L’Allemagne veut assumer son rôle de grande puissance

Quelques leçons à tirer du « Livre Blanc de la Défense » !

Il paraît que l'Allemagne serait prête à intervenir dans d'autres conflits comme ici au Kosovo. Foto: U.S. Army photo by Staff Sgt. Thomas Duval, Multinational Battle Group Est Public Affairs / Wikimedia Commons / PD

(Par Alain Howiller) – Ce n’est sans doute pas un hasard, si la première visite à l’étranger de Theresa May, la nouvelle première dame du Royaume (dit) uni, a été pour Angela Merkel : après tout, la chancelière est, depuis six ans, classée « femme la plus puissante du monde » par le magazine américain « Forbes » ! Elle a pratiquement pris le leadership de l’Union Européenne : on en a trouvé une nouvelle preuve dans la récente volte-face de François Hollande recevant à Paris, Theresa May. Après avoir publiquement exigé une sortie rapide de la Grande Bretagne de l’Union Européenne, le Président français a du rallier la position d’Angela Merkel réclamant du temps pour que le partenaire britannique puisse se préparer à la négociation et à la sortie de l’Union. Ne semble-t-il pas loin ce Traité de l’Elysée qui a voulu fonder le partenariat franco-allemand ?

L’apathie actuelle de l’Union Européenne, en désespérance de relance, semble une nouvelle fois confirmer cette sombre prédiction de Jean-Claude Juncker lançant, alors qu’il était encore Premier Ministre du Luxembourg : « Tout le monde critique le moteur franco-allemand, mais force est de constater que sans lui rien n’avance ! »

Un « leadership » assumé, le passé transcendé. – La visite à Berlin de la première dame britannique conforte le rôle de l’Allemagne dans l’Union Européenne voire dans le monde au moment où le pays -devenu derrière les Etats Unis et la Russie troisième exportateur mondial d’armes!- affirme : « L’Allemagne est prête à stimuler le débat international, de façon substantielle, décisive, précoce et à assumer un leadership ! » Cet extrait du « Livre Blanc de la Défense »(1) approuvé par le gouvernement de coalition CDU-CSU-SPD, est révélateur des options allemandes en matière de défense : il se substitue, dix ans après sa parution, au dernier « livre blanc » qui définissait encore la Russie comme un « partenaire » alors qu’aujourd’hui, après l’annexion de la Crimée et l’intervention armée en Ukraine, la patrie de Vladimir Poutine est devenue  « un défi (eine ‘Herausforderung’) pour la sécurité sur notre continent ».

Comme l’a souligné la Ministre de la Défense Ursula von der Leyen, lors de la présentation du Livre Blanc : « L’indifférence ne peut être une option pour un état comme l’Allemagne ! » Reprenant un thème déjà développé par le président allemand Joachim Gauck lors d’un message de Noël, elle avait précédemment rappelé : « L’Allemagne ne doit pas se cacher derrière les fautes du passé, pour fermer les yeux sur le monde d’aujourd’hui ».

Un renforcement des moyens militaires ! – Pour un peu, on sentirait dans le texte, la patte du Président de la République Joachim Gauck qui déclarait, dès la 50ème Conférence sur la Sécurité en Europe (à Munich, Janvier 2014) : « Nous ne pouvons pas espérer rester à l’écart des conflits intervenant dans le monde. Mais nous pouvons contribuer à forger l’avenir à condition que nous prenions notre part à  l’élaboration des solutions de ces conflits. C’est pour cela qu’il vaut la peine pour la République Fédérale de s’investir dans l’ordre international et la coopération européenne. Cela passe parfois par une intervention militaire… Je ne peux cependant pas ignorer qu’il y a en Allemagne, à côté d’authentiques pacifistes, des gens qui considèrent que, compte tenu des fautes du passé, ils peuvent se cacher derrière une indifférence vis-à-vis des affaires du monde et derrière une sorte de confort facilitateur. Nous aurions en quelque sorte -comme le dit l’historien Heinrich August Winkler- un « droit de regarder ailleurs… » (‘Recht auf Wegsehen’)… pour moi, il est clair que nous avons besoin de l’OTAN et parce que les Etats Unis ne peuvent pas constamment faire plus, l’Allemagne et ses partenaires européens doivent faire davantage pour leur sécurité !… ».

