Laura Kövesi maillot jaune

La coriace procureure roumaine choisie pour diriger le Parquet européen (EPPO)

La Corruption du monde avant le Déluge, Cornelius v.Haarlem, 1619 Foto: Own work / Wikimédia Commons / CC-BY-SA PD

(Marc Chaudeur) – Une très bonne nouvelle : Laura Codruţa Kövesi a été choisie pour diriger le Parquet européen, appelé aussi Bureau du Procureur public européen (en anglais : EPPO). Ce Bureau européen sera chargé de lutter contre les fraudes (corruption, blanchiment d’argent, fraudes nationales) qui coûtent chaque année très cher à l’Union européenne. L’ancienne dirigeante choc de la DNA roumaine s’est heurtée à la violente opposition du gouvernement de son pays.

A partir de 2013 et jusqu’à 2018, la Procureure Kövesi s’est attaquée aux cas les plus fragrants, les plus énormes de corruption. Dans l’exercice de cette activité, elle a été très souvent aux prises des pontes du parti au pouvoir, le Parti « Social Démocrate », ramasseur de miettes du communisme tribal abattu en 1989. Et principalement, au Premier ministre himself, Liviu Dragnea, à l’ingéniosité et au cynisme proverbiaux dont nous avons souvent rendu compte dans Eurojournalist(e).

La Direcţia Naţionala Anticorupţie a été fondée en septembre 2002. A l’époque et pour deux ans, une coalition qu’on peut qualifier de centre-droit libéral est au pouvoir. Depuis 2004, la Direction travaille en liaison étroite avec l’OLAF (l’Office européen de lutte antifraude) – des liens de collaboration qui se relâchent inévitablement depuis l’an dernier…

Liviu Dragnea fait partie de ceux que Madame Kövesi a fait condamner, ce qui l’a empêché de devenir premier Ministre après les législatives de 2016. La Roumanie a eu moins de chance en 2018, et la Procureure avec elle : en juillet de cette année là, Dragnea et son Ministre de la Justice, Tudorel Toader, ont réussi à la faire éjecter de la direction de la DNA, sous prétexte qu’une bonne partie de ses décisions étaient illégales. Et cela malgré l’opposition de Klaus Iohannis, le président de la République roumaine. Ce qui a été l’occasion, de février à juillet 2018, d’impressionnantes manifestations dans les rues des grandes villes roumaines, et par là même, d’une protestation gigantesque contre la corruption, un mal endémique dans le pays – comme dans la plupart des pays européens, ne vous en déplaise. Le poste est occupé aujourd’hui par une personne docile, une créature de Dragnea.

Le choix de Laura Codruţa Kövesi est une excellente nouvelle. Mais à quoi sert au juste le Bureau du Procureur public européen ? Qu’est-ce qui le distingue, par exemple, de l’OLAF ?

C’est tout récemment que la création du Parquet a été décidée. Et ce, grâce à la procédure de la coopération renforcée (inhenced cooperation) ; cette procédure permet d’éviter l’écueil de l’unanimité, que jamais on ne risquerait d’atteindre dans ce genre de propositions ! Elle concerne ainsi 22 Etats membres sur 27 (ou peut-être 28, si tout se passe bien ces 6 prochains mois…). Le parquet est installé à Luxembourg. Alors même que l’OLAF (et avec lui, Eurojust et Europol) ne disposaient pas de l’habilitation à agir sur l’ensemble de l’Union européenne, l’OPPE, lui, est destiné à enquêter et à poursuivre les méchants bandits dans tous les Etats de l’UE.

Il est destiné à s’attaquer aux fraudes sur le budget de l’UE : fraudes sur des fonds de l’UE de plus de 10 000 euros, fraudes transfrontalières de plus de 10 millions d’euros. En théorie, il pourrait agir avec une remarquable efficacité – à moins que les poisons virulents habituellement mis en œuvre contre ce genre d’organismes ne jouent leur rôle… En sa faveur, l’importance numérique de son personnel et son omniprésence dans les Etats que permet sa décentralisation : le procureur en chef, sans doute bientôt Madame Kövesi, sera aidé par 20 procureurs européens assistés d’équipes d’ enquêteurs et de techniciens. A l’intérieur de chacun des Etats de l’Union, l’arrestation d’un vilain brigand doit être entérinée par les autorités nationales.

Laura Codruta Kövesi a été choisie, grâce surtout à l’appui de deux commissions importantes du Parlement européen, par les membres d’un comité de sélection composé d’experts européens. Les deux autres candidats étaient le Français Jean-François Bonhert, soutenu par le gouvernement Macron, et l’Allemand Andres Ritter. Ces 2 commissions sont la Commission des libertés civiles, de la justice et des affaires intérieures, et la Commission du contrôle budgétaire. Pour les malheureux amnésiques qui l’ont oublié, ce sont là 2 des 22 commissions que compte le Parlement européen. La première a joué un rôle important en 2013, lorsqu’il s’est agi d’enquêter à partir des révélations d’Edward Snowden sur la surveillance de masse des Européens par la National Security Agency états-unienne… La seconde, eh bien, elle est présidée… par un Roumain du PSD, le parti au pouvoir. Une troisième, la COREPER (Commission des Représentants Permanents des Gouvernements des Etats membres) semble fort avoir subi un intense lobbying de la part du gouvernement roumain : pour cette raison essentiellement, leur candidat était le français Jean-François Bonhert.

Le choix définitif du Procureur général de l’OPPE sera décidé à partir d’un accord entre le Parlement européen et le Conseil Européen. Allez, Kövesi !

 

 

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