L’Allemagne saisie par le vertige des « péages » ?

La question des autoroutes payantes fait toujours couler beaucoup d’encre en Allemagne. Alain Howiller explique pourquoi.

La question de la mise en oeuvre d'un système à péage pour les routes allemandes, est loin d'être réglée. Foto: Quistnix / Wikimedia Commons / CC-BY-SA 3.0

(Par Alain Howiller) – On ne s’y attendait guère de sa part, lui qui, jusqu’ici, s’opposait à son collègue Ministre des Transports sur ce sujet : intervenant à Berlin à la « Journée de l’industrie allemande des entreprises de construction » (« Tag der Deutschen Bauindustrie »), Wolfgang Schäuble, le Ministre des Finances, a levé le lièvre : l’Allemagne va se voir obligée de demander aux automobilistes de participer directement au financement du réseau routier : « Il faudra bien qu’à un moment donné, on introduise, pour les étrangers et pour les Allemands eux-mêmes, un péage à percevoir sur les grands axes, les autoroutes notamment », a affirmé le Ministre qui considère que « l’introduction d’une telle mesure est tout simplement juste ». Il rejoint ainsi et soutient -après l’avoir combattu- le projet de « péage » lancé il y a deux ans par le Bavarois Alexander Dobrindt (CSU), son collège Ministre Fédéral des Transports et des Réseaux numériques.

S’inspirant des « vignettes » introduites par l’Italie, la Suisse et l’Autriche -pays riverains de la Bavière- Alexander Dobrindt avait estimé qu’il n’était pas normal que les automobilistes des pays voisins circulent gratuitement sur les autoroutes allemandes alors que ses compatriotes doivent acquitter le prix d’une « vignette » pour circuler sur les réseaux autoroutiers du voisinage. Argument sans doute recevable si -conscient de l’impopularité du péage dans l’opinion- le Ministre n’avait pas assorti la mesure d’une compensation réservée aux seuls automobilistes allemands : le péage était compensé par une diminution de la « taxe sur les véhicules à moteur (KfZ-Steuer) ». Cette compensation a fait réagir la Commission de Bruxelles dont l’intervention a bloqué le péage dont l’introduction était prévue pour 2016.

Dans une lettre, Jean-Claude Juncker, le Président de la Commission Européenne, arguant du fait que, finalement, le péage ne touchait réellement que les étrangers puisque les Allemands bénéficiaient d’une compensation, demande à l’Allemagne de revoir sa copie. Resté sans réaction, ce courrier a été suivi d’une mise en demeure pour non-respect du droit communautaire. La Commission, rappelant que dans des cas semblables des compromis ont été trouvés avec l’Autriche, l’Italie ou la Slovénie, propose au Ministre allemand de renoncer à la compensation prévue sous cette forme et de la remplacer soit par une augmentation de « l’indemnité de déplacement » (appelée familièrement « Pendlerpauschale ») dont bénéficient les contribuables en compensation de leur trajet « domicile – lieu de travail et retour », soit par une diminution de la taxe sur les carburants. Rappelons que la Commission défend aussi un projet (gelé actuellement) de péage généralisé et harmonisé dans toute l’Union Européenne, à partir de 2018.

Dobrindt qui ne porte pas la Commission dans son cœur et qui vient de se faire remarquer par une virulente attaque contre Martin Schulz, Président du Parlement Européen, favorable à une forme de « gouvernement européen » pour faire face au « Brexit », a refusé de s’engager dans la voie proposée. Fort de ce qu’il considère comme étant une mesure juridiquement inattaquable, le Ministre a mis la Commission au défi de plaider devant la Cour de Justice Européenne de Luxembourg. Celle-ci donc tranchera : compte tenu des délais de procédure, le péage pourrait bien ne pas pouvoir être introduit -sous une forme ou une autre- avant… 2018 !

Le vertige du péage. – Mais l’Allemagne -conséquence possible de l’engagement constitutionnel qui garantit l’équilibre des finances publiques- semble être saisie d’une sorte de « vertige » du péage. Après avoir créée (en octobre 2015) puis étendu le péage perçu sur les grands axes et les autoroutes auprès des camions jusqu’à 7,8 tonnes, la coalition gouvernementale se divise actuellement (le SPD est réservé) sur une extension des péages frappant les camions jusqu’aux véhicules de 3,5 tonnes. D’après les projets actuels, le péage serait aussi perçu sur l’ensemble des routes fédérales ! Le tout à partir de 2018, après les élections, la décision finale appartenant sans doute au prochain gouvernement, car l’opinion n’acceptera que difficilement ces projets alors qu’on va entrer dans la campagne précédant les élections pour le renouvellement du Bundestag à l’automne 2017 !

Cerise sur le gâteau, le gouvernement envisage aussi de transférer à une entreprise -ouverte aux capitaux privés- l’entretien, la construction, le financement des axes de communication fédéraux relevant aujourd’hui de l’Etat, avec la participation des « Länder ». Un projet dont la concrétisation demanderait une modification de la Loi Fondamentale et un vote des deux chambres : c’est dire qu’à moins de un an du renouvellement du Bundestag, le projet a peu de chances de se réaliser rapidement !

Le même sort sera-t-il finalement réservé à deux autres projets du ministère fédéral des transports ? Le premier porte sur l’application d’un péage aux bus des grandes lignes qui traversent l’Allemagne et relient les villes entre elles. Le second, reprenant des principes mis en application en France et en Grande Bretagne, concerne une sorte de « péage-vignette » à percevoir à partir de 2019, auprès des propriétaires de bateaux de tourisme sillonnant les grandes voies d’eau et canaux d’Allemagne : là aussi, le péage contribuerait au financement de l’entretien des voies d’eau, des écluses, du maintien de la qualité de l’eau voire de l’équipement en zones de loisirs, stations-services etc…

Comme quoi, au-delà de ce que j’appelais une sorte de « vertige » du péage, les autorités fédérales mènent une réflexion d’ensemble sur une nouvelle approche des transports : cela méritait d’être souligné !

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