L’avenir de l’Europe se construira dans les régions frontalières

Pendant toutes les crises actuelles, l'Union Européenne dans son fonctionnement intergouvernemental a failli. Il faudra la reconstruire autrement.

Dans la région du Rhin Supérieur, on souffre actuellement de la fermeture des frontières... Foto: Eurojournalist(e) / CC-BY-SA 4.0int

(KL) – Il faut le reconnaître : l’Union Européenne, dans son fonctionnement actuel, est sur le point d’exploser. Dans de nombreux dossiers, elle a quitté la voie de la vertu, elle n’est plus le « fief des Droits de l’Homme ». Dans la crise du coronavirus, elle a autant échoué (même si, beaucoup trop tardivement, elle a commencé à bouger) que dans la gestion des réfugiés (où elle finance des dictateurs et des bandes criminelles au Nord et à l’Est de l’Afrique, tout en abandonnant les pays européens jouxtant la Méditerranée), dans la protection de l’environnement (autorisation de l’utilisation du glyphosate) et même dans la défense de la démocratie (de nombreux pays, dont les pays dits de Visegrad, ont tout simplement aboli l’état de droit, sans que l’UE ait été capable d’arrêter cette évolution). Le tout selon une règle d’unanimité qui elle non plus n’est pas démocratique – dans quel pays démocratique ne peut-on prendre des décisions qu’à condition que 100% des députés au parlement votent de manière identique ? Malgré ce constat d’échec, il convient de ne pas jeter le plus grand projet de paix jamais mis en œuvre par la fenêtre ; mais il faudra l’organiser autrement. Là où cette Europe est vécue au quotidien.

Environ 35% des 500 millions d’Européennes et d’Européens vivent dans des régions frontalières. C’est dans ces régions que les gens expérimentent dans leur vie quotidienne ce que cela signifie d’être européen. Des rencontres transfrontalières dans ces régions sont nées, depuis des décennies et grâce à l’engagement de visionnaires locaux : des liens très forts – et c’est pour cela que c’est dans ces régions frontalières que les populations souffrent le plus de la fermeture des frontières, qui s’est quasiment généralisée ces dernières semaines. C’est dans ces régions frontalières que les gens savent comment surmonter les obstacles à la coopération européenne, c’est dans ces régions que se sont créées des coopérations impliquant à la fois les collectivités et la société civile, le monde associatif, les initiatives citoyennes. Nulle part ailleurs n’existe une plus grande expertise de ce qu’est l’Europe.

Pourtant, la plupart des décisions régissant la vie dans un mode transfrontalier et intrinsèquement européen se prennent au niveau des gouvernements nationaux, par des gens qui, pour la plupart, n’ont qu’une idée théorique de la vie transfrontalière et européenne. Peu étonnant que les décisions prises passent souvent bien loin des réalités du terrain.

Si on veut éviter que l’Union Européenne se désintègre ces prochaines années, il faut la changer. Il faut réformer les institutions, changer cette règle d’unanimité anachronique, revoir le rôle peu démocratique de la Commission Européenne avec ses plus de 33000 fonctionnaires, et revaloriser le Parlement Européen qui devra fonctionner comme n’importe quel parlement démocratique. Pourquoi ne pas fusionner la Commission Européenne et le Conseil de l’Europe pour en faire le grand gardien de la démocratie ?

Dans les nombreuses instances et institutions transfrontalières qui existent partout où il existe des frontières en Europe, il convient de remplacer les représentants des Etats par des experts issus de la société civile. Si le rôle de la société civile et du monde citoyen ne devait pas être structuré et valorisé, l’adhésion des populations à l’Europe s’effondrerait peu à peu ; et d’ailleurs, ce processus est déjà bien avancé. Les Etats devraient avoir assez de confiance en leurs citoyens pour savoir que les experts n’y organiseraient pas des révolutions.

Prenons l’exemple de la frontière entre la France et l’Allemagne, où les populations de part et d’autre souffrent actuellement beaucoup de la fermeture de la frontière. Les échanges entre les deux pays étaient devenus d’une telle évidence que les frontières fermées impactent aujourd’hui sensiblement la vie quotidienne dans cette région. L’économie transfrontalière s’en trouve autant impactée que les nombreuses relations humaines – et il est difficile de gérer cette situation dans une région qui souligne depuis de nombreuses années qu’elle serait devenue « un espace de vie commun ». En seulement deux semaines, on a dû y faire l’amère expérience que cet espace de vie commun ne tient pas à grande chose.

Les institutions transfrontalières, les Eurodistricts, le nouveau Parlement Franco-Allemand, la Conférence du Rhin Supérieur, le Conseil Rhénan et toutes les autres structures de la coopération transfrontalière doivent s’ouvrir à une forte participation et présence citoyenne. Les grands experts des questions transfrontalières et les acteurs du monde citoyen les plus engagés pourront être désignés par des votes en « démocratie liquide » et devront obtenir siège et droit de vote dans ces institutions et assemblées qui traitent des questions transfrontalières et européennes. En échange, ils se feront automatiquement le relais entre ces institutions et la population, comme les ambassadeurs d’une Europe qui serait autre chose qu’un simple agent des marchés financiers.

En 1973, le grand Européen Willy Brandt avait prononcé un slogan électoral simple dont il faut se souvenir aujourd’hui : « Mehr Demokratie wagen – osons plus de démocratie ». Au lieu de nous replier sur un nouveau – ou un ancien – nationalisme autoritaire en stimulant à nouveau la méfiance et la haine de nos voisins, nous devons construire cette magnifique Europe démocratique – d’en bas.

Le « nouveau projet européen », promis par les responsables européens depuis le lendemain du référendum sur le Brexit, il faut le développer aujourd’hui sans plus tarder. Ce nouveau projet européen ne pourra prendre corps que là où les citoyens, administrations, politiques locales et régionales savent de quoi ils parlent : en impliquant les citoyens et la société civile d’une façon qu’on n’a  jamais encore osée. Il faut se dépêcher : si d’autres pays frustrés à juste titre de l’abandon honteux de l’Europe dans l’une des crises les plus graves, comme l’Italie, la Grèce et d’autres, devaient suivre sur les traces des Britanniques, il serait trop tard pour entamer les travaux. Créons une nouvelle Europe aujourd’hui en profitant du condensé d’expertise qui se trouve – dans les régions frontalières !

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