Le coronavirus vu par Alain Howiller

Médias, politiques, scientifiques – un grand débat empoisonné ?

Les "fake news", suppositions, rumeurs, théories de complot intoxiquent les débats... Foto: GDJ / Wikimedia Commons / CC0 1.0

(Par Alain Howiller) – On peut en penser ce qu’on veut de Peter Sloterdijk : le critiquer, l’adorer, le mépriser ou encore l’ignorer. Mais il vient encore de marquer un point dans le débat (on devrait écrire les débats !) engagé autour du coronavirus. Il aurait pu se contenter de rappeler que dans ses livres, il n’avait cessé de plaider pour que nos sociétés, les individus qui les composent, changent de vie et retrouvent le sens de l’effort, le goût du savoir au lieu d’attendre qu’un miracle les sauve des efforts nécessaires. Dans une interview à un hebdomadaire (1), Sloterdijk, le philosophe de Karlsruhe, rappelle en citant Boccace, auteur du Décaméron publié au XIVème siècle après une épidémie de peste noire : « Boccace parle… de ceux qui, tourmentés par le sort, finissent au delà de toute espérance par se tirer d’affaire. »

En vivant tous ces débats parfois sulfureux, nourris trop souvent par des options politiciennes, on ne peut que se dire que la leçon, venue du fond des siècles, mérite d’être méditée, autant que cet extrait de l’ouvrage qui souligne : « Chaque chose en soi-même est bonne à quelque chose et si elle est mal employée, peut-être nuisible en nombre de cas… »

Il est clair que pour ce qui est des dérives auxquelles la crise actuelle conduit, il y a toutes ces escroqueries qui fleurissent dans la société : du vol de masques destinés au personnel médical à la vente de produits trafiqués, le tout se retrouvant sur des marchés parallèles où on vend en plus à des prix prohibitifs. Que dire de ce détournement en République Tchèque : une cargaison de masques offerts par la Chine à l’Italie a transité par Prague où elle a purement et simplement été « kidnappée » à l’occasion du contrôle en douane !… La Chine a immédiatement envoyé une cargaison identique pour compenser ce vol.

Au petit bonheur la chance – L’horrible crise sanitaire que nous traversons laissera des traces, mais au delà de l’engagement jamais trop salué de tout le corps médical qui se bat pour notre… survie, elle donne aussi l’occasion à de nombreuses initiatives positives de se manifester : saisir ces initiatives, les relayer devient un devoir, un message d’espoir alors que trop de médias se contentent, avec parfois une complaisance malsaine, d’ouvrir les micros ou de braquer les caméras sur la misère du monde. Voici donc venu l’heure de la revanche pour les médias (eurojournalist.eu n’a jamais été autant consulté) qui creusent l’information et la commentent avec le respect et la considération que mérite l’actualité. Les chaînes dites d’information continue n’ont toujours pas digéré la leçon de la crise des « gilets jaunes » : elles s’étaient jurées de ne plus retomber dans les excès connus alors.

Elles ont repris leur cheminement anxiogène : elles tendent le micro au petit bonheur la chance, comblent les espaces de… silence par un bavardage incessant, elles passent et repassent les mêmes images, les mêmes reportages sans jamais les marquer « archives », elles se reposent – comme les hommes politiques – sur les autres pour éviter de choisir, elles n’hésitent pas à se contredire d’une séquence à l’autre et oublient quasi systématiquement de rectifier.

Fact checking news : résister contre les fausses infos – Dans l’une de ses chroniques, l’éditorialiste du Club de la Presse de Strasbourg relève : « Un flot de fausses informations ajoute à la confusion et à l’angoisse relevant souvent de la théorie du complot et de l’ignorance sur la façon dont le virus se transmet… » Ce constat, qui pourrait bien ne pas viser seulement les réseaux sociaux, souligne combien est pernicieuse et dangereuse la multiplication de sites qui diffusent et multiplient les informations les plus folles et les plus inexactes qu’on puisse imaginer. Le danger né de ces diffuseurs de « fake news » ont conduit un certain nombre de médias à créer des sites ou des rubriques qui s’attachent à rectifier les fausses informations qui circulent. Je ne saurais assez recommander de consulter (sur google) « fact checking afp ». Ceux qui veulent vraiment savoir, trouveront sur ce site les réponses aux questions qu’ils se posent. Le site interpellera aussi – du moins je l’espère – ceux qui participent au grand débat autour de la crise du coronavirus. Contribuera-t-il à « confiner » les questions et les réponses que l’opinion attend, non sans exiger que les légitimes questionnements soient sous-tendus par le respect qu’on est en droit d’attendre de tout intervenant sur la scène des événements ?

Force est de constater que la sérénité l’emporte difficilement ; d’autant que la confusion des rôles n’éclaire pas nécessairement les échanges d’idées ! En s’appuyant sur des scientifiques (alibis ?) qui orientent, voire imposent des décisions aux pouvoirs publics, le gouvernement français ne devrait pas oublier (exemple : la leçon des municipales organisées contre toute raison sous la pression des intérêts politiques des partis d’opposition) que si les scientifiques proposent, c’est le pouvoir politique qui dispose : démocratie oblige ! Celle-ci devrait aussi rappeler aux politiques que la mémoire et la modestie devraient les accompagner dans leurs fonctions et même dans leur expression. Que ceux qui, au pouvoir pendant des décennies, ont décidé de démanteler le stock de masques ou de diminuer les crédits destinés aux hôpitaux et à la santé en général, n’oublient pas leurs responsabilités et la jouent modestes.

Les limites de… l’Union Nationale ! – Que ceux qui, la main sur le cœur, tout en faisant semblant d’adhérer à l’union nationale, pensent à recueillir des voix pour les prochaines élections : le second tour des élections municipales en juin, les élections sénatoriales à l’automne ; que ceux qui -hommes et femmes politiques – prennent position et essaient de favoriser, voire d’imposer l’utilisation de la chloroquine dans le traitement du coronavirus, n’oublient pas que ce débat appartient aux scientifiques qui, d’ailleurs, ont tort de se déchirer publiquement à ce propos tout comme – ce n’est sans doute pas encore le moment – ils ont tort de lancer des revendications salariales pour « récompenser » le personnel médical !

Avant l’heure, dit-on, ce n’est pas l’heure, après l’heure ce n’est plus l’heure : aujourd’hui, l’heure est à la résistance et à la solidarité. Il faut se mobiliser : les médias ont un rôle à jouer et une mission : rappeler, lorsque nous serons sortis de la crise -et nous en sortirons- l’engagement qu’a pris Emmanuel Macron :« quoi qu’il en coûte, après la crise, ce ne sera pas simplement le retour à ce qui, était avant ».

(1) Le Point du 19 Mars.

Kommentar hinterlassen

E-Mail Adresse wird nicht veröffentlicht.

*



Copyright © Eurojournaliste