Le coing de la discorde

Confiture d’orange ou pâte de coing, là est la question qui fâche !

Le coing (marmelo), fruit à la base de la « marmalada » portugaise. Foto: Bj Schoenmakers / Wikimedia Commons / CC0 1.0

(Jean-Marc Claus) – Si Carlo Goldoni compare, au milieu du 18e siècle, le mariage à une marmelade, cette appellation réglementée par la directive européenne 79/693/CEE de 1979, remplacée par l’arrêt 32001L0113 de 2001, ne peut clairement s’appliquer qu’à une confiture d’agrumes !

Il est habituel de prétendre qu’au Royaume-Uni, tout commença en Écosse où à Dundee, au 18e siècle, un navire marchand en provenance de Séville dût s’abriter pour échapper à une tempête. Sa cargaison d’oranges risquant de s’avarier, elle fut rachetée à bas prix par James Keiller qui, ambitionnant de les revendre au détail, se vit confronté à un engorgement du marché qu’il avait lui-même créé. Sa mère trouva la solution en les transformant en ce qui devint la « James Keiller & Sons Dundee Marmalade ».

James Keiller dirigeait dans les années 1760, une confiserie produisant entre autres, des confitures. Les oranges à bord du navire venu s’abriter à Dundee, étaient en fait des oranges amères dont on faisait usage dans certaines préparations pharmaceutiques. Les cales du navire n’en regorgeaient donc pas, mais elles risquaient effectivement de se gâter. Ainsi, James Keiller les racheta à bas prix et sa mère, Janet Keiller née Mathewson (1737-1813), ajouta des lamelles de leurs zestes à une confiture d’oranges dont on peut trouver la recette dans un livre de cuisine écossais datant de 1736.

La marmalade constituait dans la première moitié du 19e siècle, seulement 5% du commerce de l’entreprise familiale Keiller. Créatrice, en 1797, de la première usine de confiture au monde, la société en ouvrit une seconde à Guernesey en 1859, pour échapper à la taxe sur le sucre. L’abolition de cet impôt en 1888, lui permit de se développer jusqu’à son déclin, puis elle ferma ses portes en 1992.

Sur la Péninsule Ibérique, et surtout au Portugal, il vaut mieux rester prudent autant à propos du terme « marmelade », qu’au sujet de la chose elle-même. D’autant plus que certains Britanniques, ont encore l’audace d’affirmer que l’appellation « marmelade », remonte à l’initiative d’un cuisinier français qui proposa à Mary Stuart (1542-1587) reine d’Écosse alors souffrante, d’en consommer pour traiter ses maux de tête. Comme il était de bon ton de parler français à la cour, mais que le petit personnel n’y entravait que pouic, « Mary’s illness » aurait dérivé en « Mary’s maladie » pour glisser vers « Marmalade ».

Mais au Portugal, un « marmelo » est un coing, et dans ce pays, on consomme notamment au petit déjeuner depuis des lustres, de la pâte de coing appelée « marmelada ». Ce qui fait dire aux Portugais que l’emploi du terme « marmalade » pour une confiture d’orange est une pure escroquerie. Escroquerie remontant à l’époque où, un conflit commercial entre les deux pays ayant interdit l’accès au marché britannique à la « marmelada », dont on retrouve par ailleurs trace au 16e siècle dans la littérature, le nom « marmalade » y fut alors abusivement attribué à la confiture d’oranges dont la couleur rappelle la pâte de coing portugaise.

D’un point de vue étymologique, le plus ancien document actuellement connu dans le monde lusophone mentionnant la « marmelada », est une comédie du poète et dramaturge Gil Vicente, où en 1521, il fait dire à Pedrinho : « Temos tanta marmelada – Que a minha mãe vai me dar um pouco » ce qui veut dire « Nous avons tellement de marmelade – Que ma mère va m’en donner un petit peu. ». Les cognassiers ne manquant pas au Portugal, conserver leur production en la réduisant en pâte, est effectivement une option couramment choisie par les ménagères depuis très longtemps.

Depuis 2005 à Dalemain, dans le Comté de Cumbria, tout au Nord de l’Angleterre et juste au Sud de l’Écosse, se tient le « World’s Original Marmalade Festival ». Cette année, pour cause de pandémie de Covid-19, il aura un caractère virtuel. Mais au Portugal, on continuera à consommer de la « marmelada », qu’on coupera virilement au couteau comme il se doit, contrairement au Royaume-Uni où la petite cuillère s’avère indispensable pour déguster sa ridicule contrefaçon…

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