L’Allemagne donc annonce un renforcement de ses moyens militaires afin de se rapprocher des exigences de l’OTAN qui voudrait que les membres du pacte atlantique consacrent 2% de leur PIB à la défense. Pour l’Allemagne, cet objectif, qu’on veut atteindre en… 2024(!), représenterait en 2016 si on voulait l’assumer, une dépense de l’ordre de 61 milliards d’euros (contre un peu plus de 34 milliards prévus mais portés à 40 milliards en cinq ans). On investira particulièrement dans la qualité des armements et des équipements pour répondre à une exigence venue de la troupe : un sondage n’a-t-il pas révélé qu’à la suite de différents incidents (gilets pare-balles, fusils d’assaut défectueux), seuls 8% des soldats avaient une confiance totale en leurs armes et équipements tandis que 16% d’entre eux témoignaient d’une confiance relative et 21% n’avaient aucune confiance !…

L’armée contre le terrorisme ? – Le livre blanc ouvre des perspectives sur un certain nombre d’applications qui, déjà, ont suscité des critiques : notamment des « Verts » et de « Die Linke ». Si le document de 83 pages ne tranche pas vraiment sur l’utilisation de militaires sur le sol national (voir eurojournalist.eu des 20 Avril et 1er Juin 2016), il souligne qu’un tel recours serait possible dans des circonstances exceptionnelles (terrorisme) et sous l’autorité de la police sans qu’il soit nécessaire de modifier le texte de la Loi Fondamentale. (La majorité requise pour une telle modification de la Loi Fondamentale n’existe pas actuellement au Parlement). Ce type d’intervention serait ordonné et supervisé par le « Bundessicherheitsrat » (« Conseil Fédéral de Sécurité »), présidé par la chancelière : la tâche du Conseil était essentiellement, jusqu’ici, l’examen et l’autorisation des exportations d’armes.

Prenant en compte les difficultés de recrutement de l’armée (167.000 hommes au lieu de 170.000 voire même 185.000 escomptés après l’abandon du service militaire obligatoire au profit d’une armée de métier), le recrutement de soldats ayant la nationalité de l’un des pays de l’Union Européenne est autorisé : cette ouverture vers ce que certains n’ont pas hésité à appeler une « Légion Etrangère », participerait ainsi aux efforts d’intégration de l’Union. Le Parti « FDP » ainsi que la principale « ‘association de défense des intérêts des militaires » se sont prononcés contre cette mesure « inutile » pour le FDP et ne correspondant pas au respect des valeurs qu’on peut attendre du soldat allemand.

Contre l’armement nucléaire : mais… – Le livre blanc insiste aussi sur le fait que les interventions de l’armée sur des théâtres d’opérations extérieures doivent s’inscrire dans un cadre multilatéral : sur mission de l’ONU, de l’Union Européenne ou de l’OTAN. C’est en application de cette approche que l’Allemagne prendra le commandement de l’un des quatre bataillons que l’OTAN va installer dans un « pays de l’Est » : la Pologne sans doute, ce qui correspondrait à un engagement qu’Angela Merkel avait pris vis à vis du gouvernement polonais. Le texte, tout en faisant positivement état du stationnement d’armes nucléaires sur une base américaine de l’Eifel(!), continue à marquer l’attachement de l’Allemagne à un monde sans armement nucléaire.

Issu d’un travail qui s’est étendu sur 9 mois, paru dix ans après le dernier document de ce type, le « Livre Blanc 2016 » marque une étape dans l’évolution d’une Allemagne décomplexée prête à assumer pleinement son rôle de leader dans l’Union Européenne et ses responsabilités de quatrième puissance économique du monde. C’est ce qui lui fait rappeler qu’elle est toujours favorable à une réforme de l’ONU qui la ferait entrer comme membre permanent du Conseil de Sécurité, aux côtés des Etats Unis, de la Chine, de la Russie, de la Grande Bretagne et de la France.

(1) Weißbuch „Sicherheitspolitik und zur Zukunft der Bundeswehr“.

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