L’allongement du délai légal de l’avortement est nécessaire

En Pologne, comme ailleurs, les femmes réclament le droit à l'IVG. Foto: Jakub Hałun / Wikimedia Commons / CC-BY-SA 4.0int

(Elise Arfeuille) – La mouture sur l’allongement du délai légal d’avortement de 12 à 14 semaines a été votée mardi 1er décembre. D’autres mesures l’accompagnaient. Entre-autres, les sages-femmes, qui avaient déjà le droit de pratiquer un avortement par voie médicamenteuse, sont à présent autorisées à le pratiquer par voie chirurgicale. Mais le texte de loi ne fait pas l’unanimité.

Le gouvernement ne s’est pas engagé, pour l’instant, à inscrire le texte à l’agenda du Sénat. Et ce dernier, avec une majorité conservatrice, va sans doute rejeter ce texte de loi. En ce sens, les sénateurs LREM estiment que ce vote n’est pas à l’ordre du jour. La question du harcèlement scolaire leur importe plus, question qui, apparemment, est une problématique pour laquelle Madame Macron est très investie. Aussi, peut-on s’étonner que la femme du président soit prioritaire sur des textes votés par le parlement, alors qu’elle n’a aucune fonction politique officielle, ce qui, à ce titre, ne lui donne aucune prérogative particulière.

Mais ces réticences sont significatives du débat qui continue d’agiter le spectre politique et ses nébuleuses, à propos de l’avortement. Et prolonger son délai légal à 14 semaines est un vote qui ne suscite pas l’adhésion. Très loin de là. Ceux qui sont contre cette mouture avancent les arguments suivants : au bout de la 14ème semaine, le fœtus est doté d’un os crânien, ce qui serait plus dangereux pour la patiente. L’autre point est l’aspect moral que revêt ce sujet pour beaucoup, car le fœtus ainsi formé, serait un être vivant, à qui l’on ôterait la vie. D’après ces dires, l’opération à ce stade pourrait être déchirant, tant pour la patiente que pour le praticien faisant avorter. Ces nouvelles mesures seraient alors encore plus traumatisantes pour les femmes, avec des conséquences psychologiques graves.

C’est ce type de discours que l’on peut entendre de la bouche de Gabriel Attal, concernant la question de la clause spécifique de conscience pour les médecins. Selon lui, si elle était supprimée, cela « sèmerait le trouble dans le corps médical. ». Emmanuel Macron a lui aussi fait part de sa réticence, juste avant de rendre visite au Pape, soulignant que pratiquer un avortement à un tel stade, pouvait être « traumatisant » pour les femmes.

Mais il est aussi traumatisant de devoir quitter son pays, pour pouvoir avorter dans un cadre légal. C’est ce qu’estiment les rapporteures du projet de loi – Albane Gaillot (ex-LREM) et Marie-Noël Baptistel (PS). Elles affirment qu’en France, plus de 3000 femmes par an sont obligées, aujourd’hui, d’aller à l’étranger, pour procéder à une interruption volontaire de grossesse, quand celle-ci dépasse le délai jusque-là légal, pris en charge. C’est ne pas pouvoir disposer de son corps comme on l’entend.

Il existe en France l’Interruption Médicale de Grossesse (IMG), qui permet d’interrompre la grossesse, à n’importe quel stade des neuf mois. Mais ce procédé est différent de l’IVG, car il s’inscrit dans un cadre particulier. Il ne peut être effectué que si la grossesse met en danger la mère, ou si l’enfant qui va naître sera atteint « d’une affection d’une particulière gravité reconnue comme incurable », dit le site de service-public.fr.

Hors de ce cadre, il n’est pas possible de faire appel à l’IMG, puisqu’elle ne prend pas en compte des facteurs sociétaux, contextuels – pour ne citer que cela- d’une femme qui souhaite avorter, à tout moment de sa grossesse. C’est pour cette raison que l’allongement de l’IVG est important : assurer aux femmes le droit de disposer de leur corps comme elles le souhaitent. Avorter est le choix d’une seule personne, celle enceinte. Personne d’autre qu’elle ne devrait en décider, même s’il l’on peut comprendre les recommandations médicales, pour la santé de la patiente.

