de plus d’une centaine de journalistes emprisonnés, de 150 personnes qui risquent fort de passer le reste de leur vie en prison, de 130 000 licenciements (parmi lesquels 6000 enseignants)… Alors, une stèle à la gloire de R.T. Erdoğan, vraiment ? Est-ce de cela que l’Albanie a besoin ?

Le 13 août dernier, des citoyens albanais ont donc demandé le retrait de la plaque et des dénominations nouvelles du Parc et de la rue « des Martyrs du 15 juillet ». Le même jour, une pétition (https://www.change.org/) a été mise en circulation dans le pays et à l’étranger, adressée à la municipalité de Tirana. Elle constate que la Plaque du Parc n’a pas de signification ni de pertinence historique, culturelle ou spirituelle pour le peuple albanais ; qu’elle n’a aucune signification symbolique ou historique pour les générations à venir ; qu’elle n’a aucune pertinence quant aux valeurs de liberté, de démocratie et de droits de l’Homme. Et qu’elle ne bénéficie d’aucun soutien de la part des résidents et citoyens albanais.

A suivre… Nous continuons d’espérer malgré tout que les Etats des Balkans sont pris en considération par les institutions européennes, et que l’Union Européenne y a sa place au lieu (ou au pire) de la Turquie ou de la Chine. Mais il reste beaucoup à faire ! Beaucoup.

A consulter : l’excellent Courrier des Balkans https://www.courrierdesbalkans.fr/

 

 

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