L’Allemagne à nouveau divisée

L’accueil massif de réfugiés scinde les opinions, la rupture s’étend maintenant au-delà des partis politiques

"Nous n'y arriverons pas", dit le maire de Tübingen Boris Palmer (Verts) en craignant l'arrivée de 3,65 millions de réfugiés pendant les 12 mois à venir. Foto: Björn Láczay / Wikimedia Commons / CC-BY 2.0

(Par Mélanie Gonzalez) – Dans le dossier de la crise des réfugiés, la ligne politique d’Angela Merkel était contestée jusqu’ici surtout dans son propre camp (CDU/CSU), la droite démocrate chrétienne et conservatrice. Mais pour un soutien perdu à droite, la chancelière pouvait compter sur quelques points de sympathie gagnés à gauche. Cependant, cet équilibre ne semble plus fonctionner, depuis que quelques voix chez les Verts, et, plus récemment, au SPD, rejoignent ses détracteurs.

«Nous ne pouvons pas tous les aider. […] La politique doit agir, ou notre système d’accueil va imploser, au même titre que la paix dans notre pays.» En Allemagne, au regard du contexte politique actuel, ce serait poser une véritable colle que de demander au premier passant qui est à l’origine de ces déclarations. Il n’y a pas si longtemps, on aurait très largement penché pour un membre de la conservatrice CSU, parti de la droite chrétienne bavaroise, ou bien éventuellement pour un représentant de l’AfD, le parti populiste allemand. Mais aujourd’hui, ni l’un, ni l’autre camp n’a aujourd’hui le monopole pour contrecarrer Angela Merkel.

Surprise, c’est le maire Vert de Tübingen, Boris Palmer, qui est à l’origine de ces déclarations, publiées sur son compte facebook en fin de semaine dernière. Une manière de voir les choses qui détonne par rapport à la politique habituelle de son parti. Il est le premier de son camp à remettre en question un principe de base chez les Verts : l’ouverture des frontières aux réfugiés. Aujourd’hui, sa prise de position est sortie de sa page facebook pour aller se nicher dans bon nombre d’articles dans la presse allemande.

«Nous n’y arriverons pas» – Tandis que la plupart des Verts d’outre-Rhin félicitent la chancelière allemande pour sa politique d’asile, Boris Palmer s’engage à contre-courant. Il espère un revirement de situation dans la politique d’accueil des réfugiés. Sur les réseaux sociaux, et lors de ses apparitions dans des talk-shows, le maire de Tübingen en appelle à enclencher le frein de secours : «Nous n’y arriverons pas», clame-t-il en réponse à la célèbre formule «Nous y arriverons» («Wir schaffen das»), le mot d’ordre de la chancelière allemande dans sa gestion de la crise des réfugiés. «10.000 réfugiés par jour, ce n’est plus possible», estime Palmer. «Si on continue comme ça, ce sont 3,65 millions d’hommes et de femmes qui vont arriver en Allemagne dans les douze prochains mois. Je suis désolé, mais nous n’y arriverons pas.»

Le maire de Tübingen est connu pour son scepticisme quant aux grandes convictions de son propre parti. Selon lui, les Verts se laisseraient trop souvent «dépasser par la réalité». Le cas de Boris Palmer, défiant les valeurs de son camp face à la crise des réfugiés pour se ranger du côté des détracteurs de la politique d’Angela Merkel, est encore loin d’être une généralité. Mais il peut semer le doute. Que la politique d’asile de la chancelière soulève la colère dans les rangs de droite, c’est normal. Angela Merkel a effectué un virage à gauche, et ses semblables ne peuvent pas tous la suivre. Mais que les protestations dépassent les couleurs politiques, c’est plus étonnant. Il semblerait que ce soit l’opinion publique toute entière qui se fracture au fur et à mesure que l’inquiétude grandit.

Quand même le SPD se met à douter – Samedi dernier, c’est un social-démocrate, Thomas Opermann, chef de fraction du SPD, qui tirait la sonnette d’alarme. Dans une interview pour la Stuttgarter-Zeitung, il déclarait : «Je suis pour apporter plus d’ordre dans ce processus», expliquant que les capacités d’accueil de l’Allemagne ne sont plus à la hauteur. Sans doute cette impression s’est-elle renforcée avec l’arrivée de l’hiver. «Nous devons freiner l’afflux de réfugiés. […] Mais si nous n’arrivons pas à mettre en place un procédé ordonné aux frontières de l’UE, les frontières nationales vont fermer. Je veux éviter cela.» Des propos que le maire Vert Boris Palmer s’est empressé d’applaudir : «Je trouve nécessaire de soutenir la ligne politique du SPD contre la chancelière dans cette question».

Des partis qui commencent à sortir de leur rôle traditionnel, des couleurs politiques qui se mélangent, et une société qui ne sait plus à quel saint se vouer : les divisions sur la question des réfugiés ne cessent de se creuser. Sachant de moins en moins sur qui s’appuyer, la chancelière avance sans filet. Et ses rétracteurs ne sont pas tous des manifestants estampillés «Pegida» comme on aimerait bien nous le faire croire.

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