Les raisons scientifiques invoquées insistent pourtant sur ce point : pratiquer un avortement lors de la 14ème semaine de grossesse serait dangereux pour la mère, car le fœtus est doté d’un os crânien, ce qui complexifierait l’opération et serait un risque pour la santé de la patiente. Mais l’allongement du délai légal de l’avortement dépasse cette question de santé. Il ne s’agit pas de débattre sur ce que l’on pourrait encourir comme risque médicale, car dans ce cas-là, un certain nombre d’opérations, de traitements, sont des risques à prendre. Ne serait-ce que le questionnement autour des effets secondaires des vaccins anti-covid, le débat pourrait durer fort longtemps.

Car les conséquences d’une grossesse non désirée et subie sont sans doute plus graves qu’un risque pour la santé. C’est une pression sociale, une charge mentale, une responsabilité à endosser, mais aussi à endurer, et surtout, c’est subir une perte de liberté sur son propre corps. C’est ne plus avoir le choix. Ne plus être libre. Allonger ce délai légal d’avortement est un renforcement des droits de la femme. C’est leur laisser le choix, un libre-arbitre, qui est encore restreint.

Le très beau film d’Audrey Diwan a adapté le roman d’Annie Ernaux « L’Evènement », qui raconte son propre avortement au début des années 60. Sorti en salle le 24 novembre 2021, le film retrace le parcours d’Anne, élève très prometteuse à la fac de lettres. Mais le jour où elle apprend qu’elle est enceinte, Anne se retrouve confrontée à la réalité d’une époque, à un tabou immense.

Sans jamais mentionner le mot « avortement », le film scrute les peurs, les angoisses, mais surtout l’isolement de son héroïne, seule, presque contre tous. Son avenir n’est plus garanti par rien. La caméra se resserre régulièrement sur le visage de la jeune femme, comme la proie, la victime d’une situation qui lui échapperait. Ce film se veut le témoignage d’une réalité bien trop souvent cachée et trop peu évoquée. Il illustre une situation crue et violente, trop fréquente et systématique, avant que la loi Veil, en 1974, ne légalise l’avortement, il n’y a même pas 60 ans. Mais le film semble surtout rappeler en creux, que l’histoire d’Anne, d’Annie Ernaux est toujours présente. Quand on regarde Anne, il pourrait s’agir d’une jeune femme d’aujourd’hui. L’avortement n’est pas un acte anodin, mais il permet aux femmes de garantir leurs droits, leur liberté. Anne incarne une problématique qui transcende largement les années 60 bien sûr, que ce soit en France, comme à l’étranger.

Aujourd’hui, aux Etats-Unis, la cour suprême remet en question le droit à l’IVG, il est à craindre qu’un retour en arrière ne s’opère dans les prochains mois. Car si la cour suprême, au nom de la constitution, décrète l’IVG illégale, alors 26 Etats pourraient interdire l’avortement sur leur territoire, comme le Texas actuellement. En Pologne, il en va de même, l’avortement est illégal. Des pays occidentalisées, considérés comme plus éclairés sur des questions sociétales de ce type, démontrent que ces droits fondamentaux, comme celui de disposer de son corps, sont loin d’être acquis. Le visage d’Anne dans « L’Evènement » le reflète avec évidence.

Au vu de ces évènements, il semble essentiel de renforcer et d’appliquer ces nouvelles mesures sur l’avortement en France, afin de garantir une meilleure protection des femmes. Car leurs droits sont sans cesse menacés, remis en cause, sans parler du nombre de région dans le monde, où ils sont inexistants. C’est pourquoi l’allongement du délai de l’avortement en France devrait être mis en place. Mais avec des politiques aussi réfractaires à ces changements, rien n’est encore acquis, ce que disait Simone de Beauvoir à ce titre : « N’oubliez jamais qu’il suffira d’une crise politique, économique ou religieuse, pour que les droits des femmes soient remis en question. Ces droits ne sont jamais acquis, vous devrez toujours restez vigilantes votre vie durant. »

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