« Le contrat de confiance a été rompu… »

Fillon, Le Pen, Cahuzac, Sarkozy et les autres – l’éthique dans la politique n’a plus cours. Comment changer cet état de choses ? Interview avec une grande experte, Chantal Cutajar.

Chantal Cutajar propose des mesures concrètes pour venir à bout de la corruption. Foto: Eurojournalist(e)

(KL) – Chantal Cutajar sait de quoi elle parle. Adjointe au Maire de Strasbourg en charge de l’éthique des élus, de la démocratie locale et de la politique de concertation, maître de conférence à l’Université de Strasbourg spécialisée en criminalité financière, présidente de l’Observatoire Citoyen pour la Transparence Financière et ancienne administratrice de Transparency International, elle fait partie de ces acteurs qui savent évaluer l’état de l’éthique dans la politique. Et elle a d’excellentes idées comment améliorer les choses. Interview exclusive.

Chantal Cutajar – Fillon, Le Pen, Cahuzac, Sarkozy etc., est-ce que nous assistons actuellement à une «démoralisation » du monde politique ?

Chantal Cutajar : Au contraire, le fait que ces comportements provoquent une vague d’indignation chez nos concitoyens représente le début d’un sursaut citoyen qui eux, veulent une vraie démocratie et une vraie probité au niveau des élus. Donc, cette série de scandales est plutôt une chance, à condition d’arriver à instaurer de nouveaux comportements chez une « nouvelle race de responsables politiques ». Si nous n’y arrivons pas, et il suffit de regarder ce qu’il se passe actuellement en Roumanie, la France risque de se diriger, elle aussi, vers des réactions plus violentes. Il convient maintenant de profiter des élections présidentielles et législatives pour créer un nouveau pacte social autour de cette exigence de probité.

Qu’est-ce qu’il vous rend aussi optimiste ? Après tout, le phénomène touche l’ensemble du monde politique, autant à droite qu’à gauche…

CC : La société est en train de changer radicalement. Soit, nous nous mobilisons pour créer une nouvelle société autour de valeurs et l’éthique, soit nous devrions nous préparer à des évolutions violentes. Il faut maintenant travailler avec la société civile et les ONGs pour traduire cette évolution en actes concrets. Et il y a des choses à changer…

Comme par exemple ?

CC : Comme par exemple ce que nous appelons le « verrou de Bercy », une règle qui interdit à un juge de se saisir d’une enquête sur la fraude fiscale s’il ne reçoit pas un ordre dans ce sens par l’administration fiscale et donc, par le ministre. Mais si le ministre est lui-même concerné, comme c’était le cas à plusieurs reprises, on laisse la responsabilité aux mauvaises personnes. Il faut absolument abolir de telles règles qui contribuent au sentiment d’impunité éprouvé par certains.

Parlons de ce sentiment d’impunité… Pénélope Fillon avait quand même le droit de travailler pour son mari ?

CC : Si effectivement, elle avait travaillé. Mais là, il s’agissait en toute occurrence d’un emploi fictif et nous quittons le terrain du éthiquement pas correct, mais légal – il s’agit d’un détournement de fonds publics et de la corruption et ces deux chefs d’accusation peuvent entraîner des peines allant jusqu’à 10 ans d’emprisonnement ! Qu’on arrête de dire « oui, bon, c’est le système qui leur a permis d’agir de la sorte », nous parlons là de comportement carrément criminels.

N’est-ce pas étrange que les différentes personnes concernées, prises la main dans le sac, continuent à s’agripper à leurs postes ou à leur qualité de candidat – est-ce que cela ne traduit pas l’absence d’une prise de conscience à leur niveau ?

CC : Si, tout à fait, ces personnes se trouvent en rupture avec ce contrat tacite entre les citoyens et le monde politique et elles ne correspondent plus du tout à ce qu’attendent les citoyens. Les élus sont là par la volonté du peuple et donc, ces comportements corrompus traduisent la fin de ce contrat de société.

Est-ce qu’il s’agit d’un problème franco-français ou est-ce qu’il s’est généralisé, au niveau européen ou même au niveau mondial ? On pense quand même au président fédéral allemand Christian Wulff qui a du démissionner après la découverte qu’un industriel lui avait payé un week-end à la Fête de la Bière à Munich, d’une valeur de 700 €… 700 € !

CC : Il s’agit d’un problème à l’échelle mondiale et c’est la perception du « bien » entre les élus et les citoyens qui est en jeu. Il ne faut pas oublier que la France n’occupe que la 23e place dans le ranking mondial de la corruption. Les problèmes existent partout, aussi chez nous. Lorsque nous avons introduit avec le Maire de Strasbourg Roland Ries la nouvelle charte sur la transparence au Conseil Municipal, nous avons rencontré des obstacles même au sein de notre propre sensibilité politique…

Vraiment ? Vous voulez bien nous donner quelques noms ?…

CC : [rit] Il est vrai, il y en avait qui ne comprenaient pas cette démarche et qui argumentait qu’une charte sur la transparence exposerait l’ensemble des élus à une suspicion générale. Nous avons du faire de la pédagogie, mais je peux vous assurer qu’aujourd’hui, la totalité des élus de notre sensibilité adhère à ce principe de transparence…

Mais pour revenir à la question de ce problème au niveau international, nous constatons que le populisme, qui pourtant dit vouloir combattre la corruption, ne fait qu’empirer les choses. Ainsi, depuis les changements politiques en Turquie et en Hongrie, les deux pays ont perdu 9 et 7 places dans le ranking international de la corruption et en même temps, ces pays perdent de leur démocratie. Or, lorsque les structures démocratiques ne fonctionnent plus, la corruption peut à nouveau se répandre. Il faut donc être très vigilant quand des partis extrémistes promettent de lutter contre la corruption.

Parlons des solutions. Vous avez évoqué la nécessité de l’émergence d’une « nouvelle r ace de responsables politiques », mais un tel changement de mœurs nécessite au moins une génération. Que peut-on faire concrètement pour rétablir l’éthique dans la politique et ce, avec un calendrier plus rapide que la durée d’une génération ?

CC : Je crois que le prochain gouvernement doit créer un « ministère de la démocratie » chargé de veiller au bon fonctionnement des procédures démocratique et doté d’assez de compétences pour pour pouvoir intervenir en cas de dysfonctionnement. Et, aussi important, il faut que l’éthique fasse partie des programmes scolaires dès la maternelle, à l’instar de ce qui se fait déjà aujourd’hui dans les pays scandinaves qui eux, occupent, comme par hasard, les premières places dans le ranking de la corruption. L’apprentissage de l’éthique doit commencer au plus jeune âge et c’est très important, car nous sommes confrontés à une question clé : dans quelle société voulons-nous vivre demain ? Et, bien entendu, les citoyens peuvent aussi s’engager dans les ONGs et associations qui luttent contre la corruption et pour plus de transparence, comme « AntiCor » ou « Transparency International » !

Chantal Cutajar, merci pour cet entretien !

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