L’archaïsme des frontières fermées

Face à la «crise» migratoire, une partie de la classe politique européenne souhaite revenir à des frontières fermées pour stopper les migrations. Le Conseil européen tenu jeudi a réaffirmé une alternative bien plus dans l’air du temps.

Les murs et barbelés (comme ici à Céuta) appartiennent à une époque révolue. Foto: Mario Sánchez Bueno, Ceuta, Espagne / Wikimedia Commons / CC-BY 2.0

(Par Clément Kolopp et Antoine Ullestad) – Jeudi dernier, le 15 octobre, le Conseil européen a été marqué par deux premières : l’idée d’un corps de gardes-frontières européen, et, en même temps mais ailleurs, la mort par balle d’un migrant en Bulgarie.

La concomitance des deux événements symbolise deux façons de gérer la «crise» migratoire : avec ou sans l’Union, en ouvrant ou en fermant les frontières. Dans les deux cas cependant, les frontières sont l’enjeu. Et pour cause, la frontière est un marqueur essentiel des sociétés humaines.

La frontière emmaillote les citoyens dans un sentiment de propriété et de sécurité. Son passage est une expérience tangible, un enjambement symbolique, qui distingue deux populations à l’identité. En tant que concept de base de l’organisation spatiale des groupes humains, il est difficile d’imaginer comment une société pourrait s’en passer.

Mais la frontière n’est pas un objet unique. La boundary n’a pas le même sens que la Grenze. La première peut se traduire par périmètre, bordure, la seconde, par seuil, ou plafond. En français, on y accole souvent un attribut qui change fondamentalement son sens : naturelle, maritime, vétérinaire, culturelle…

L’Europe, depuis le début de son unification, a opté pour une de ces déclinaisons : la frontière ouverte. Avec un objectif de paix affiché, l’Union a voulu créer des solidarités de fait entre ses membres, en facilitant l’échange, la circulation et l’accès aux territoires qui la composent.

Atténuée, réduite, la frontière européenne a donc été repensée. Le trait au sol n’est plus de mise pour séparer les populations ; plus de poste de frontières ni d’agents de sécurité. Une logique de flux détermine désormais la frontière qui se met à la page du transnationalisme des réseaux qui la traversent.

Et la sécurité, qui passait initialement par la mise en commun de l’acier et du charbon, est aujourd’hui assurée par la coopération des polices et des justices européennes dans l’Union. Si l’intégration européenne et la libre circulation ont recomposé les frontières, elles ne les ont pas supprimées pour autant. Elles les ont modernisées.

La modernité passe par une banalisation de la frontière, simple à franchir, pour les hommes, les marchandises, les informations, les capitaux… La frontière fermée passait au contraire par une sacralisation de son franchissement. Elle incarnait une défiance, une distinction.

Depuis la mi-septembre, la multiplication des contrôles aux frontières n’est que l’expression de cette reconfiguration, en accord avec les accords de Schengen. «Les contrôles aux frontières ne sont pas une fermeture des frontières, c’est totalement différent», affirme le porte-parole d’Angela Merkel.

Ces contrôles sont essentiels, autant que le sont les frontières. Mises à rude épreuve par la «crise» migratoire, les frontières européennes ont montré les limites de leur banalisation, prouvant que leur ouverture n’est pas un dangereux laxisme, face auquel il faudrait logiquement revenir à l’ancienne recette de la fermeture.

Un tel retour en arrière serait le symptôme d’un réflexe de repli mal maîtrisé, peu ou pas adapté aux enjeux contemporains. L’ouverture des frontières ne remet pas en cause la légitimité des Etats, leur existence ou leurs identités nationales. Elle signe davantage un réajustement des politiques publiques : gérer des flux et non plus délimiter un territoire.

La frontière fermée appartient à une autre époque. La frontière moderne n’a plus cet attachement animal au territoire qui la caractérisait autrefois. Face à la mondialisation, la frontière doit s’aligner sur les logiques de son temps pour ne pas se laisser dépasser par les réseaux mondiaux, et continuer à assurer une sécurité effective des citoyens.

Mais plus encore : «la logique de l’accès est désormais la porte ouverte au progrès et à l’accomplissement personnel, elle incarne aux yeux des nouvelles générations ce que la perspective démocratique représentait pour les générations précédentes» écrit Jeremy Rifkin. Il est autant nécessaire de combattre ceux qui érigent des murs en Hongrie que ceux qui ont dressé celui qui coupait l’Allemagne en deux.

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